Articles récents \ Culture \ Cinéma Mon nom est clitoris
C’est depuis leur lit que douze jeunes femmes racontent l’histoire de leur sexualité. Enfin, ça, c’était le projet initial des deux cinéastes Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond, mais c’est sur cet organe longtemps marqué d’invisibilité, à la différence du phallus exhibé, que va se centrer le propos du film. Quelle est l’anatomie du sexe féminin ? Quel est ce mystère en apparence caché, dont il a fallu attendre si longtemps pour en avoir une représentation en relief et s’apercevoir que sa taille voisine celle d’un pénis ? La notoriété clitoridienne est au menu de ces conversations entre femmes. La sororité s’incarne : celles qui filment sont partie prenante, incluses dans les questions abordées. Parler de sexualité permet de sortir de l’isolement, partager et constater une expérience commune néanmoins singulière.
Mon nom est clitoris. Ce titre résonne tel le western spaghetti dans lequel Personne prend une majuscule (1). Il renvoie également à la ruse d’Ulysse qui, avant de crever l’œil du cyclope Polyphème, lui a dit se nommer Personne. Les autres cyclopes alertés par les cris de douleur de Polyphème lui demandent qui est son agresseur : « c’est personne ». En répondant ainsi, Ulysse se voit désigné comme l’absence et peut s’enfuir. Rappelons que Polyphème, en grec renvoie à l’idée d’exprimer sa pensée par la parole, c’est celui qui parle beaucoup ou dont on parle beaucoup. Découvrir le 21 avril (2), en plein confinement, le beau projet de Lisa Billuart Monet et Daphné Leblond donne le sentiment d’être privilégié!
Dans le dossier « Les folles de la Salpêtrière et leurs sœurs », nous annoncions que la révolution clitoridienne était en mouvement. Les deux cinéastes franco-belges s’inscrivent dans cette exploration féminine de leur corps, du plaisir que l’on peut en attendre, de sa découverte, de sa conquête. Ce qui est formidable, c’est la liberté des propos et la volonté de dire au plus près, au plus juste, au plus authentique. La norme pèse particulièrement autour de la sexualité. Les injonctions sont multiples, chacune des interviewées en décrit les facettes multiples. Le consentement est en train de réellement devenir pensable pour cette génération. Il reste beaucoup à faire pour que femmes et hommes puissent se rencontrer à égalité. Les termes femmes et hommes ne renvoient pas à une norme hétérosexuée, ils se réfèrent à la normativité écrasante, qui empêche les hommes de penser leur virilité autrement que dans un modèle de domination/soumission, où seule la pénétration signifierait un acte sexuel accompli. C’est majoritairement ce qu’impulse la pornographie, source précoce de pseudo éducation sexuelle enfermante et réductrice.
La sexualité ne saurait se résumer au coulissage du pénis dans le vagin. La virginité ne saurait s’incarner dans la rupture de l’hymen, sinon à nier que les relations sexuelles sans pénétration ne seraient pas de la sexualité « en vrai ». Le dogme religieux incarne une partie de cette pensée, mais lorsqu’un·e gynécologue reçoit une lesbienne et conclut qu’elle est donc vierge, Personne est de retour ! Confondre le fait qu’il n’existe pas de risque de grossesse avec la virginité, c’est annuler une forme de sexualité au nom d’une norme, qui ne saurait avoir sa place dans un cabinet de gynécologie.
Au fil des échanges, on découvre la liberté d’explorer son corps, de le connaître, on entend aussi que les fantasmes, les causes d’excitation ou que l’absence de désirs sexuels sont tous recevables et qu’aucun déterminisme préalable n’est nécessaire. Quel soulagement d’entendre ces jeunes femmes prendre la parole pour dire qu’elles sont capables d’être propriétaires de leur désir sans être résumables à la catégorisation fondée sur le clivage salope/sainte nitouche. Souhaitons que femmes et hommes, adolescent·es, puissent profiter de l’ouverture oxygénante de ce film. L’orientation sexuelle n’est pas ici au service d’une catégorisation enfermante. L’enjeu est de pouvoir penser son désir, ses désirs sans condamnation morale. Ce ne sont pas les prescriptions sociétales, religieuses, culturelles qui doivent prédéfinir le devenir de chacun·e dans sa possible découverte du plaisir.
L’inscription des cinéastes dans un féminisme intersectionnel permet « d’observer comment les dominations s’additionnent, voire se multiplient quand on cumule les minorités ». Au fil des conversations, on s’aventure dans les linéaments multiples de la sexualité féminine. L’orgasme féminin est d’essence clitoridienne. Point d’exclusion des hommes dans ce constat, mais une urgence pour eux d’entendre cette possible ouverture à une sexualité égalitaire et créative.
Bande annonce
Daniel Charlemaine 50-50 magazine
Sortie le 17 juin, en e-cinéma géolocalisé sur la plateforme 25eheure et le 22 juin dans les salles de cinéma
1 Mon nom est Personne, film réalisé en 1973 par Tonino Valerii et Sergio Leone.
2 Le 21 avril 1944, il y a seulement 78 ans, les femmes françaises obtenaient le droit de vote.