Articles récents \ Île de France \ Société Nathalie Ledée : « Je travaille depuis 20 ans pour mieux comprendre cette «boite noire» que représente l’implantation embryonnaire »
Nathalie Ledée est responsable du service d’Assistance Médicale à la Procréation de l’Hopital Les Bluets et directrice de la start-up Matrice Lab Innove hébergée à la Pépinière Paris Santé de Cochin. Gynécologue obstétricienne et chercheuse, elle a innové dans les techniques de PMA. Son avis de scientifique nous éclaire.
Quel est votre parcours ?
J’ai deux casquettes : je suis la moitié du temps gynécologue obstétricienne, dirigeant un service de médecine de la reproduction dans l’Est Parisien. L’autre moitié de la semaine est dédiée à l’innovation où je conseille des docteur.es à travers le monde.
Je travaille depuis 20 ans pour mieux comprendre cette « boite noire » que représente l’implantation embryonnaire. Apres avoir fini ma formation en gynécologie-obstétrique, j’ai repris mes études et fait une thèse en immunologie de la reproduction dont le sujet était l’échec d’implantation embryonnaire. A l’époque, il n’existait aucune voie ou hypothèse de recherche. En 2004, à la fin de ma thèse de sciences, mon équipe INSERM et mon directeur de thèse Gérard Chaouat ont été sélectionnés pour coordonner un réseau d’excellence européen sur l’implantation embryonnaire (REX EMBIC). J’ai alors travaillé pendant 4 ans avec 18 équipes européennes. J’étais la seule clinicienne et j’étais en charge de développer des applications cliniques. Ce réseau de recherche a permis de faire émerger de nouvelles manières de penser.
En quoi vos recherches sont-elles originales ?
Ce qui est original c’est que je pars de l’échec et du mécanisme immunologique générant ces échecs. Un embryon est toujours différent génétiquement de sa mère du fait des gènes du père. Il existe donc des mécanismes de tolérance immunitaire très spécifiques pour permettre le début de la vie. Nous avons la placentation la plus compliquée du règne animal.
Pour la médecine de la reproduction, les progrès se sont concentrés depuis 30 ans sur l’embryon mais nous n’avons pas abordé la capacité des femmes à recevoir ces embryons. Certain.es s’imaginent que la femme est un réceptacle où on poserait l’embryon et qu’il devrait s’implanter or chaque femme est différente et son utérus réagit de façon unique à l’embryon.
Mes recherches tentent d’identifier avec précision le mécanismes utérin à l’origine des échecs d’implantation embryonnaires ou des fausses-couches. Sur la base d’un diagnostic précis, nous guidons les docteur.es afin qu’elles/ils personnalisent les traitements pour neutraliser les déséquilibres mis en évidence. Certain.es néanmoins s’opposent à toute innovation, principalement parce que l’immunologie est une discipline qui n’était pas enseignée à leur époque.
D’une manière générale, une innovation met en moyenne 10 ans avant d’être acceptée, on est dans cette phase.
Comment les femmes réagissent elles dans le cadre de la PMA ?
Les femmes ont instinctivement travaillé avec les innovations car elles veulent un résultat. Elles mêmes veulent à présent comprendre le pourquoi de l’échec et ne veulent pas de protocoles répétitifs inadaptés. Elles interrogent les pratiques et sont parties prenantes de ce qu’elles traversent. Il n’y aura pas de retour en arrière : les docteur.es devront s’adapter.
Etes-vous satisfaite des résultats de vos recherches ?
Oui mais cela peut encore progresser. Quand on diagnostique une dérégulation et que l’on parvient à la corriger, on double le taux de naissances. Il n’y a à l’heure actuelle aucune innovation en reproduction qui décrive une telle augmentation des naissances. Mais le chemin est encore long…
Pouvez vous nous parler du test que vous avez inventé ?
Lors d’un cycle menstruel, les femmes ont une fenêtre de 4 jours (une semaine après l’ovulation) ou une réaction immunitaire utérine très spécifique survient pour non seulement accepter un embryon mais également le nourrir et le défendre. Un déséquilibre à ce moment-la peut aboutir à un échec d’implantation, une fausse couche ou une grossesse qui se révélera comme pathologique.
Nous recevons donc des fragments d’endomètre prélevés précisément lors de cette période par aspiration. Par biologie moléculaire, nous cherchons à identifier le déséquilibre pouvant générer les échecs. En fonction du diagnostic, nous envoyons à/au docteur.e les conseils de personnalisation pour contrer le déséquilibre.
Nous sommes les seul.es au monde pour l’instant à développer un outil de personnalisation du soin basé sur l’aptitude maternelle à recevoir un embryon, Je travaille beaucoup avec la France mais aussi avec La Finlande, le Vietnam, l’Angleterre, La Belgique, les DOM TOM. Ce réseau s’est développé spontanément via le bouche à oreille, la demande est énorme. Nous sommes en train de travailler sur l’automatisation de la méthode pour pouvoir la diffuser à travers le monde.
Votre avis sur la PMA pour toutes.
Je suis tout à fait favorable à la PMA pour toutes et j’estime qu’on devrait aider les femmes à procréer de toutes les manières, qu’elles soient hétéros ou homos. Il faut non seulement les aider avec une technologie de pointe mais les aider socialement. Les femmes devraient être récompensées de procréer et non discriminées. Elles prennent des risques en procréant car il y en a toujours.
En tant que femme avez-vous été promue facilement, ou avez-vous eu des difficultés spécifiques ?
Aucune femme clinicienne de ma discipline et de ma génération n’a été nommée. Pourtant au moins 5 avaient tous les prérequis. Donc oui ma génération a souffert. Mais je crois que nous avons fait le travail pour que cela ne concerne pas la génération suivante.
Dans mon cas, mon orientation vers la recherche m’a pénalisée. J’ai commis le crime de lèse majesté de refuser un poste hospitalo-universitaire, on m’en tient encore rigueur aujourd’hui. Etre électron libre et femme ne passait pas !
Par contre, les chercheur.es et l’Inserm m’ont soutenue sans faille tout au long de ces années.
Quel est l’avenir de la PMA pour vous ?
La médecine de la reproduction doit être plus performante, plus personnalisée, plus humaine aussi.
Actuellement, j’entends plus parler de la PMA comme un marché financier en augmentation de 10% par an que comme une médecine au service des couples.
Le vrai problème c’est qu’on ne peut rajeunir les femmes. Notre période de fertilité est dramatiquement courte (optimale de 20 à 35 ans) et cela ne changera pas. Il faut que la société et le monde professionnel valorisent et aident les femmes à faire des enfants plus tôt car nous ne sommes pas moins productives en étant mères de famille. Les femmes doivent cesser d’être pénalisées professionnellement et les hommes doivent prendre leur part de paternité.
Que pensez vous de la GPA ?
Je pense que la GPA est acceptable dans de rares indications très spécifiques et uniquement quand elle est très encadrée comme en Belgique sans relation commerciale aucune. De mon point de vue de gynécologue obstétricienne, il existe toujours un risque vital non négligeable pour la femme qui porte. La GPA doit être une exception. La transplantation utérine me parait une voie de recherche plus prometteuse.C’est la raison pour laquelle La demande de GPA, pour les couples d’homosexuels, est de mon point de vue irrecevable du fait du danger possiblement vital pour la mère porteuse. Par contre, je trouve qu’il faudrait faciliter l’adoption pour ces couples.
La placentation humaine est extrêmement complexe. Pendant les 3 premiers mois de grossesse, la femme est littéralement envahie par le placenta (comme un cancer). Cette invasion est la clef pour permettre aux fœtus humain d’avoir le cerveau qu’il a. Le revers de la médaille est que l’on peut mourir de cet envahissement.
Le terme « clamser » vient de cette pathologie placentaire la prééclampsie où les femmes mourraient en couche. C’est une spécificité humaine et le prix que nous devons payer pour que nos petit.es aient un cerveau d’humain. Bien sur maintenant, on dépiste systématiquement les premiers symptômes mais cela reste grave. Il faut toujours garder en mémoire que les femmes prennent des risques en donnant la vie.
Bref, la GPA n’est pas une option qui doit être généralisée car les femmes ne sont pas un simple réceptacle dans lequel on met un embryon.
On doit aider les femmes à faire des enfants sans risque et pour cela, il faudrait que toute la société s’y mette en ne pénalisant pas les femmes qui procréent et en leur permettant en premier lieu de faire des enfants avant 35 ans.
Avez-vous un message à faire passer aux jeunes femmes qui s’engagent dans le domaine scientifique ?
Oui, il faut toujours suivre ses rêves.
Propos recueillis par Roselyne Segalen 50-50 Magazine