Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Retraites des femmes, ni réforme par points, ni statu quo mais des progrès indispensables 3/3
Le projet de réforme des retraites entraînerait une régression sociale majeure, en dépit du discours lénifiant du gouvernement, et de Jean-Paul Delevoye, ex-ministre délégué à la réforme. Le système actuel n’est pas favorable à l’égalité femmes-hommes et les femmes ne bénéficieront pas non plus d’un meilleur traitement avec la réforme envisagée par le gouvernement. Comment améliorer le système de retraites pour tendre à l’égalité ?
Propositions pour améliorer les pensions des femmes et réduire les inégalités
Le projet de système par points n’est pas acceptable. Néanmoins, le système actuel doit être amélioré. Il doit intégrer l’objectif d’égalité de genre et permettre que toute personne se constitue des droits propres à une pension suffisante. Des dispositifs de solidarité doivent compléter les pensions pour les personnes aux carrières accidentées.
Ce texte présente quelques propositions qui privilégient le renforcement des droits propres plutôt que des droits dérivés. Ces propositions permettent de faire progresser le système de retraites dans son ensemble.
Tout d’abord, à partir du moment où la proportion de retraité·es augmente dans la population, il est normal que la part des dépenses de retraite dans la richesse produite augmente. Contrairement donc à ce qui est projeté par le gouvernement, qui souhaite plafonner les dépenses à leur niveau actuel (13,8 % du PIB), ce qui programmerait l’appauvrissement des retraité·es.
Augmentation du minimum de pension à hauteur du SMIC net pour une carrière complète, comme demandé par les syndicats.
Durée de cotisation requise pour une pension à taux plein : il faut mettre fin à l’allongement continu de cette durée qui devient de plus en plus irréalisable compte tenu de la situation de l’emploi et de la pénibilité des métiers. Les personnes nées en 1974 devront réunir 43 annuités de cotisation, mais en moyenne, elles n’ont validé leur première année de cotisation qu’à 23,4 ans 1, ce qui porte leur départ en retraite à plus de 65 ans. Les femmes ont toujours des durées validées plus faibles. Il est donc nécessaire de revenir à une durée réalisable par tous et toutes. Notre conception de l’égalité et du progrès n’est pas d’aligner la durée d’activité des femmes sur celle des hommes, mais de permettre aux femmes comme aux hommes de réduire leur durée de travail sans pénalisation financière et d’arriver à l’âge de la retraite en bonne santé.
Calcul de la pension : la réforme de 1993 a constitué une première étape de prise en compte élargie de la carrière. Dans le régime général, elle a fait passer le salaire de référence servant à calculer la pension, de la moyenne des 10 meilleures années à celle des 25 meilleures. Cette mesure a eu comme conséquence de faire baisser très sensiblement les pensions à la liquidation, et plus fortement encore celles des femmes. Il faut revenir à un calcul de la pension basé sur les 10 meilleures années, cette valeur peut être réduite pour les carrières courtes pour éviter de les discriminer. Par exemple, retenir une durée de référence égale au quart de la durée de carrière réalisée : 10 années pour une carrière de 40 ans, 8 années pour une carrière de 32 ans, etc.
Indexation de la pension 2 sur les salaires et non plus sur les prix : la règle actuelle d’indexation sur l’inflation 3 aboutit à un décrochage croissant du niveau des pensions par rapport aux revenus d’activité moyens (car ceux-ci progressent plus vite que l’inflation). Ce décrochage devient très fort sur des pensions servies pendant 30, 40 ans, et aboutit à une paupérisation des retraité·es les plus âgé·es, principalement des femmes.
Le dilemme des droits familiaux : les majorations accordées au titre des enfants restent indispensables pour atténuer les inégalités, mais leur modalité d’attribution ne doit pas pérenniser l’assignation des femmes aux tâches parentales. Dans la situation actuelle, ce sont encore très majoritairement les mères qui assument l’éducation des enfants et sont pénalisées au niveau de leur salaire puis de leur pension. La difficulté de concevoir des droits familiaux efficaces pour corriger cette pénalisation vient du fait qu’il n’est ni possible ni souhaitable de désigner les femmes comme bénéficiaires de ces droits ; d’une part, cela contrevient aux directives européennes contre les discriminations, d’autre part, cela signifierait que le système de retraite et donc la société entérine et pérennise les rôles sociaux inégalitaires des femmes et des hommes.
La meilleure solution pour réduire l’impact négatif des enfants sur les pensions des femmes est bien sûr d’agir en amont, pour empêcher la formation des inégalités (voir plus loin). Mais en attendant, elles sont une réalité aujourd’hui et il est indispensable de les corriger. L’option actuelle de laisser le couple choisir qui bénéficiera de la majoration pour enfant, en l’attribuant par défaut aux mères si le couple ne s’est pas prononcé, est probablement la moins mauvaise solution à cette étape. Les majorations doivent prendre la forme d’un forfait par enfant et non d’un pourcentage de la pension.
La pension de réversion peut être harmonisée par le haut avec un taux de 60 % et être étendue aux couples pacsés.
Mener une politique volontariste en amont de la retraite :
- En faveur de l’égalité salariale
Selon une étude réalisée par la Caisse nationale d‘assurance vieillesse (CNAV) en 2011 pour évaluer l’impact de l’égalisation par le haut des salaires entre les sexes, le gain annuel pour la seule CNAV (différence entre les ressources supplémentaires en cotisations et les dépenses supplémentaires) serait de 11 milliards d’euros environ lorsque l’égalité est atteinte. Montant loin d’être négligeable.
- En faveur de l’égalité des taux d’activité
Le taux d’activité des femmes est inférieur de 8 points à celui des hommes. La France ne se classe qu’au 16ème rang de l’Union européenne en ce qui concerne l’activité féminine. Il existe donc de larges marges de progrès possibles, en agissant pour supprimer les obstacles à l’emploi des femmes. De nombreuses femmes souhaiteraient en effet avoir un emploi, mais y renoncent ou bien se contentent d’un temps partiel par manque de solution pour accueillir leur enfant.
Si le taux d’activité des femmes était égal celui des hommes, l’effectif de la population active serait supérieur d’environ 6 % (2018). L’équilibre financier des retraites qui dépend du ratio actif cotisant par retraité·e en serait, là encore, sensiblement amélioré 4.
Pour la création de places de crèches permettant d’accueillir l’ensemble des enfants des moins de 3 ans, pour l’instauration d’une surcotisation patronale sur les emplois à temps partiels imposés
Pour un congé parental partagé à égalité entre les parents et véritablement rémunéré, pour une lutte à tous les niveaux contre les stéréotypes sexués.
La retraite est un choix de société. Le fait d’aborder cette question à partir de la situation des femmes permet de dégager des solutions de progrès pour toutes et tous.
Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac
1 Drees, Études et résultats n° 842.
2 Et aussi des salaires servant au calcul de la pension (dits salaires portés au compte).
3 Règle que les gouvernements sous Hollande comme sous Macron se sont autorisés à ne même pas respecter en sous indexant, voire en gelant les pensions…
4 Précisons qu’une plus forte participation des femmes sur le marché du travail n’est pas facteur de chômage mais au contraire initierait un cercle vertueux autour de la création d’emplois non délocalisables, et de la satisfaction de besoins sociaux. Précisons encore que, si de nouvelles cotisantes signifient, le moment venu, de nouvelles pensions à verser, ces pensions ne seront pas autant de dépenses supplémentaires de protection sociale, puisqu’elles les allocations sociales (minimum vieillesse…) qui auraient été versées à ces femmes n’auront plus raison d’être.
Photo: On arrête toutes
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