Articles récents \ Monde Fanny Benedetti : « À mesure que de nouveaux Etats entraient dans l’Union Européenne, les féministes étaient de moins en moins audibles »
Si le Forum Génération Égalité a été reporté à une date ultérieure, les préparatifs eux continuent, malgré la crise sanitaire actuelle. Parmi les organisatrices/organisateurs de cet événement : ONU Femmes France, et sa directrice exécutive Fanny Benedetti. Elle revient sur les prémices et les origines de ce Forum, organisé 25 ans après la première conférence de Pékin.
Pourquoi avoir décidé d’organiser le Forum Génération Égalité cette année, précisément 25 ans après Pékin ?
En tant que diplomate, ce que j’ai pu observer, c’est qu’il y a eu un blocage dans les négociations sur l’égalité de genre au niveau européen. À mesure que de nouveaux Etats entraient dans l’Union Européenne, les féministes étaient de moins en moins audibles. On n’arrivait plus à porter le message au niveau de l’UE. Au lieu d’être en train de porter haut et fort une politique commune pour obtenir l’égalité entre les femmes et les hommes, les pays européens se divisaient et personne n’arrivait à se mettre d’accord. Alors tous les cinq ans, la question se posait de refaire une conférence, un événement comme à Pékin en 1995. Pékin+10, Pékin+15… et cette année nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas laisser passer l’occasion de réunir les mouvements féministes du monde entier. Cela a mis du temps car les pays étaient frileux : les pays nordiques, la France… aucun ne voulait prendre le risque de dégrader le texte de référence signé à Pékin. Pékin est déjà loin pour les nouvelles générations, il ne fallait pas laisser passer une décennie de plus.
Pourquoi avoir choisi le nom « Forum Génération Égalité » ?
Parce que 25 ans c’est une génération. Pékin ne signifiait plus grand chose pour les nouvelles générations. Pékin+25 c’est le passé, nous, nous voulions un nom pour parler de l’avenir. Avec le nom « Génération Égalité », nous voulions montrer que l’événement serait global et inclusif. Nous voulons une égalité de genre à tous les niveaux.
Comment avez-vous imaginé cet événement et pourquoi avoir décidé de ne réunir que des gouvernements progressistes ?
Nous voulions sortir du contexte inter-gouvernemental. Nous ne voulions pas d’un événement onusien, avec des règles strictes et l’obligation de trouver un consensus. Notre idée, c’est d’organiser un rassemblement avec les associations féministes mondiales. Nous voulons nous libérer des négociations qui n’aboutissent à rien, et remettre au centre la société civile.
Le concept évolue au fil des discussions. Mais pour pouvoir participer au Forum, il faudra remplir certains critères, comme un engagement à rejoindre une ou plusieurs Coalitions d’action il y en a six au total [NDR] et avoir un engagement fort sur les questions d’égalité au niveau national. Il y aura un partenariat entre le public et le privé autour d’un objectif et d’un cadre de résultats, les fameuses Coalitions d’action. Concernant les Etats, nous aimerions en convier au moins une vingtaine.
Pourquoi avoir choisi la France comme l’un des pays hôtes ?
Nous avons longtemps cherché un pays qui pourrait accueillir un tel événement. Les pays les plus avancés sur l’égalité entre les femmes et les hommes n’ont pas été les plus audacieux sur cette question. La France n’était pas le pays candidat le plus évident au départ, c’est vrai, mais le gouvernement français a tout de même la volonté d’avoir une diplomatie féministe.
ONU Femmes à New York fait partie des organisateurs et de ce qu’on appelle le Core Group, le groupe central. Quelles sont les missions de la branche française de l’organisation ?
Nous assistons le siège sur trois enjeux. D’abord nous nous engageons à faire le lien avec la société civile, en mobilisant les associations et en organisant des réunions d’information. Ensuite, nous devons faire le lien avec les autorités françaises. Enfin, nous devons organiser l’engagement citoyen, car pour que ce Forum soit une réussite, il faut intégrer le public afin de créer une dynamique inclusive et positive.
Concrètement, comment comptez-vous impliquer le public ?
Il faut faire en sorte que le féminisme se répande dans la société civile. Selon moi, c’est un échec de constater que le féminisme n’est pas suffisamment présent dans la société. Nous devons faire en sorte que ces valeurs d’égalité progressent au-delà des associations et mouvements féministes. Pour y arriver, nous avons l’ambition de faire participer toutes les parties prenantes pour que chacun·e se sente actrice/acteur de cet enjeu du siècle. Nous avons lancé un appel à manifestation, et nous avons eu un très bon retour de la part des associations, de l’Education nationale, des maires… qui souhaitent développer des initiatives d’engagement citoyen. Nous leur apposerons d’ailleurs le Label Génération Égalité.
Au delà du Forum, Génération Egalité est également une campagne de plaidoyer grand public d’ONU Femmes qui continue de se décliner localement, partout dans le monde. Et nous continuons de mener les actions de cette campagne aux niveaux local et global.
Vous avez sélectionné six Coalitions d’action, alors qu’il y en avait douze à Pékin…
Nous voulions des thèmes très précis, avec des indicateurs chiffrés pour chaque Coalition. Pour nous douze, c’était trop et donc trop compliqué. S’il n’y a « que » six thèmes, ils sont quand même très globaux. Alors c’est vrai, il manque une Coalition sur les adolescentes et les filles, nous avons choisi d’en faire un thème transversal, c’est-à-dire qu’il doit être pris en compte dans chaque Coalition.
Vous souhaitez donc laisser une large place aux jeunes lors de ce Forum ? Pourtant le Forum ne peut accueillir que 5000 personnes.
Oui c’est une très forte volonté, nous souhaitons avoir beaucoup de féministes de 14 à 25 ans. Et nous allons mettre en place des quotas pour qu’il y ait un minimum de jeunes, de lycéen·nes. Nous aimerions qu’il y ait au moins 50% de jeunes, nous y travaillons avec la « Youth Task Force » (Groupe de travail de la jeunesse), mais dans les faits c’est compliqué de faire venir les jeunes à ce genre d’événements.
Pour ce qui est des 5000 places, oui nous étions déçu·es, et pensions que ce n’était pas assez ambitieux. Mais dans le contexte actuel, nous devons tout faire pour repenser en profondeur le Forum, qui est reprogrammé, en le rendant accessible au plus grand nombre, notamment en le digitalisant.
Chloé Cohen, 50-50 magazine