DOSSIERS \ Ces femmes dans nos oreilles Margaïd Quioc — YESSS Podcast
Dans le vaste monde des podcasts féministes,Yesss est une émission jeune (le podcast a été créé en décembre 2018) mais indispensable. Lassées de la tendance à la victimisation des femmes, les trois créatrices Anaïs Bourdet, Elsa Miské et Margaïd Quioc ont décidé d’avoir une approche en contrepied. Dans Yesss, des femmes, nommées les Warriors, témoignent de leurs victoires sur le sexisme quotidien, et ça fait du bien ! Rencontre avec Margaïd Quioc.
Comment est née l’idée de Yesss?
Tout est parti d’un appel à projet d’une fabrique de podcasts marseillaise, la Podcast Factory. En voyant cela, j’ai directement pensé à Anaïs Bourdet que j’avais déjà rencontré(e) plusieurs fois pour des interviews et des reportages. J’étais persuadée qu’elle aurait des choses à dire, et j’espérais qu’elle aurait envie de s’emparer de ce médium-là. Elle a tout de suite accepté de réfléchir à l’idée avec moi ainsi qu’avec une de ses amies, Esla Miskéqui venait du monde des podcasts.
Nous avons réfléchi ensemble. Au début, nous ne savions pas exactement ce que nous voulions. Nous avions l’envie de faire un podcast féministe, mais sans trop savoir quelle approche choisir, jusqu’à ce que nous nous rendions compte que toutes les trois nous en avions un peu assez d’entendre et de ne voir que des témoignages qui donnaient la parole aux femmes en ne les présentant que comme des victimes, souvent avec des histoires très déprimantes.
C’est en tirant ce fil-là que nous avons décidé de partager des récits de femmes qui combattent le sexisme au quotidien. Qui de mieux pour raconter la lutte contre le sexisme au quotidien que les femmes elles-mêmes ? Toutes les femmes combattent le sexisme avec leurs propres armes, et c’est cela que nous avons voulu mettre en valeur. Nous partageons les témoignages de femmes qui ne sont pas des expertes et ne sont pas mises en avant dans les médias pour raconter des histoires de sexisme ordinaire et pour montrer quels outils et quelles ripostes nous pouvons mettre en place très simplement avec nos auditrices et nos auditeurs.
Pourquoi avoir choisi le thème du sexisme dans l’espace public pour votre premier épisode ?
Il a très vite été évident pour nous qu’il fallait lancer notre podcast sur ce sujet. D’une part, cela nous permettait de faire le lien avec tout le travail qu’Anaïs avait fait avec Paye Ta Shneck. D’autre part, parce que c’est l’émergence de ce sujet qui n’avait pas été abordé auparavant qu’une nouvelle génération de féministes a commencé à se construire autour des années 2010-2012.
Le problème de la place des femmes dans l’espace public a toujours existé : ma mère, par exemple, m’a raconté de nombreuses histoires qui relèvent du harcèlement. Mais jusque là, le sujet n’était pas exprimé par les féministes. En tant que petites filles et jeunes femmes, nous sommes prévenues que les discriminations sexistes existent et que nous allons probablement en subir. Mais pour moi, comme pour énormément de féministes de ma génération, c’est vraiment à travers le sujet du sexisme dans l’espace public que j’ai eu le déclic de me dire que j’étais directement concernée par le sexisme de manière quotidienne. J’avais bien conscience que le sexisme existait, mais je n’arrivais pas à mettre de mots sur mon expérience en tant que femme, et quand on a commencé à parler de harcèlement de rue, je me suis reconnue.
Considérez-vous votre podcast comme un espace non-mixte ? Quels messages espérez-vous passer aux hommes qui vous écoutent ?
Dès le début, nous avions le désir de nous adresser aux femmes, mais aussi aux hommes, parce que nous sommes toutes les trois persuadées que la fin du patriarcat ne se fera pas sans l’aide active des hommes.
Nous voulions créer un espace pour les personnes qui vivent les oppressions et le sexisme, mais il y quand même beaucoup d’hommes qui nous écoutent. Dans plusieurs épisodes, nous nous adressons directement à eux pour leur expliquer comment être de bons alliés. Dans l’épisode « Warriors en soirée », nous avons par exemple essayé de sensibiliser les auditrices et les auditeurs au fait que, dans certaines conditions où les femmes sont plus vulnérables, il est important de faire attention à ses copines. Ce message s’adresse à tout le monde. N’importe quelle personne qui est témoin d’une agression sexiste peut réagir. Il n’y a pas besoin d’être une femme ou d’avoir vécu cela.
De manière générale, notre podcast est un espace non-mixte, à l’exception de notre épisode « Warrios LGBTQI+ » où nous avons souhaité donner la parole à des hommes trans et à des personnes intersexes.
A votre avis, comment se fait-il que le féminisme se soit emparé du médium des podcasts ?
Pour nous, le podcast était surtout une question pratique. Nous ne voulions pas nous déplacer pour aller recueillir des témoignages, nous demandons aux personnes qui veulent témoigner de s’enregistrer elles-mêmes avec leur smartphone. C’est très important, parce que nous somme basées à Marseille et que si nous devions faire nos interviews en personne, nous resterions dans nos cercles géographique et socio-culturels. Nous tenions beaucoup à éviter ce piège.
Nous tenions aussi énormément à l’aspect sonore. Même si pour beaucoup de femmes, se replonger dans le souvenir d’une d’agression est un exercice difficile, il est quand même plus simple de le faire dans un format audio. Nous demandons aux personnes qui témoignent de s’enregistrer comme si elles parlaient à une amie. Cela rend la chose très intime. Je trouve c’est justement le son qui permet cette intimité. Avec la vidéo, le dispositif est beaucoup plus impressionnant. L’objet sonore est bien plus fort, il crée un lien entre la la personne qui témoigne et celle qui écoute. C’est pour cela que les podcasts marchent aussi bien ; c’est la force du son et de la radio en général.
Faire un podcast féministe est-il un acte militant ?
Je me considère comme féministe, mais pas forcément comme militante féministe. Je me considère comme une journaliste féministe et engagée.
Mais oui, forcément, dans le podcast il y a un aspect militant ! Cela permet de faire passer des messages. Nous le faisons parce que nous sommes convaincues que c’est important de faire exister cet espace-là d’expression.
Léonor Guénoun 50-50 Magazine