Articles récents \ Île de France Rebecca, portrait d’une gynécologue en devenir
Rebecca a 25 ans. Brillante étudiante en médecine, elle a décidé de s’orienter vers la gynécologie obstétrique. Quelles sont ses motivations ? Comment se voit-elle évoluer dans une profession tâchée par les violences sexistes et sexuelles ? Portrait d’une gynécologue en devenir.
Habituellement d’un caractère jovial et enjoué, Rebecca * devient immédiatement sérieuse quand le dictaphone s’allume. Sa voix baisse de quelques tons, sa posture se redresse et elle semble oublier la cohue d’un café parisien, un vendredi soir. Elle est concentrée. Professionnelle. Nous allons parler de médecine, et ça, Rebecca ne le prend pas à la légère.
Et pour cause. A 25 ans, Rebecca a déjà dédié six années de sa vie aux études médicales et doit en compléter encore autant pour terminer son cursus. Son parcours est brillant : des études secondaires dans les deux meilleurs lycées de France, une première année de médecine réussie du premier coup (c’est le cas de seulement 19% des étudiant.es) et un très bon classement à l’ECN (examen de fin d’externat). Un sans faute donc, qu’elle doit évidemment à son intelligence, mais aussi à son travail sans relâche et à sa persévérance. Faire des études de médecine, c’est comme courir un sprint, mais pendant 12 ans. Aujourd’hui, Rebecca est en seconde année d’internat en gynécologie-obstétrique, après avoir longtemps hésité avec la gynécologie médicale et la pédiatrie : «j’ai voulu choisir une spécialité avec un certain rythme de vie. La gynécologie-obstétrique, c’est une spécialité très variée : nous faisons à la fois des consultations de gynécologie médicale, des échographies, des suivis de grossesse, de l’obstétrique, de la chirurgie gynécologique et même de la cancérologie. C’est cela qui m’a plu. Je ne voulais me fermer aucune porte. Je savais que l’internat serait plus difficile et plus long mais je souhaitais m’ouvrir le champs des possibles.»
Si l’on passe sous silence les quelques mois où, à douze ans, elle rêvait de travailler pour Vogue, Rebecca a toujours voulu être docteure. Si elle a été élevée par une mère gynécologue et un père ophtalmologue, il serait faux d’attribuer son choix professionnel aux simples circonstances de la vie. Depuis l’adolescence, elle n’a cessé de se passionner pour l’être humain, et pour les femmes en particulier. Quand on lui demande si elle est féministe, elle répond : «oui, mais je pense que je ne suis pas assez impliquée. Pour moi, se dire féministe c’est être engagée, et je n’ai pas l’impression de faire assez au jour le jour.» Mais, si elle ne se considère pas comme suffisamment militante, Rebecca porte bien l’égalité entre les sexes, et notamment la santé des femmes, au centre de ses préoccupations.
Gynécologie obstétricale : patientes et docteures victimes de discriminations
Des femmes, c’est bien d’elles dont il s’agit en gynécologie obstétrique. Et ce sont elles aussi, les premières concernées par les études de médecine. Dans sa promotion à Paris 5 – Université Descartes, l’étudiante estime que les femmes représentaient environ 3/4 des étudiant.es. Cette sur-représentation féminine s’exacerbe encore plus dans sa spécialité, où elle n’a que des co-internes femmes. Pourtant, la tendance se renverse complètement dans les postes les plus prestigieux. «Les chef.fes de service sont très rarement des femmes. Lors de mon premier stage, ma cheffe était une femme, mais ça n’arrive presque jamais. C’est la même chose en ce qui concerne les Professeur.es d’Université Praticien.nes Hospitaliers (PUPH). Si l’on regarde les chef.fes de gynécologie obstétrique des plus grand hôpitaux parisiens, 85% sont des hommes.» Autant dire que le féminisme a encore du pain sur la planche.
Le milieu de la gynécologie obstétricale est aussi touché, comme la majorité des autres branches du domaine de la santé, par les inégalités sociales, et par le manque de financement. C’est ce que constate Rebecca après sa première année d’internat. Les six premiers mois, elle les a passé dans un hôpital de la banlieue Est parisienne (Seine-et-Marne). Le semestre suivant, elle a travaillé dans un hôpital semi-privé de la banlieue Ouest parisienne, une zone beaucoup plus aisée. Sans surprise, les conditions de travail étaient on-ne-peut-plus différentes. Plus grave encore, la ‘perte de chance’ était bien plus grande pour les patientes de Seine-et-Marne. Rebecca raconte : «lors de mon premier stage, même si je n’avais pas de moyens de comparaison, j’ai tout de suite été frappée par la charge de travail par rapport aux moyens que nous avions à disposition. Les chef.fes étaient très peu nombreuses/nombreux, avaient des responsabilités très lourdes et assuraient souvent plusieurs postes en même temps. Quand un.e chef.fe doit assurer un bloc opératoire en même temps qu’une consultation, même si elle/il est très doué.e et reste concentré.e, la pression est très importante parce qu’elle/il sait qu’il y a trois ou cinq patientes qui l’attendent dans la salle d’attente.» Ce fut le jour et la nuit avec son second stage : «il s’agissait d’une maternité de même envergure, mais le nombre de chef.fes était beaucoup plus important, et les moyens bien supérieurs. Chacun.e assure un poste par jour et pas plusieurs en même temps. En terme de protection des personnes et de prudence médicale, c’est beaucoup plus adapté.» Elle ajoute : «pour moi, ça a tout changé. L’avantage d’avoir des chef.fes en nombre, c’est aussi plus de temps pour l’enseignement, pour nous expliquer les procédures et nous laisser faire les gestes.»
Violences gynécologiques et obstétricales : le point de vue d’une docteure
Il est difficile aujourd’hui de parler de gynécologie obstétrique sans immédiatement penser aux nombreux scandales qui ont surgit dans le débat public ces dernières années. Touchers vaginaux sur des patientes endormies, épisiotomies effectuées sans consentement, points du mari… les histoires de femmes maltraitées par des équipes médicales sont dignes des films d’horreur les plus saisissants. Ces violences préoccupaient déjà Rebecca lorsqu’elle était encore externe et qu’elle envisageait une carrière dans la gynécologie. Elle avait déjà le désir profond de changer les choses, à sa manière, à son échelle.
Aujourd’hui, forte de plus d’un an d’expérience dans le milieu gynécologique et obstétrical, la jeune docteure semble plutôt rassurée : «contrairement à ce qu’on peut entendre parfois, je n’avais jamais vu un seul médecin choisir un geste plutôt qu’un autre pour finir plus vite sa journée. Je ne sais pas comment ça se passe dans certaines cliniques privées, mais à l’hôpital nous travaillons jour et nuit, et personne n’est à une demi-heure près.» Et puis, les choses bougent. Depuis quelques années par exemple, les gynécologues ont l’obligation de demander leur consentement aux patientes pour réaliser une écographie endovaginale [ndlr : à l’inverse de celle sus pubienne qui se pratique à l’extérieur du corps, l’échographie endovaginale consiste à faire pénétrer une sonde dans le vagin de patientes pour mieux observer son utérus et ses ovaires]. Les pratiques médicales établies par le patriarcat semblent donc évoluer petit à petit. Un autre exemple révélateur est le fait que, lorsque l’état de la mère et la santé du bébé le permettent, les sage-femmes aident les futures mamans à accoucher dans la position qui leur convient le mieux (debout, assises… et non pas allongées sur le dos avec les pieds dans les étriers).
Si les abus existent encore – à plusieurs reprises, la jeune interne a entendu parler de médecins qui réalisaient des épisiotomies sans le consentement de la patiente, ce qui est strictement interdit – Rebecca insiste pour dénoncer le manque de communication entre patientes et équipes médicales : «il ne fait aucun doute que quand on intervient avec des instruments comme le forceps ou la spatule, c’est barbare. Les instruments sont volumineux, en métal, et augmentent parfois le risque de lésions périnéales après. Mais il faut bien comprendre que nous, les docteur.es, nous sommes là pour aider les patientes. Ce qui nous intéresse avant tout, c’est le bien-être de la maman et du bébé. Ces instruments, ou des pratiques comme l’épisiotomie, nous ne les utilisons que lorsque nous n’avons aucun autre choix et que la vie de la mère ou de l’enfant sont en jeu. Mais l’équipe médicale ne prend pas toujours le temps d’expliquer cela aux patientes, qui sont donc effrayées, parfois traumatisées. Ce temps de parole est essentiel, mais il n’a pas toujours lieu. C’est cela qu’il faut changer en priorité.»
Léonor Guénoun, 50-50 magazine
* Le prénom a été modifié