Articles récents \ France \ Politique 2020 sera-t-elle l’année de la réforme du congé de paternité ?
En 2001, le congé de paternité et d’accueil de l’enfant est voté par le Parlement. Le dispositif, très rapidement approprié par les pères, est un succès. Mais… les féministes auraient donc eu raison ! Et, n’ont-elles/ils pas encore raison lorsqu’elles/ils plaident pour un congé deuxième parent obligatoire et égal à celui des femmes qui accouchent ? Après la déception ressentie par les associations féministes à l’issue du Grenelle contre les violences, celles et ceux qui se battent pour l’égalité femmes-hommes seront-elles/ils entendu.es par le gouvernement ?
En 18 années d’existence, le droit au congé de paternité n’a pas été modifié. Encore aujourd’hui, les pères ont 11 jours (calendaires) payés par l’État pour accueillir la naissance de leur enfant. Ces 11 jours se cumulent aux 3 jours de congé de naissance accordés par l’entreprise. En tout, les hommes bénéficient donc de 14 jours de congé de paternité, 18 jours si naissances multiples (1).
Si en 2001 la durée du congé de paternité pouvait sembler suffisante (voire même trop longue à l’époque pour le Medef), elle est aujourd’hui globalement jugée ridiculement courte par les associations féministes, mais aussi par les syndicats. En 2018, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, et Laurence Parisot, présidente d’honneur du Medef, avaient ainsi signé dans Le Parisien une tribune du Collectif pour une Parentalité Féministe (le Pa.F) demandant un congé deuxième parent long et obligatoire. Le congé de paternité semble également ridiculement court lorsqu’on le compare à ce qui se fait ailleurs dans le Monde: au Québec, le congé de paternité dure 5 semaines et est indemnisé par le Régime Québécois d’Assurance Parentale, en Norvège, il est de 14 semaines payées (ce qui explique l’absence .
En France, les pères qui souhaiteraient prolonger leur temps auprès de leur enfant et de leur compagne peuvent toujours faire appel au dispositif de congé parental. Mais les 400€ qu’il permet de toucher en contrepartie sont particulièrement dissuasifs, notamment si Monsieur gagne plus que Madame, comme c’est encore souvent le cas. Ainsi, seuls 6 % des personnes qui demandent à bénéficier du congé parental sont des hommes.
70 % des pères prennent leur congé de paternité
Le second problème que soulève actuellement le congé de paternité est celui de son caractère non obligatoire. Les pères ne sont pas tenus de faire valoir leur droit à congé, à l’inverse des femmes qui accouchent, qui sont dans l’obligation de prendre au moins 8 semaines de congé (2 en pré-natal, 6 en post-natal) sur les 16 dont elles bénéficient (hors 3ème enfant ou grossesses multiples). En 2018, ils étaient encore trois pères sur dix à ne pas bénéficier de leur congé, comme le montre l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS). Dans son rapport, l’IGAS montre en outre que le taux de recours au congé dépend pour beaucoup de la catégorie socio-professionnelle du père. Ainsi, le recours au congé de paternité est plus élevé chez les pères ayant un emploi permanent (80 % pour les CDI) ou fonctionnaires (88 %), que pour ceux dont l’emploi est précaire ou instable (48 % en CDD), ou les demandeurs d’emploi (13 %). L’IGAS explique ces taux de non recours par l’autocensure de certains pères qui ont peur d’être perçus négativement par leurs collègues ou leur hiérarchie, par le manque d’informations concernant le droit au congé et par une charge de travail jugée trop importante pour prendre un congé. En tout état de cause, peu de pères ne prennent pas leur congé parce qu’ils le jugent « inutile » : entre 6 et 13 %. Un congé de paternité obligatoire, calqué sur le modèle du congé de maternité, contribuerait à ce que chacun.e puisse accueillir son enfant dans les meilleures conditions, tout en contribuant à la construction d’une société nettement plus égalitaire.
« Le congé de paternité est l’une des conditions sine qua non de l’égalité femmes-hommes »
« La parentalité repose encore en majorité sur les femmes » constate Amandine Hancewicz, cofondatrice et présidente de l’association Parents & Féministes. Cette association s’est créée autour d’un groupe de femmes ayant fait l’expérience de difficultés durant leur congé de maternité, explique-t-elle. « Nous sommes nombreuses à avoir souffert physiquement durant cette période, à avoir eu des difficultés de récupération et à avoir constaté un pic d’inégalités dans le partage des tâches pendant la période de congé de maternité post-partum ». En se rassemblant, les femmes du groupe ont réalisé que les problématiques qu’elles avaient connues ou connaissaient étaient globales et liées aux conditions dans lesquelles les femmes et les hommes deviennent parent.es. « Les inégalités parentales se creusent au moment de l’arrivée de l’enfant et se transforment ensuite en inégalités professionnelles. Le temps que les femmes passent à s’occuper des tâches domestiques durant leur congé, c’est du temps qui n’est pas investi dans leur récupération physique, leur travail ou dans une activité citoyenne. Et cela se répercute ensuite, par ricochet, sur leur niveau de salaire » déclare la présidente de l’association. Une réforme du congé de paternité aurait, entre autres, le mérite de faire peser le « risque » professionnel qu’est, dans les faits, la parentalité sur tous les parents et non simplement sur les mères (2).
Marie-Nadine Prager, membre du bureau de la Pa.F, estime que « le congé de paternité est l’une des conditions sine qua non de l’égalité femmes-hommes ». Encore faut-il que le congé de paternité réponde à quelques pré-requis. La Pa.F plaide pour un congé dit « deuxième parent » long, obligatoire et bien payé, commençant à la naissance de l’enfant et se poursuivant après la reprise du travail de la mère biologique. Cette option permet à la fois la simultanéité de la présence des deux parents auprès de l’enfant, le soutien de celle qui vient d’accoucher par sa/son conjoint.e et l’indépendance de cette/ce dernièr.e. Un tel congé permettrait en outre de dépasser la très peu inclusive dichotomie congé de paternité/maternité, et d’inclure tous les parents, peu importe leur genre.
« Ce n’est pas un coût, mais un investissement »
D’après Marie-Nadine Prager, deux obstacles s’opposent principalement à un congé deuxième parent égal au congé de maternité. Le premier est, sans surprise, culturel : « il y a des représentations traditionnelles persistantes qui assignent les fonctions de soin de l’enfant aux mères, faisant des pères des aidants accessoires » explique-t-elle. Ces représentations ont néanmoins beaucoup évolué ces dernières années, comme nous le montre par exemple la vidéo « Qui est le meilleur daron de Youtube ? » dans laquelle cinq vidéastes (dont le bien connu Norman) revendiquent avec fierté leur paternité. Le succès d’une telle vidéo, déjà visionnée plus de 5 millions de fois, aurait été bien improbable il y a encore quelques années.
Le second obstacle, le plus explicite, est d’ordre budgétaire. L’allongement du congé de paternité imposerait de lourdes dépenses immédiates. On se souviendra de la sortie d’Emmanuel Macron lors des débats sur le congé parental européen, que l’on peut transposer au cas du congé deuxième parent : « J’en approuve les principes, mais c’est une belle idée qui peut coûter très cher et finir par être insoutenable ».
« Nous considérons que cela n’est pas un coût, mais un investissement » rétorque Marie-Nadine Prager. Il semblerait que ce calcul « coût-avantages » ait d’ailleurs été fait par un certain nombre de grandes entreprises telles Google ou Netflix, qui ont adopté des mesures sociales internes favorables aux employé.es nouvellement parents. Le groupe de luxe français Kering avait également fait parler de lui en septembre 2019 en annonçant la création d’un « congé bébé » d’une durée de 14 semaines à disposition de tous les nouveaux parents. « Tant mieux pour les salari.ées de ces grandes entreprises, mais le congé deuxième parent est une question de santé publique, de justice et d’égalité. Pour que tout le monde en bénéficie, il faut une politique publique » tempère la Présidente de Parents & Féministes.
Et, à propos de politique publique, « la classe politique commence à s’emparer de ces sujets, parce que le monde économique s’en empare et parce qu’il y a un décalage massif entre les attentes de la société et la réalité » estime Marie-Nadine Prager. Dernièrement, Bruno Le Maire, ministre de l’économie, et Marlène Schiappa, secrétaire d’État à l’égalité femmes-hommes, ont ainsi lancé une consultation sur l’égalité femmes-hommes dans l’économie qui aboutira à un projet de loi présenté au printemps 2020. La question de la réforme du congé de paternité ne va donc pas tarder à émerger dans le débat public. D’autant plus que le rapport présentant les recommandations de la Commission pour les 1000 premiers jours de l’enfant sera remis au gouvernement en février prochain ! Lors de cette commission, qui s’est ouverte en septembre 2019, le sujet des congés de parentalités a été longuement abordé, notamment par Parents&Féministes qui était participante. « Nous espérons avoir pu contribuer à ce que cette commission recommande un allongement du congé deuxième parent, ce qui devrait être le cas puisque les personnes qui s’occupent du congé pat’ dans cette commission sont une norvégienne et une québécoise » déclare Amandine Hancewicz, optimiste.
Il semblerait donc que nous nous dirigions à grands pas vers une réforme de nos congés de parentalité. Mais… dans quelle mesure ? Affaire à suivre.
Bénédicte Gilles 50/50 Magazine
1 Depuis 2012, le congé de paternité est ouvert aux femmes dont la compagne vient d’accoucher. Un grand nombre d’associations demandent à ce qu’il soit renommé « congé deuxième parent », pour plus d’inclusivité.
2 Hélène Périvier, 2017, Réduire les inégalités professionnelles en réformant le congé paternité, OFCE policy brief 11, 13 janvier
Photo de Une: Peter Dlhy via Unsplash