Articles récents \ Europe L’économie du viol : comment satisfaire la demande ? (3/3)
Du fait de la supériorité économique de l‘Europe, les hommes européens ont à leur disposition des femmes de tous les autres continents comme proies sexuelles potentielles. Le système prostitutionnel met sur les voies de la migration des milliers de femmes des pays les plus pauvres du monde vers les pays riches, en particulier vers l‘Allemagne où la prostitution est réglementée.
Depuis l’ouverture des frontières et la création d‘un espace économique unique, les niveaux de vie d‘un bout à l‘autre de l’Europe sont restés extrêmement disparates. Cela entretient les migrations de travailleuses/travailleurs de l’Est vers l‘Ouest de l‘Europe, une constante encore aujourd‘hui, trente ans après la chute mur.
Les pays les plus pauvres qui veulent être admis dans l‘Union Européenne se voient contraints de démanteler leur système de santé et leur protection sociale, parce qu’ils produisent des déficits publics. Pour beaucoup de pays, l’entrée dans l’UE signifie la baisse des dépenses publiques, critère de leur intégration. Ainsi, en Bulgarie et en Roumanie qui sont entrées en 2011 dans l‘UE, l‘accès aux soins médicaux est devenu hors de prix. Les services et prestations de base comme l’eau et l’électricité ont été privatisés, le chômage a terriblement augmenté, un tiers de la population de ces pays s‘est paupérisé. La migration des travailleuses/travailleurs des pays membre de l’UE devient légalement possible, et c’est de fait pour ces populations la seule perspective d‘avenir.
Les populations marginales surreprésentées dans la prostitution
Depuis le quatorzième siècle, les Roms sont discriminés dans les Balkans. Au 20ème siècle les différents pouvoirs qui s’y sont succédés ont perpétué ces discriminations, forçant les Roms à s’établir dans certaines régions, leur interdisant l’accès au système de santé, à l’enseignement et aux services sociaux. En Roumanie, depuis la chute du régime communiste, les Roms doivent avoir un passeport intérieur. Les enfants roms subissent des tests d’intelligence pour établir leur QI dans la langue majoritaire, qui n’est pas leur langue maternelle. Ils sont donc souvent déclarés en retard mental et orientés vers des écoles dites spécialisées. Le montant des allocations familiales pour un enfant retardé étant supérieur au montant des allocations familiales normales, les parents eux-mêmes illettrés n‘attendant rien de l’école pour leurs enfants sont tentés d’approuver ce diagnostic et même de le favoriser. Ces écoles sont donc de fait des écoles pour les Roms et leur permettent tout juste de sortir de l’illettrisme.
Les filles interrompent souvent leurs études vers 11 ou 12 ans, impliquées très tôt dans le travail ménager en aidant leur mère. Mariées très jeunes, elles finissent par comprendre qu’on les considère comme une monnaie d‘échange, si bien qu’elles-mêmes se considèrent également comme telle.
La fonction protectrice des structures familiales se révèle souvent inefficace pour les femmes dans les pays de l‘ancien bloc de l’Est, surtout pour les membres des minorités traditionnellement discriminées comme les Roms. La solidarité familiale se construit au profit de membres masculins ou plus âgés de la famille. Ce sont en effet les jeunes filles ou jeunes femmes que l’on envoie à l’étranger gagner de quoi faire face à l’ensemble des dépenses de la famille, en particulier les dépenses médicales de leurs parents ou grands parents vieillissants. Tomber dans un réseau et s’y faire exploiter sexuellement fait partie des risques de la migration auxquels on expose volontairement les filles qui seront soi-disant serveuses ou garde malades.
L’impasse des traumatismes conduisant à la prostitution
La perversité des auteurs de violences sexuelles fait qu’ils s’assurent de la loyauté et de la solidarité de leurs victimes qui ne parleront jamais contre eux. La répétition des violences sexuelles en fait un élément de la personnalité des victimes, qui ne peuvent alors plus se représenter autrement elles-mêmes que comme l’objet de ces violences. Elles développent alors une identité de personne violentée et sont maintenues dans l’ignorance de ce qu‘est une agression sexuelle. Les femmes exploitées sexuellement en Allemagne ont presque toutes connues dans leur jeunesse des violences exercées par un ou plusieurs membres de leur famille. Ceux-là mêmes qui sont responsables du traumatisme subi utilisent la dépendance ainsi créée pour mettre la jeune fille dans une impasse totale où elle est obligée de se dévouer à la famille.
La demande d‘actes sexuels tarifés de la part d’hommes riches a pour corollaire l‘espoir de femmes pauvres d‘améliorer leurs conditions de vie et celles de leur famille.
Les jeunes femmes qui ont passé quelques années dans les bordels allemands reviennent sous forme d’épaves humaines et n‘auront jamais accès à une thérapie. Elles n’auront jamais l’occasion de soigner les traumatismes subis dans l’enfance et dans la prostitution, ni même la possibilité de les nommer. Pendant le temps qu’elles ont passé en Allemagne, leurs enfants étaient confiés aux grands parents ou à d‘autres membres du clan familial et étaient par là-même en grand risque de devenir elles et eux aussi victimes de violences sexuelles, préparant la prochaine génération de personnes en situation de prostitution.
Florence Lina-Humbert, 50-50 Magazine