Articles récents \ France \ Société Les femmes en première ligne dans l’accompagnement scolaire des enfants à la maison

Comment éviter que le confinement ne déchire davantage le tissu social, en particulier par le biais du télé-enseignement décidé par le ministre de l’Éducation nationale ? Pendant ce temps si particulier, nombre de musées et d’institutions culturelles mettent des contenus passionnants à la disposition de toutes celles et ceux qui disposent d’un ordinateur, d’une connexion internet et du bagage culturel nécessaire à leur utilisation (expositions, spectacles, concerts, archives, photos, films, documents pédagogiques etc.) Mais il est très inquiétant de constater que ce confinement ne va qu’accentuer davantage la fracture numérique entre les personnes et les familles qui disposent d’ordinateurs, de compétences informatiques, de connexions fiables et du bagage culturel requis pour leur utilisation et celles qui n’en disposent pas. Nous en avons tout.es besoin pour aider les enfants à suivre leurs programmes scolaires, répondre aux demandes de leurs enseignant.es, ou encore pour s’informer, élargir leurs connaissances et réflexions ou se distraire pendant ces journées cloîtrées à la maison.

Nombre de mamans, en particulier dans les milieux populaires et les classes moyennes, se sentent dépassées par la pression qui est mise sur leurs enfants et s’inquiètent de leur avenir scolaire. Très majoritaires dans les familles dites « monoparentales », parfois en télétravail ou encore obligées de laisser leurs enfants seul.es une partie de la journée pour aller travailler, les femmes sont en première ligne dans l’accompagnement scolaire des enfants à la maison. On ne peut que dénoncer le fossé immense qui se creuse entre les déclarations normatives et technocratiques du ministre de l’Education et leurs réalités quotidiennes avec des enfants angoissé.es, largué.es, rebelles et/ou dégoûté.es devant ce qui leur est demandé et parfois leur impossibilité d’y répondre (faute d’ordinateur, d’imprimante, de connexion ou de compréhension de ce qui est demandé…). Dans l’article de Médiapart sur ce sujet, Milouda témoigne de sa situation qui semble inextricable : « je suis à bout, j’ai lâché, je ne peux plus rien faire, on ne fait plus rien du tout. Je n’arrive pas à lui expliquer les cours. Je me sens impuissante de ne pas pouvoir faire d’autres exercices. J’ai du mal à avoir les devoirs aussi, car je n’ai pas le matériel. Comme je suis arrivée tard du Maroc, je n’ai pas le niveau et je ne sais pas quoi faire. Mon fils ne se sent pas bien, il se dit qu’il est nul ».

La décision de fermer les établissements scolaires a été très brutale, ce qui a engendré de la précipitation et un manque de réflexion à la fois sur le fond et sur la forme que pouvait prendre ce télé-enseignement immédiatement vanté et promu et auquel les enseignant.es n’avaient jamais été préparé.es et pour lequel elles/ils sont souvent bien peu soutenu.es par leurs établissements et leurs académies. Celles/ceux qui s’en sortent le mieux sont celles/ceux qui mettaient déjà leurs cours en ligne et utilisaient les technologies numériques pour créer leurs documents pédagogiques. Pour les autres, c’est sauve-qui-peut et improvisation, avec un manque de recul sur la capacité des élèves à travailler par elles/eux-mêmes hors de l’école et souvent un manque de connaissance sur les conditions de vie et d’encadrement familial des enfants. De quel matériel et outils disposent les élèves ? Sont-elles/ils en capacité de les utiliser ? Ont-elles/ils des proches en capacité de les aider et de les guider dans leurs apprentissages ? Disposent-elles/ils seulement d’un endroit tranquille pour travailler ? Ne vivent-elles/ils pas un confinement tellement difficile et anxiogène que le travail scolaire en devient impossible ?

Et puis, il y a les très nombreux enfants qui ne sont pas « dans la norme », celles/ceux qui ont des handicaps plus ou moins graves, des problèmes d’attention ou d’hyperactivité, des retards ou lacunes scolaires importants, qui vivent dans des squats ou des foyers, qui ne maîtrisent pas la langue française, qui sont en garde alternée ou à l’hôpital etc… Il y a donc des situations très différentes à la fois dans les outils de télé-enseignement proposés par les enseignant.es et dans les possibilités qu’ont les élèves d’y répondre.

Toujours sur Médiapart, France résume bien le sentiment de nombreux parents : « C’est un peu culpabilisant. J’ai l’impression d’être l’artisan de l’échec de nos enfants. Il y aura deux camps. Ceux qui auront su et ceux qui n’auront pas pu. Je ne comprends pas l’acharnement à maintenir tout cela. À part quelques ados qui ont le plaisir de l’apprentissage, on va dégoûter cette génération parce qu’on ne veut pas prendre en compte la réalité. On marche sur la tête. Il y a une pandémie, des gens vont mourir, mais il faut que tu passes ton bac. On ne peut pas fonctionner normalement quand rien ne fonctionne normalement. »

Aujourd’hui, de nombreux parents et enfants ont déjà baissé les bras devant une tache impossible à accomplir et redoutent un retour à l’école qui sera problématique. Leurs camarades vivant dans des familles plus aisées auront bénéficié d’activités éducatives et culturelles variées et du soutien de leurs familles, d’ami.es ou de professionnel.les rémunéré.es afin d’acquérir et d’assimiler de nouvelles connaissances, augmentant encore l’écart avec les enfants les moins favorisés. Alors, toujours sur Médiapart, Eva plaide pour l’arrêt de l’école à la maison : « Il est impossible d’enseigner et de télétravailler en même temps. Stopper les cours desserrerait la pression, mettrait tout le monde à égalité, même si on sait que les CSP+ ne laisseront pas leurs enfants devant la télé. Mais du point de vue de l’institution, il n’y aura pas d’injonction remplie d’un côté et pas de l’autre… »

Le soutien scolaire ou l’accompagnement au confinement des enfants qui en ont besoin devraient être partiellement pris en charge par celles et ceux qui en ont le temps et la possibilité. Beaucoup de réseaux de solidarité se développent entre voisin.es ou citoyen.nes, le soutien à l’éducation des enfants doit en faire partie. SOS Racisme (1) vient justement de se mobiliser sur cette question, se lance dans le soutien scolaire et a besoin de nous !

Par ailleurs il semble absolument nécessaire que tout.es les élu.es s’emparent de cette question, proposent des aides au niveau local pour les enfants du primaire, et imposent une clarification des attentes et demandes du ministre de l’Education nationale afin d’éviter un naufrage scolaire aux enfants les plus fragiles et la culpabilisation de trop nombreux parents, en particulier les mères, qui sont certes des éducatrices/éducateurs, mais pas des enseignant.es !

Afin de ne pas rajouter à cette période critique une injustice de classe, il est fondamental que l’Éducation nationale apporte à chaque élève les connaissances, les outils et le soutien dont elle/il a besoin.

Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine

1 SOS Racisme : en cette période de confinement, de nombreux jeunes peinent à suivre sereinement leur scolarité : environnement familial peu propice à la concentration, difficulté d’accès aux cours, manque de matériel, disparités dans l’accès à internet, professeurs parfois dépassés, etc. Face à ce constat, SOS Racisme et le syndicat lycéen la FIDL ont décidé d’agir en mettant en place un système de soutien scolaire totalement gratuit à destination des élèves de la troisième à la terminale. Une adresse email est accessible pour les jeunes ayant besoin d’aide, pour les parents, mais aussi pour les citoyen.nes, et notamment les étudiant.es, désireuses/désireux d’apporter leur soutien à la jeunesse : soutienscolaire@sos-racisme.org

Photo de Une : association Images Buissonnières. Ecole élémentaire Roger Sémat, Saint-Denis CM1+

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