Culture \ Livres Emma Becker : La Maison, la fascination des médias français
Plusieurs médias ont interrogé l‘autrice Emma Becker à propos de son livre La maison qui décrit une expérience immersive dans un bordel berlinois, qu‘elle anonymise si bien que personne, même les associations de terrain qui connaissent très bien le milieu berlinois ne réussit à identifier. Emma Becker dépeint des rapports idylliques avec ses clients, tous tendres et compréhensifs, des solidarités extraordinaires avec ses nombreuses collègues, toutes Allemandes, aucune n‘ayant de proxénète. Quiconque connait un peu la situation des prostituées en Allemagne, en majorité d’origine étrangère, ne peut que douter de l‘existence d‘un tel lieu.
Les 9/10 èmes des prostituées en Allemagne sont, étrangères, elles sont Roumaines, Bulgares, Nigérianes… la majorité est envoyée en Allemagne par des trafiquants qui peuvent être des membres de leur propre famille. Un demi million de personnes environ seraient exploitées dans la prostitution.
Emma Becker a inventé son bordel, dont elle vante les conditions de vie paradisiaques qu’elle y aurait eues pendant 2 ans. La nouvelle loi de 2017 « de protection des personnes prostituées » qui oblige les autorités à enregistrer les bordels et à les contrôler est encore très peu appliquée car les villes et les Länder rechignent à mettre en place les moyens nécessaires. Emma Becker se complaît , dans tous ses romans, dans la promotion d’une soumission aux pires violences patriarcales, mais il n’y a que dans celui-là qu’elle donne à ses élucubrations morbides un verni de vraisemblance.
Accointances avec le Strass
A qui profite ce « verni »? C’est facile à deviner: à toutes celles et ceux qui en France veulent promouvoir l’abrogation de la loi sur la pénalisation de l’achat de sexe et poussent la malhonnêteté jusqu’à attribuer aux abolitionnistes la responsabilité des violences que les personnes prostituées subissent. Dans la mesure où elle se joint aux revendications du Syndicat du travail sexuel (Strass) contre la loi française (alors que son expérience se situe en Allemagne), Emma Becker cache mal qui sont les véritables commanditaires de son « expérience immersive », qu‘elle re-qualifie d‘ailleurs d‘ »auto-fiction », quand on lui fait remarquer que son bordel n‘existe pas. Le Strass qui représente les intérêts des profiteurs de l‘économie du viol tarifé présente le modèle allemand de réglementation de la prostitution comme un modèle à suivre et vilipende, à chaque fois qu‘il en a l‘occasion, la loi de pénalisation des clients adoptée en 2016 par la France.
Le livre La maison paru en Français cet automne, juste à temps pour les prix littéraires, a été nominé pour le Renaudot, et sera publié en Allemand en Février 2020. Le syndicat des prestataires sexuels et érotiques, (Best) équivalent allemand du Strass saura apprécier cette publicité, alors que la population allemande est de plus en plus horrifiée par la réalité de la prostitution. La coalition « Stop Sexkauf » (Arrêter l’achat de sexe) a de plus en plus de succès en Allemagne, où la dernière journée de lutte contre les violences avait d’ailleurs pour thème « l’exploitation sexuelle comme violence ». De plus en plus d’associations de terrain, qui ne faisaient qu’aider les prostituées à rester dans la prostitution, aujourd’hui les aident à s’en sortir. La sensibilisation au modèle « nordique » de pénalisation des clients fait d’immenses progrès dans la classe politique. Il était grand temps pour les réglementaristes d’organiser un contre-feu: c’est Emma Becker qui est en pointe, activant tous les vieux poncifs de l’exploitation des femmes dans la prostitution, glamourisant le bordel, romantisant le recours des hommes à des femmes qui singent le désir.
Le prix de la domination
Des hommes paient des femmes émotionnellement vulnérables et économiquement précaires pour exercer un pouvoir, le pouvoir de l’argent sur le corps chosifié des femmes les plus pauvres de la planète. Or Emma Becker n‘est pas dans cette catégorie, elle est entrée par choix dans la prostitution, sans y être poussée par la précarité. C‘est du moins ce qu‘elle prétend !
Le doc Stupéfiant : l’interview d’Emma Becker
Dans une interview avec Léa Salamé, elle dépeint aussi un corps absent, dissocié qu‘elle parvient difficilement à se réapproprier. Ce besoin de se réapproprier son corps induit chez les victimes de violences sexuelles une répétition compulsive d‘événements traumatiques. La plupart des personnes prostituées y entrent pour cette raison: ne plus subir de viols, « mais les vouloir, en profiter, y gagner. » Le traumatisme subi n‘en est pas moins grave, mais il est recouvert d‘une couche superficielle de succès, de vie dans l‘opulence, d‘hyper féminité, d‘hyper consommation.
L’autrice ose louer la solidarité et la tendresse entre ces femmes, qui sont en fait chacune préoccupées de leur propre survie. Les seules assurées de survivre, les plus favorisées, ne sont tendres et amicales avec les autres que parce qu‘elles tirent leur épingle du jeu en entraînant d’autres femmes dans cette exploitation. Ces « gagneuses », plus rares que la mythologie qui les entoure ne veut le faire croire, adoptent alors les éléments de langage des proxénètes (qu’elles sont) et c’est exactement ce que fait Emma Becker en dédouanant les clients, en parlant de sa propre jouissance alors qu’il ne s’agit que de la leur. La prostitution des autres femmes de ce bordel lui profitait-elle? La question mérite d‘être posée.
Emma Becker a été interviewée dans tous les médias grand public, avec une complaisance qui frise le voyeurisme. L‘autrice permet, par ses propos volontairement outrés sur le confort de la vie de prostituée en Allemagne, d‘appuyer la revendication de tous les clients français de supprimer la loi actuelle, qui les rend pénalement coupables d‘acheter le pouvoir de pénétrer une femme. Son ouvrage tente de décrédibiliser le modèle nordique de pénalisation des clients en expliquant qu’ils sont tous gentils, mais le roman, car c‘en est un, ne fait que remplir une mission : la glamourisation de la prostitution.
Florence-Lina Humbert – 50/50 Magazine
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