Articles récents \ Monde \ Pays Arabes Kassia Borderie : « La musique est ma passion, le chant est mon combat, ma voix est mon arme »
Le 20 avril 2020, commémore les 40 ans du Printemps berbère, en Algérie, pour la reconnaissance de la langue et la culture berbère. Un soulèvement qui a secoué l’Algérie et a débouché, 20 ans plus tard sur un Printemps noir. La répression fut sanglante et le bilan lourd : 127 mort.es et 5000 blessé.es. Le point commun aux deux révoltes est la revendication de l’identité berbère au prix d’un bain de sang. Dans cette lutte meurtrière, de nombreuses femmes ont participé à la reconnaissance de la langue kabyle comme langue nationale. Des centaines furent blessées et trois sont mortes : Nadia Aït Adda , Yamina Aribi et Fahdila Nedjma. Des héroïnes qui se battent pour perpétuer la culture berbère. C’est le cas de Kassia Borderie, une chanteuse, autrice et interprète kabyle qui fait rayonner son identité berbère aux quatre coins du monde. Portrait d’une femme engagée.
Kassia Borderie est née le 20 avril 1953, à Tizi-Hibel, un village en Kabylie (Algérie). Elle a le chant dans la peau depuis sa tendre enfance. Dans un pays où le poids des traditions persiste à l’égard des femmes, la scène constitue une véritable tribune féministe : « chanter c’est exister, chanter c’est se libérer » clame-t-elle. En 1973, à l’âge de 20 ans, Kassia Borderie réalise sa première représentation en Kabylie, une prestation qui l’a propulse très vite sur le devant de la scène nationale et internationale. Elle déclare : « la musique est ma passion, le chant est mon combat, ma voix est mon arme ».
« Subir, c’est mourir »
A l’ère du Printemps berbère, de la décennie noire et de la guerre civile en Algérie entre 1990 à 2002, Kassia défie les forces de l’ordre et les islamistes. Elle réalise des concerts clandestins dans une Algérie « où chanter en kabyle devient un acte militant qui permet de revendiquer son identité amazigh » assure la chanteuse. Elle chante l’amour, la femme et l’attachement à sa culture natale au risque de se faire menacer ou arrêter. Libre et rebelle, féministe dans l’âme, la chanteuse refuse de se faire dicter sa conduite dans un milieu où l’oppression règne et la femme est cadenassée : « subir, c’est mourir » affirme-t-elle.
Elle poursuit son combat à travers plusieurs pays, où elle multiplie les tournées continuant de chanter sans cesse en Kabyle pour défendre et faire rayonner son identité berbère. Sa voix sublime, profonde et harmonieuse raisonne, retentit dans le monde. Désormais, elle chante l’exil, le déracinement, la nostalgie de sa Kabylie natale. Kassia Borderie murmure à l’oreille des femmes leur beauté, leur force et le pouvoir. Elle collabore avec les plus grand.es artistes de la culture kabyle tel que le poète Aït Menguellet et le célèbre chanteur Idir. Cette amoureuse inconditionnelle de la poésie, n’hésite pas à reprendre et interpréter Cheikh El Hasnaoui, l’un des maîtres du Chaâbi qui « chante d’une manière respectueuse la femme. Un hommage féminin qui fut très bien accueilli par le public » constate-t-elle. Engagée, elle a chanté également à quatre reprises pour Amnesty Internationale.
« Chanter pour ne pas se taire et faire entendre sa voix »
Ecartée du pouvoir politique, dans une société patriarcale, reléguée au seul rôle d’épouse et de mère, la femme berbère utilise la culture pour exister. « Elle chante pour ne pas se taire et faire entendre sa voix. Le chant est un exutoire, un outil pour dénoncer la condition féminine » affirme la chanteuse.
Les femmes kabyles utilisent aussi les contes populaires pour dénoncer les règles patriarcales où « l’imaginaire laisse place à une ogresse prénommée Tyriel ou Tsériel, indépendante, insoumise et maitresse de son destin, l’ogresse dévore les hommes et ces derniers la redoute plus que tout » se souvient Kassia. La poésie, permet également de célébrer les femmes dans leur grandeur. Les proverbes, les métaphores, les subtilités et images utilisés dans la langue Kabyle permettent de faire passer des messages souvent lourds de sens. « La danse permet aux femmes de s’exprimer et de faire parler leurs corps. Ce n’est pas qu’une danse esthétique, c’est avant tout une manifestation de sentiment qu’on appelle la démarche de la perdrix. La femme danse tel un oiseau qui déploie ses ailes dans un élan de liberté » dit-elle. La chanteuse poursuit « le youyou, ce cri qui sort des tripes, est également un mode d’expression qui permet aux femmes de se défouler et de rendre public leur souffrance et leur joie, un pouvoir vocal exclusivement féminin ! »
« Nous les femmes, sommes porteuses et gardiennes de la culture berbère »
Kassia Borderie a pour idole les grandes figures féminines berbères, qui ont fait l’histoire et la gloire du peuple berbère. Dihya, connu sous le nom de Kahina, la reine berbère guerrière et Lalla Fatma N’Soumer appelé la Jeanne D’Arc du Djurdjura incarne la résistance. Des femmes emblématiques de la culture kabyle qui se sont élevées contre l’injustice. Elle confirme : « nous les femmes, sommes gardiennes et porteuses de la culture berbère ».
Nostalgique, Kassia Borderie revient sur son enfance en Kabylie. Elle évoque ses souvenirs, parle de sa chère et tendre « Yemma », cette mère qui a une très grande place dans la culture kabyle et à qui elle doit tout. « Dans le temps, les femmes berbères étaient finalement plus libres, elles participaient à l’économie artisanal du village, fabriquaient la poterie, la tapisserie, la broderie, participaient à l’agriculture, à la récolte des fruits et s’occupaient des bêtes. Elles n’étaient pas cantonnées à leur domicile, se déplaçaient et occupaient l’espace, des femmes au contact de la terre et des champs, qui se rendaient à la fontaine pour chercher l’eau, cueillaient les figues et les olives dans une solidarité et entraide féminine à travers un chant : « assa tiwizi anleqdh azemour » se souvient-elle. La chanteuse célèbre cette femme respectueuse de la nature et soucieuse de l’écologie. Elle déclare: « On respectait le cycle de la nature et célébrait la terre fertile. Chacune des saisons était fruitière. Un art de vivre ancestral qui se perd aujourd’hui ».
Depuis quelques années, Kassia Borderie a quitté la vie parisienne citadine, pour le sud de la France. Le paysage provençal, les lilas, les oliviers et la lavande lui rappellent sans doute sa Kabylie natale. Elle regrette : « nous, les exilé.es repartons au pays mais tout ce que nous avons aimé dans le temps a disparu. Je ne retrouve rien de ce que j’ai connu. Ma Kabylie est devenue superficielle, le charme d’antan a disparu, sans doute à cause de l’exode rural, de la surconsommation et de la bétonisation. Les constructions folles ont modifié le paysage. Tout évolue, se modernise, s’arabise ou s’occidentalise mais l’héritage berbère de nos mères et grands-mères tombe dans l’oubli ».
Résistante, sensible et anticonformiste, Kassia Borderie a lutté pour aller au bout de ses convictions malgré le danger et le modèle imposé par la société. C’est une femme engagée et libre qui a dévoué sa vie à la sauvegarde du patrimoine kabyle. Il faudra attendre 2016, au bout de plusieurs décennies de lutte, d’acharnement et de combat pour que le Parlement algérien accorde enfin à la langue berbère le statut de langue nationale et officielle de l’Etat algérien au côté de la langue arabe.
Messilia Saidj 50-50 Magazine