Articles récents \ France \ Société Xavière Gauthier : » Ces jeunes femmes me donnent la main à travers les générations «
Figure du féminisme, autrice, universitaire et éditrice, Xavière Gauthier consacre une part importante de son œuvre au combat des femmes dans la lutte pour l’avortement, elle est aussi spécialiste de Louise Michel. Elle a fondé la revue Sorcières parue de 1975 à 1982 qui permet aux femmes d’exprimer leurs propres formes artistiques. Elle y retourne le stigmate de la sorcière en force collective des femmes.
Comment êtes-vous devenue féministe ?
C’est à l’école primaire que j’ai commencé à le devenir : au cours de grammaire, par exemple, lorsque l’on apprend que le masculin l’emporte sur le féminin, ou au cours d’histoire, lorsqu’on ne nous parle que des rois, des généraux et des « grands hommes », ou même au cours de français, lorsque l’on voit que Molière ridiculise les femmes instruites et délicates…
Quelles sont les activités les plus marquantes de votre parcours féministe ?
Je suis autrice, par exemple, dans Naissance d’une liberté, je parle d’avortement, de contraception, du grand combat des femmes au XXe siècle. J’en parle également dans Avortées clandestines, ce sont deux livres qui ont fait découvrir l’horreur de la vie des femmes avant la loi Veil, et encore un peu partout dans le monde.
Je me suis également beaucoup intéressée à Louise Michel, cette grande révolutionnaire, flamboyante lutteuse pour les droits des femmes, des ouvrier.es, des Noir.es, des animaux et des plantes. J’ai écrit plusieurs livres sur et avec elle, dont sa biographie La Vierge Rouge.
J’ai également écrit Pionnières, dans lequel je dresse le portrait de 375 femmes, de 1900 à nos jours, qui ont changé le monde : des femmes politiques, artistes, en luttes, intellectuelles et scientifiques, affrontées aux préjugés misogynes et aux injustices sexuées et pourtant capables de réussir à travers leur propre émancipation, une avancée de civilisation.
Parlez-nous de la revue Sorcières que vous avez créé en 1975
J’ai créé la revue bimestrielle Sorcières en 1975 et le dernier numéro est paru en 1982. La date exacte n’est pas indiquée, ce qui est contraire à la réglementation concernant les périodiques, car la revue refusait le calendrier chrétien, la scansion abstraire des mois non-lunaires et le pouvoir masculin en général.
Dans la revue, nous parlions de la reconnaissance de femmes à femmes, de l’échange sororal, permettant une appropriation de la figure de la sorcière et un retournement en image positive, voire triomphante. Nous glissions des sorcières solitaires aux sorcières solidaires.
Les sorcières étaient les soignantes du peuple : elles aidaient les femmes à la naissance mais aussi à se libérer des grossesses non désirées. L’Eglise les a brûlées pour cette liberté, ce pouvoir. La médecine s’est alors édifiée sur la mort de centaines de milliers de femmes, elle a confisqué le savoir médical et empêché la maîtrise de leur corps. Je considère les sorcières comme un danger pour la société phallocratique, qui s’est construire sur leur mise à l’écart et même sur le refoulement de la force féminine.
À l’époque de la création de la revue Sorcières, la lutte pour le droit à l’avortement et à la contraception venait à peine d’aboutir à une liberté neuve, grâce à la loi Veil, loi votée, à titre provisoire, en 1975, mais de façon définitive seulement en 1979. Au début des années 70, les femmes recouraient à des « faiseuses d’ange » pour des avortements clandestins, environ 800 000 par an en France, au risque de douleurs atroces, de séquelles graves, de la prison ou de la mort. Chaque jour, une à dix femmes mouraient. Cette lutte restait un des plus fabuleux enjeux du XXe siècle. Contre l’Ordre des médecins et l’Ordre des prêtres, qui tentaient à toute force de maintenir l’oppression féminine, s’était élevé un vaste mouvement de femmes pour se réapproprier leur corps. La revue se place dans ce mouvement.
Dès les années 70, je voyais le danger de certaines revendications féministes : prendre les hommes comme des modèles à atteindre. Avec cette revue, j’ai voulu un milieu ouvert pour toutes les femmes qui luttaient en tant que femmes, qui cherchaient et disaient leur spécificité et leur force de femmes. Des centaines de femmes ont proposé leurs écrits et leurs œuvres plastiques, des dizaines ont apporté leur concours à toutes les tâches de la revue, aussi bien la lecture de manuscrits que la direction d’un numéro et/ou la participation à la maquette, et des milliers ont lu Sorcières. La revue a fait apparaître la richesse et la diversité des créations de femmes. Nombre des formes littéraires et artistiques ont été mises en avant avec une grande liberté: des poèmes, des textes de réflexion, des critiques, des nouvelles, des témoignages, ainsi que des peintures, des sculptures, des photos, des performances, des gravures, des dessins, etc.
Nous avons choisi des thèmes comme la nourriture, les odeurs, la mort, les prisonnières, l’art et les femmes, la nature assassinée, (c’est la naissance de l’éco-féminisme), le sang ou encore la théorie.
La revue, je le crois, a ouvert un mouvement historique de recherches, plurielles, vivantes, contrastées, autour de l’art, de la littérature et de la pensée. Cette expérience n’a peut-être pas été vaine, en faisant advenir des écritures, des œuvres, qui ne nient pas la différence des sexes mais proposent au contraire, d’autres rythmes, d’autres scansions et explorent, un peu, le “ continent noir. ”
Que pensez vous du mouvement féministe de 2020 ?
Il ressemble beaucoup à celui d’il y a cinquante ans : multiple, divisé mais vivant. La grande différence est dans la forme, avec la rapidité des moyens de communication. Sans internet, nous ne savions pas, ou peu, que des millions de femmes à travers le monde sont tuées à la naissance, ou même avant, tuées à force de viols, tuées à force de coups, lapidées à mort, excisées à mort, avortées clandestines à mort, mariées à mort, parfois à 12 ans etc. Je ne pourrais plus écrire, comme dans le manifeste de la revue Sorcières, « leur force est invincible »… Mais je persiste à penser qu’elles sont de puissantes créatrices et qu’il est bon de le faire savoir. Il y a un fort mouvement en ce sens actuellement. Un collectif de doctorantes, ayant d’abord pris pour nom » les parleuses « , a le projet de faire une nouvelle édition d’un recueil de poèmes que j’ai publié aux éditions des Femmes en 1974. Ce livre Rose saignée n’hésitait pas à dire l’horreur d’une grossesse indésirée et à faire fluctuer à travers les pages, le beau sang rouge des règles. Ces jeunes femmes me donnent la main à travers les générations…
Auriez vous un message à communiquer aux féministes d’aujourd’hui ?
Femmes et fières de l’être ! C’est la belle tendance des mouvements actuels. Photos
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
Photo de Une : Xavière Gauthier lors d’une manifestation pour le droit à l’IVG en 2017