Articles récents \ Monde \ Afrique Rencontre avec trois féministes africaines
De l’Afrique de l’Ouest en passant par l’Afrique centrale, on observe chez les féministes africaines une même et unique similitude: celle d’avoir une légitimité, une visibilité dans l’espace public et cela est possible par le biais des réseaux sociaux ou les plateformes numériques. Les féministes africaines procèdent par l’écriture en ligne en tenant des blogs, ou investissent les réseaux sociaux. Elles bénéficient désormais d’une médiatisation numérique et bien au-delà. Malgré la peur, les perceptions négatives portées au féminisme en Afrique, les féministes africaines restent engagées et continuent de lutter. Bintou Traoré, Françoise Moudouthe et Minou Chrys-Tayl se prêtent à une interview croisée.
Pouvez-vous vous présenter ?
Françoise Moudouthe: je suis une militante féministe et consultante pour les droits des femmes. Je suis d’origine camerounaise, de nationalité française, et je vis au Maroc. Je suis la créatrice du blog Eyala qui montre les visages des féminismes d’Afrique par le biais de conversations assez intimes avec les femmes qui font le mouvement.
Bintou Traoré: j’ai 26 ans, je suis Ivoirienne et féministe. Je me sens proche de l’afro féminisme et du féminisme universaliste.
Minou Chrys-Tayl: Camerounaise de nationalité, Ivoirienne et aussi Béninoise de cœur, je suis journaliste consultante en communication politique. Aujourd’hui, à cause dune histoire qui a bouleversé ma vie, je suis web activiste et je voudrais en faire mon métier et c’est à dire me battre pour les droits des femmes…
Votre déclic féministe comment naît-il ?
Françoise Moudouthe: j’ai toujours été fascinée par la justice sociale, et j’ai toujours su que j’allais y consacrer toute mon énergie. Ceci dit, c’est dans le cadre professionnel que mon déclic a eu lieu. J’ai commencé à travailler sur la question du mariage des enfants, et lorsque j’ai compris qu’il s’agissait d’un symptôme d’une vision plus large des femmes comme citoyennes de seconde zone, j’ai su que ce combat serait le mien pour le reste de mes jours.
Minou Chrys-Tayl: j’ai toujours été féministe depuis toute petite par mon père, car pour lui c’était l’égalité à la maison, tout le monde faisait tout et moi je devais plus être concentrée dans mes cahiers. J’ai toujours été féministe, j’ai toujours défendu la place des femmes. Je suis fille unique avec des hommes au milieu de moi. Mais mon déclic militant engagé sur le digital s’est manifesté lorsque j’ai été victime de violences conjugales.
Bintou Traoré: mon déclic féministe est né quand j’étais en Côte d’ivoire en regardant autour de moi, par l’observation… Un jour, je marchais avec une femme de ma famille et une jeune fille était dans sa voiture et elle a dit «une petite fille comme ça dans cette voiture, je suis sûre que c’est un homme qui lui a offert» et je lui ai dit moi je vais à l’école si un jour j’ai cette voiture à son âge, tu aimerais qu’on dise que c’est par un homme que je l’ai obtenu ? Et là j’ai compris que quelque chose n’allait pas.
Quelle est votre propre définition du féminisme ?
Françoise Moudouthe : pour moi le féminisme est avant tout un mouvement nécessaire d’émancipation des femmes. Émancipation d’un système patriarcal qui impose à la femme des limites sur ses droits, son potentiel, mais aussi sur son comportement au quotidien. C’est un moteur d’action (pas juste de débats), et enfin un mouvement au sein duquel j’ai trouvé un réseau de soutien extraordinaire – c’est la sororité.
Minou Chrys-Tayl : le féminisme, au-delà du droit des femmes, c’est considérer la femme comme un être humain entier…
Bintou Traoré : le féminisme, c’est se battre pour donner le choix aux femmes de ne pas être féministe. Nous avons besoin du féminisme au quotidien et on en aura toujours besoin, ce n’est point négatif, c’est tout simplement le fait pour les femmes de vouloir des droits d’êtres humains, de citoyen, le féminisme se doit d’exister.
Vous êtes toutes originaires d’Afrique, comment le féminisme est-il perçu en Afrique?
Françoise Moudouthe : Il n’y a pas une réponse uniforme au féminisme en Afrique. Comme ailleurs, on trouve sur le continent des féministes convaincues, des antiféminismes acharnés, et entre les deux, des niveaux divers d’intérêt pour la question. Personnellement, j’ai observé beaucoup de curiosité – et parfois de méfiance – autour de la question féministe, et beaucoup de questions sur la possibilité pour le féminisme d’être véritablement africain, et pas une idéologie importée de l’Occident. Il y a pourtant une tradition bien africaine de lutte pour les droits des femmes.
Minou Chrys-Tayl : je pense que le féminisme est malheureusement mal compris en Afrique noire parce que le féminisme à la base c’est la lutte pour les droits des femmes, c’est à dire le droit à l’éducation, le droit normalement à la vie. Le droit d’avoir les mêmes droits que les hommes, le féminisme c’est se battre pour qu’on considère les femmes comme des êtres à part entière c’est encore choquant qu’en 2019 on doit encore le rappeler…
Bintou Traoré : en Afrique, les féministes sont diabolisées tout simplement pour qu’elles n’aient pas d’autres alternatives et de nombreux stéréotypes sont entendus comme « le fait de généraliser le féminisme et de l’assimiler au radical comme celui des « femen », elle veut être un homme ou encore le féminisme existe pour dicter à chaque femme ce qu’elle doit faire.
Pouvez-vous nous parler des réseaux sociaux ou plateformes numériques que vous utilisez pour parler de féminisme ?
Françoise Moudouthe : j’ai lancé Eyala il y a maintenant 1 an. Il s’agit d’une plateforme sur laquelle je partage des morceaux choisis de conversations que j’ai avec des militantes féministes africaines actives sur le continent et dans la diaspora. L’idée est de renforcer la sororité entre les féministes en leur permettant de faire connaissance de façon non superficielle, mais aussi de faire connaitre notre mouvement sur la base de nos expériences, pas seulement notre expertise.
Bintou Traoré : j’utilise beaucoup Facebook, pour moi c’est le réseau social complet qui a beaucoup plus d’audience complet. J’utilise mon profil personnel et je partage beaucoup de choses en rapport avec le féminisme
Minou Chrys-Tayl : les principaux réseaux sociaux sont Facebook et Twitter, j’ai beaucoup de soutien d’hommes que de femmes qui font des témoignages. J’en ai 3000 sur Twitter et sur Facebook j’ai récréé un autre compte ou j’avais également été signalé en février dernier je faisais des vidéos à 35k 40k vues… Et sur mon nouveau compte en fait ça repart plutôt bien, plusieurs femmes me contactent de l’Afrique francophone Côte d’Ivoire, Benin, Togo, Sénégal, Burkina Faso … Je vais bientôt me mettre sur Instagram pour toujours continuer la lutte et apporter une nouvelle touche…
Vous militez et prenez la parole sur internet en déclinant vos vraies identités ? N’avez-vous pas peur d’être harcelées ?
Françoise Moudouthe : je n’ai jamais éprouvé le besoin de cacher mon identité, même si je sais bien que les activistes noires sont extrêmement vulnérables sur la toile. Et pourtant, j’ai peur – pas tellement de me faire attaquer, parce que de toute façon on s’en prend plein la tête même quand on ne dit rien. Le plus dur est d’explorer ma propre identité et mes convictions les plus intimes. Je le fais car je demande à mes invitées de le faire, mais c’est effrayant car je n’ai pas grandi dans une culture de l’introspection – plutôt dans une culture du silence. Une fois que je peux m’avouer certaines choses, je n’ai pas de mal à l’avouer au monde !
Minou Chrys-Tayl : non je n’ai pas peur car ma résistance et ma révolution doit avoir un visage et se cacher c’est avoir honte. Pourtant la cause est juste, il est important que les femmes qui subissent voient que ce problème concerne toutes les femmes et surtout les jeunes femmes. Se cacher c’est ne pas assumer. Moi j’assume qui je suis. Mon histoire et ce que je veux devenir. Montrer mon visage c’est dire à toutes les autres qu’il y’a aucune honte, mon visage c’est l’histoire d’une femme qui a subit et se relève. Nous ne devons jamais avoir peur mais être fière.
Bintou Traoré : personnellement, je décline toujours mon identité, bien sur que j’ai peur mais je me dis que si je ne le fais pas qui le fera ? Il faut bien qu’une personne le fasse ! surtout si c’est pour aider les autres…
Alexandra Koffi 50 – 50 Magazine