Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Retraites des femmes, ni réforme par points, ni statu quo mais des progrès indispensables 2/3

Le projet de réforme des retraites entraînerait une régression sociale majeure, en dépit du discours lénifiant du gouvernement, et de Jean-Paul Delevoye, ex-ministre délégué à la réforme. Le système actuel n’est pas favorable à l’égalité femmes-hommes et les femmes ne bénéficieront pas non plus d’un meilleur traitement avec la réforme envisagée par le gouvernement. Comment améliorer le système de retraites pour tendre à l’égalité ?

Système actuel

Des majorations de durée d’assurance (MDA) sont attribuées pour chaque enfant : elles représentent dans le régime général 4 trimestres pour les mères au titre de la maternité, et 4 autres trimestres pour le père ou la mère, au choix du couple, au titre de l’éducation. Ce choix doit intervenir avant les 4 ans et demi de l’enfant. Par défaut, les 4 trimestres vont aux mères. Dans la fonction publique, c’est seulement 2 trimestres par enfant 1 qui sont attribués à la mère au titre de la maternité, complétés éventuellement par une validation de période d’interruption d’activité de l’un ou l’autre des parents, période qui peut aller jusqu’à 3 ans.

En plus des MDA, une majoration de 10 % de la pension est attribuée à chacun des parents de 3 enfants et plus. Elle est assez unanimement reconnue comme injuste : du fait qu’elle est proportionnelle à la pension et que celle des hommes est plus élevée en moyenne, elle leur rapporte davantage qu’aux femmes : les hommes sont ainsi bénéficiaires des deux tiers des 8 milliards de cette majoration, alors que ce sont très majoritairement les femmes qui sont pénalisées par l’éducation des enfants. Ce dispositif contribue à augmenter les inégalités de pension entre les sexes.

Système projeté

Il est prévu une majoration de pension de 5 % par enfant, qui pourra être attribuée au choix du couple soit totalement à l’un ou l’autre des parents, soit par moitié à chacun des parents. Sans choix exprimé, elle ira par défaut aux mères. Cette majoration remplace donc à la fois la majoration de 10 % pour 3 enfants et plus, et les MDA (jamais mentionnées) qui sont supprimées.

La majoration envisagée reproduit le même défaut que celle de 10 %

Le fait que cette majoration soit établie en proportion de la pension (5 % par enfant) et non en forfait par enfant reproduit l’injustice de la majoration de 10 % pour 3 enfants qui bénéficie essentiellement aux hommes. Il y a fort à craindre en effet que les couples privilégient l’attribution de la majoration au père du fait qu’il aura, très probablement, la pension la plus élevée : ce sera plus intéressant sur le plan financier au niveau global du couple, mais que se passera-t-il en cas de séparation, ce qui arrive de plus en plus fréquemment ?

La majoration de 5 % par enfant est-elle avantageuse pour les femmes ?

Les femmes salariées du privé ayant un ou deux enfants verraient la majoration de 8 trimestres par enfant remplacés par une majoration de 5 % de leur pension par enfant, (tout au moins si le couple choisit de l’attribuer à la mère). Est-ce plus favorable ? Le rapport ne fournit pas de simulation.

Les mères de 3 enfants seront perdantes

En tout cas, pour les mères de trois enfants, il est simple de faire une évaluation. Dans le nouveau système, cette majoration serait de 15 % (5 % par enfant) – on prend l’hypothèse où la majoration est attribuée à la mère – au lieu de 10 % actuellement. Mais cela ne représente pas un gain de 5 % de sa pension car la MDA disparaît. Or celle-ci est conséquente puisqu’elle attribue, au régime général, 24 trimestres (soit 6 annuités) pour 3 enfants.

Les trimestres de MDA, en s’ajoutant à ceux cotisés au titre de l’emploi, contribuent à augmenter le montant de la pension. Une évaluation est proposée en annexe pour une femme de la génération 1946, employée, mère de 3 enfants, qui a accompli une carrière moyenne. Pour cette femme, aujourd’hui retraitée, la MDA a représenté une majoration de 13 % de sa pension. Au total, les 3 enfants lui apportent donc une majoration de pension de 10 % + 13 % = 23 %. Avec le système projeté, ils ne lui apportent qu’une majoration de 15 % : sa pension subirait donc une perte de 8 %. Sans oublier que pour le bilan global du couple, il faut ajouter la perte de la majoration de 10 % de la pension pour le père ! Ce n’est certes qu’une évaluation pour un cas particulier, mais elle est révélatrice. Le nouveau système assurerait à n’en pas douter des économies sensibles aux dépens de ces droits familiaux.

Réversion : recul sur les conditions d’ouverture du droit et baisse du montant pour des personnes aux pensions pourtant faibles

Rappelons que les femmes représentent 90 % des bénéficiaires d’une pension de réversion et que celle-ci constitue aujourd’hui en moyenne le quart de la pension des femmes et une part négligeable de celle des hommes.

Actuellement, il existe une treize dispositifs de réversion, avec des taux de pension allant de 50 à 60 %, des conditions différentes sur l’âge d’ouverture du droit, sur la possibilité de remariage et l’existence ou non de conditions de ressources. Il est bienvenu de chercher à les harmoniser mais cela ne nécessite pas de changer de système. L’harmonisation telle qu’envisagée acte un vrai recul sur plusieurs plans.

Tout d’abord, un recul important sur l’âge : le droit à réversion ne sera ouvert qu’à l’âge de 62 ans, alors qu’il est aujourd’hui de 55 ans au régime général et pour la plupart des régimes, de 50 ans pour l’Ircantec et qu’il n’y a pas de seuil d’âge pour la fonction publique. Recul aussi pour les ex-conjoints : le droit à réversion est supprimé pour les personnes divorcées ou remariées (pour les divorces intervenus après 2025). La question des droits à la retraite dans les cas de divorce est renvoyée aux juges des affaires familiales, à qui il appartiendra de trouver une solution… Seul point positif, la condition de ressources qui existe dans le (seul) régime général pour avoir droit à la réversion, et qui est restrictive, disparaît. Une occasion de progrès a été manquée : il aurait été positif d’adapter la réversion aux nouvelles formes de conjugalité, en ouvrant le droit aux personnes pacsées. Ce qui a été exclu.

Pour ce qui est du montant, le principe retenu est de garantir le niveau de vie de la personne survivante, qui est traduit par l’énoncé suivant : celle-ci devra conserver 70 % des droits à pension cumulés du couple. La pension de réversion sera donc calculée selon la formule :

Pension de réversion = 0,7 x (Pension de la personne survivante + Pension de la personne décédée) – Pension de la personne survivante

Si d’un point de vue théorique, le principe de maintien du niveau de vie est cohérent, en pratique on constate que des personnes avec un niveau modeste de pension – femmes essentiellement – seraient perdantes : ainsi par exemple, une femme touchant une pension de 1000 € (régime général + Arrco), dont le mari décédé touchait une pension comprise entre 1000 et 2000 €, toucherait une pension de réversion plus faible qu’aujourd’hui 2. Dans le cas d’un couple dont chaque conjoint touche 1000 € de pension, la pension de réversion passerait de 558 € actuellement à 400 €, soit une baisse de 158 € par mois. 

En fait, dès qu’un membre du couple gagne plus d’un tiers du revenu total du couple, c’est-à-dire plus de la moitié du revenu de son conjoint (ce seuil vaut pour le régime général et est un peu plus élevé pour la fonction publique), sa pension de réversion baisserait. Et ce, quel que soit le niveau de revenu ! La baisse serait d’autant plus importante que les deux conjoints ont des pensions proches. En quelque sorte, le nouveau calcul revient à privilégier les couples « inégaux » (ce qui est déjà le cas de l’impôt sur le revenu avec le dispositif de quotient conjugal).

Une étude sur l’écart de revenu au sein des couples 3 a établi qu’en moyenne les femmes contribuent à hauteur de 36 % aux revenus du couple. Certes, cette étude concerne l’ensemble des salaires et des pensions, mais elle témoigne que si l’écart de revenus au sein des couples reste une réalité, ces revenus se rapprochent, et la majorité des femmes se trouve dans la situation de gagner plus de la moitié des revenus du couple : elles perdront donc au changement de formule. 

Remarque : parmi les femmes des couples « inégaux » qui gagneraient au changement, figurent les femmes au foyer. Ces femmes, qui n’ont donc aucune pension propre de retraite, perçoivent aujourd’hui entre 50 et 60 % de la pension de leur conjoint décédé, et avec le nouveau calcul, ce serait 70 %. Mais il est tout à fait possible d’améliorer la situation de ces femmes – très minoritaires –, en relevant le minimum vieillesse par exemple, sans avoir à retenir un changement de calcul de la réversion qui pénaliserait potentiellement de très nombreuses femmes.

La réversion représente actuellement 36 milliards d’euros. Montant non négligeable et cible de choix pour projeter des économies. Ce qui est implicitement confirmé par le rapport Delevoye qui indique que la part de solidarité dans les dépenses de retraites restera stable… mais sans la réversion ! Il serait intéressant d’avoir la simulation du montant des économies qui seraient réalisées par cette réforme de la réversion… au détriment des femmes.

Faux arguments de la communication officielle

On entend régulièrement des arguments qui, pour mieux faire la promotion du projet de réforme, pointent les défauts du système actuels. Ces défauts sont réels, mais il n’y a pas besoin de passer à un système par points pour les corriger.

Faux argument n°1 – Une femme sur cinq travaille jusqu’à 67 ans pour ne pas subir la décote. Dans le futur, elles pourront partir à 64 ans sans décote.

De nombreuses femmes sont en effet obligées d’attendre l’âge d’annulation de la décote car leurs faibles salaires et/ou leurs périodes de temps partiel leur ouvrent droit à une pension trop faible pour subir en plus une décote. Mais ce type de carrière est précisément celui qui serait le plus pénalisé par un régime par points qui prend en compte l’ensemble de la carrière, en intégrant toutes les mauvaises années : pour un même âge de départ, la pension serait alors plus faible encore qu’actuellement ! La décote est une double pénalisation (voir la note 4) ce qui est reconnu par le rapport Delevoye (page 49). Pourtant, sans craindre de se contredire, il propose de l’instaurer entre 62 et 64 ans ! Il faut impérativement supprimer la décote.

Faux argument n°2 : dans le nouveau système, chaque heure travaillée comptera en apportant des points, alors qu’aujourd’hui il faut avoir travaillé 150 heures au SMIC sur une année pour valider un trimestre. Ce qui pénalise de nombreuses femmes à temps partiel.

Il est nécessaire et tout à fait possible d’améliorer le système actuel et de modifier la règle pour faire en sorte que toute période travaillée puisse être cumulée pour contribuer à valider un trimestre, sous réserve qu’on ne peut valider plus de 4 trimestres par an.

Christiane Marty, membre du Conseil scientifique d’Attac

1 C’était 4 trimestres par enfant avant la réforme de 2003 qui a réduit la MDA à 2 trimestres par enfant né après le 1er janvier 2004.

2 Pour le calcul, voir Réforme Delevoye, un projet régressif.

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