Articles récents \ Île de France \ Société UniR Universités & Réfugié·es : l’enseignement supérieur pour tou·tes
UniR, située dans le onzième arrondissement de Paris, accompagne des personnes réfugiées dans leurs études et leur permet de s’insérer dans le monde du travail. Le 20 juin prochain c’est la journée mondiale des réfugié·es. Avec une équipe 100% féminine, l’association met en avant la richesse culturelle de ses membres et le caractère unique de leur parcours. Pour Camila Ríos Armas, fondatrice de UniR, les études supérieures et les nouveaux projets féministes occupent une place capitale pour l’association.
Quels sont les objectifs de l’association UniR ?
UniR a été créée en janvier 2018 dans le but d’accompagner les personnes réfugiées dans leur insertion académique en valorisant leur propre parcours professionnel. Nous les aidons à apprendre le français, à s’inscrire à l’université et finalement à s’insérer sur le marché du travail. L’association se base sur trois piliers d’organisation : le premier s’articule autour d’un accompagnement individualisé. Cela nous permet de rediriger les personnes vers les institutions académiques au cas par cas, en prenant en compte l’ensemble des démarches administratives liées à leur projet, que ce soit pour le dossier, la candidature ou le suivi à long terme. Nous les accompagnons aussi pour la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE), en partenariat avec le Collège de Paris. Le deuxième pilier est axé vers la préparation des études supérieures, notamment grâce à notre pôle FLE 2.0. Ce programme combine l’accompagnement de cours en présentiel et en distanciel, suivant une méthode de blended learning (utilisation des outils numériques avec des cours de langues plus classiques). Nous nous occupons aussi de la préparation au Diplôme En Langue Française (DELF), elle-même liée à l’insertion des personnes sur la vie universitaire, le cursus, etc. Le troisième pilier se concentre sur la diffusion des connaissances, que nous avons initié dès la création de l’association en 2018. Nous organisons des activités culturelles sur Paris, par exemple des ateliers artistiques.
Dans votre rapport d’activité de 2018, il est précisé que seul 14% du public concerné par l’association étaient des femmes : quels dispositifs mettez-vous en place spécifiquement pour les femmes réfugié·es ?
Nous avons en effet constaté qu’à nos débuts, seulement 2% des participant·e·s étaient des femmes ; dans notre rapport, les 14% correspondent à la moyenne sur l’année 2018. L’association a donc décidé de remédier à ce manque de représentativité, sachant que les personnes réfugiées sous la protection de l’OFPRA sont à 40% des femmes. Nous sommes allées plus loin en ciblant le public féminin, et cela a payé : le pourcentage de femmes accompagnées par UniR est passé de 2 à 24% ! Au total, 51 femmes sur 217 personnes accompagnées sont concernées pour l’année 2019. A la suite à cette évolution, nous avons décidé de mettre en place un programme spécialisé entièrement dédié aux femmes. En avril 2020, nous avons lancé le premier mentorat de l’association, composé de dix huit participantes regroupées en neuf binômes (femmes réfugiées et femmes actives au niveau local en Ile-de-France).
Les femmes sont-elles plus précarisées que les hommes dans la même situation, et si oui pourquoi ?
Je pense que plusieurs éléments sont à prendre en compte : les femmes souffrent effectivement de discriminations plus fortes et sont sujettes aux violences. Cela peut varier d’une femme à une autre : par exemple, nous avons remarqué que l’accès aux cours de français n’était pas le même pour toutes. Certaines habitent en banlieue, et rentrer tard le soir peut être plus compliqué. Une des femmes que nous accompagnons nous disait qu’elle devait prendre deux trains différents pour venir, et qu’elle n’avait pas l’habitude de sortir seule. Dans son pays d’origine, elle devait être accompagnée à l’extérieur mais revendiquait le droit à se déplacer seule, mais maintenant qu’elle en a l’occasion, il lui est difficile de s’adapter. En général, il s’agit d’un public plus isolé, ce qui explique pourquoi nous avons dû recourir au bouche-à-oreille pour voir le nombre de participantes augmenter. La précarité des femmes est donc liée à une réadaptation, un changement de vie qui est plus complexe à appréhender en plus des ressources limitées et des craintes liées à leur sécurité.
Que pensez-vous de la politique récente du gouvernement concernant l’accueil des réfugié·es ?
Au moment où nous parlons, nous ne constatons pas d’impacts directs sur le travail de l’association. D’un point de vue personnel, je sais que la loi Asile et Immigration a été largement contestée au niveau de l’accueil des réfugié·es. Les critiques portent notamment sur la confusion de l’asile et de l’immigration, qui sont deux domaines très différents. De plus, les délais de première demande d’asile prévus par la loi sont problématiques, et le numéro de téléphone dédié peut rester silencieux pendant plusieurs jours, repoussant l’aboutissement des demandes jusqu’à plusieurs mois. Dans notre rapport, nous évoquons aussi le fait que la loi expose les femmes à un risque accru de violences. En effet, la loi prévoit pour les mères d’enfants français d’apporter la preuve de l’implication du père pour qu’elles aient leurs papiers. Or, dans les faits, certaines femmes victimes de violences conjugales ne sont plus en lien avec leur conjoint, ce qui les handicape dans leurs démarches et peut même menacer leur sécurité. Tous ces éléments ne favorisent pas les personnes dans leurs démarches, et elles sont d’autant plus précarisées. Concernant nos financements, nous avons toujours été très transparentes vis-à-vis de nos fonds publics, et notre programme de mentorat pour femmes ainsi que la recherche-action ont été soutenus par la région Ile-de-France et la Direction départementale de la Ville de Paris (DDCS 75).
En période de pandémie quels nouveaux défis devez-vous affronter ? Pensez-vous recevoir plus de personnes ? Craignez-vous une baisse de vos financements ?
Nous n’avons pas arrêté notre travail pendant le confinement en adaptant nos cours. Il s’agissait de garder un lien académique et social pour des personnes en demande d’échanges, avec plus d’une centaine de candidatures à gérer. Malheureusement, nous avons dû faire face à de nombreux obstacles, notamment les problème d’accès à un ordinateur ou de connexion. Nous avons aussi été contraintes de lancer notre mentorat en ligne ; malgré cela, l’initiative a plutôt bien fonctionné. Pour ce qui est de la situation post-confinement, je dirai que nous prévoyons une année plus difficile en terme de financement. Nous n’avons pas reçu l’entièreté de nos subventions du fait des élections municipales retardées. De plus, les fonds risquent d’être alloués à d’autres secteurs plus fragilisés, même si je regrette que l’éducation et l’enseignement supérieur ne fassent pas l’objet de plus d’attention en ce moment, surtout pour les personnes réfugiées. Celles-ci vont faire face à une pression supplémentaire pour leur insertion sur le monde du travail et ont besoin plus que jamais d’être accompagnées et soutenues.
Propos recueillis par Perrine Arbitre, 50-50 magazine