Articles récents \ France \ Politique Décrocher Macron: le rejet d’un système
«Nous avons voulu laisser un mur vide, aussi vide que la politique environnementale du gouvernement», déclare Pauline Boyer à la barre. Pauline Boyer fait partie des huit jeunes activistes de l’association ANVCOP21, dont cinq femmes, qui ont décroché les portraits officiels d’Emmanuel Macron dans les mairies du 3ème, 4ème et 5ème arrondissement de Paris. Aux huit activistes s’ajoute un vidéaste militant, qui a filmé l’un des décrochages. Tous les neuf ont été jugé.es le 11 Septembre pour vol en bande organisée. En tout à travers la France, 130 portraits ont été décrochés, 59 personnes ont été ou seront jugées pour ces actions et le Bureau de Lutte Anti-terroriste (BLAT) a été saisi.
Les faits se sont déroulés en février dernier. Les militant.es sont entré.es dans la salle des mariages des trois mairies, ont décroché le portrait du Président puis pris une photo revendicatrice destinés aux réseaux sociaux. Le portrait a ensuite été embarqué par un.e militant.e à vélo, puis a été dissimulé dans un lieu tenu secret des décrocheuses/décrocheurs elles/eux mêmes. Chaque décrochage a été effectué de façon non violente dans le cadre de la campagne Décrochons Macron lancée par ANVCOP21. Chaque portrait a une valeur de moins de 10 €.
La question qui se pose dans ce procès, comme dans les 18 autres, n’est pas tant celle de la qualification matérielle du vol, mais plutôt celle de la responsabilité pénale des décrocheuses/décrocheurs. En droit français, un mécanisme appelé «état de nécessité» permet d’échapper à la qualification de la responsabilité pénale. Il faut pour cela prouver que la personne a fait face à un danger actuel ou imminent, qui l’a menacée elle même, autrui ou un bien, et qu’il n’y a pas de disproportion entre la gravité du danger et les moyens employés par la personne. Autrement dit, tout l’enjeu des décrocheuses/décrocheurs est de prouver que leur acte est nécessaire à la sauvegarde du climat et qu’il n’est pas disproportionné aux regard du danger écologique. A l’heure actuelle, sur les quatre jugements rendus, à Lyon, Orléans, Strasbourg et Bourg-en-Bresse, deux concluent à la relaxe des militant.es (Lyon et Strasbourg).
Le 11 Septembre, les rôles sont donc bien déterminés : les prévenu.es sont là pour transformer leur procès en tribune politique dénonciatrice de l’inaction climatique du gouvernement, tandis le procureur est là pour prouver leur culpabilité. Rappelons que le rôle du procureur, qui fait partie de ce qu’on appelle le parquet, est de défendre les intérêts de la société. C’est le parquet qui décide ou non de poursuivre les infractions pénales. Les 18 procès de décrocheuses/décrocheurs répondent-ils à un besoin social, à une demande de la société toute entière qui se sentirait offensée par un acte aussi barbare que le vol d’un portrait du président de la République d’une valeur de moins de 10 € ? Certes, comparaison n’est pas raison, mais il semblerait que le parquet soit bien plus empressé à poursuivre des activistes non violents que des violeurs présumés… Et, pour cause : l’indépendance du parquet vis-à-vis du gouvernement est plus que relative. Il n’est donc pas étonnant qu’une série d’actions de désobéissance civile visant directement l’image du président de la République se retrouve si rapidement devant les tribunaux.
Des militant.es qui n’ont plus le choix
Chacun.e des prévenu.es se défend tour à tour, cherchant à montrer à la juge la légitimité de son acte. Ils n’ont plus le choix, expliquent-elles/ils. «Le gouvernement est aujourd’hui en train d’enfreindre la loi, sur le plan international et sur le plan européen. Et il ne fait rien pour rattraper le retard !» s’exclame Cécile Marchand lors de son passage à la barre. Lorsque la juge demande à Pauline Boyer, première prévenue appelée à la barre, si elle estime qu’il est nécessaire de transgresser la loi pour se faire entendre, elle répond qu’elle a tout essayé et qu’elle ne sait plus quoi faire d’autre. «C’est mon devoir moral, en tant que citoyenne, de mener ces actions. Le gouvernement me met en danger et met en danger les populations», explique-t-elle. Tour à tour, c’est la réponse que donnent les militant.es : elles/ils ne savent plus quoi faire d’autre, elles/ils n’ont plus le choix.
Le procureur estime qu’il y a d’autres moyens d’expression que l’infraction pénale et que le vol ne saurait être laissé impuni. Mais, pour les militant.es, il ne s’agit plus simplement de s’exprimer : le gouvernement ne fait rien, tous les moyens légaux ont été épuisés, la situation est plus qu’urgente…la désobéissance civile est nécessaire. Les droits civiques aux Etats-Unis, l’interdiction d’OGM en France, le droit à l’avortement, le droit de porter des pantalons, le droit de manifester… On ne compte plus le nombre de droits qui ont été acquis, arrachés, grâce aux actions non violentes, rappelle Pauline Boyer, «La menace climatique nous concerne tout.es et je pense que l’intérêt général prime sur ma liberté individuelle.»
Afin de consolider la défense des prévenu.es, quatre témoins sont invité.es à comparaître. Rémy Buisine, un journaliste qui a filmé l’un des décrochages pour le média Brut, vient témoigner en faveur du vidéaste Vincent Verzat – dont on ne comprend pas bien la présence sur le banc des accusé.es, puisqu’il était présent pour filmer la scène, comme n’importe quel journaliste, et non pour y participer. Le procureur cherche tant bien que mal à prouver un rattachement entre le vidéaste et le décrochage, l’accusant notamment d’avoir touché à l’une des banderoles et de s’être mis en scène dans un photomontage le présentant au cœur de l’action. La banderole était en réalité collée et Vincent Verzat l’a simplement lissée du plat de la main afin que la caméra puisse filmer le message y étant inscrit. Le photomontage a quant à lui été réalisé après l’action, et ne prouve que l’adhésion idéologique du vidéaste à celle-ci, ce qui ne saurait en aucun cas être le fondement d’une quelconque infraction pénale… C’est la première fois que Rémy Buisine vient témoigner à un procès, dit-il. Le 11 Septembre, il s’est senti tenu de venir au tribunal pour défendre son collègue et, plus largement, la profession de journaliste et la liberté de la presse.
Le deuxième témoin n’est autre que Célia Blauel, adjointe à la maire de Paris, en charge de la transition écologique. La mairie de Paris ne compte pas porter plainte contre les décrocheuses/décrocheurs parisien.es, car elle ne perçoit pas leur geste comme une infraction mais comme un acte militant, explique-t-elle. «Il y a une urgence à agir. Je fais le constat chaque jour que cela ne va pas assez vite», déclare-t-elle, défendant les activistes. Elle témoigne également de l’impact positif qu’ont ces actions, interrogeant et frappant les consciences. Elle a pu constater qu’un certain nombre de maires d’arrondissement se sont tourné.es vers elle pour lui poser des questions sur les politiques à mener au niveau local.
«Nous sommes en ce moment en train d’écrire une page d’Histoire»
Le troisième témoin est Christophe Cassou, géophysicien, directeur de recherche au CNRS et un des auteurs du prochain rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Il explique à la juge les prévisions du GIEC, ce que disent les rapports de l’organisme et qu’elles sont ses préconisations. Pour les experts, «chaque année compte, chaque dixième de degré compte.» Il explique également en quoi ces préconisations sont contraignantes pour la France qui, en signant le rapport, en fait un rapport étatique et s’engage à en respecter les conclusions. Or, elle est loin de le faire. Christophe Cassou insiste notamment sur l’objectif de diminution des gazs à effet de serre, déjà présent dans le rapport de 2015, et qui n’est pas du tout au cœur des politiques publiques actuelles. «Nous sommes en ce moment en train d’écrire une page d’Histoire» déclare-t-il «la réaction doit être immédiate, radicale et se décliner sur l’ensemble de la société».
Le procureur estime que ces débats de société sont très intéressants, mais qu’ils n’ont rien à faire dans l’enceinte du tribunal. Il pointe du doigt le chaos qui serait engendré si les activistes étaient laissés impunis. On arrive alors à la dernière question que pose ce procès: la désobéissance civile est-elle légitime ? Manuel Cervera Marzal, professeur de sociologie et de philosophie politique, spécialiste de la désobéissance civile et quatrième témoin appelé par la défense, répond à cette question dans un sublime témoignage, digne d’un cours magistral. La désobéissance civile se caractérise précisément: il s’agit d’une action à visée sociale, non violente, réalisée de façon publique et assumée. «Le désordre est déjà là, il n’est pas provoqué par la désobéissance civile. C’est grâce aux actions de désobéissance civile que nous avançons et que nous faisons émerger les sujets de la première importance» déclare-t-il. Le recours à l’illégalité peut se justifier lorsque les moyens légaux sont insuffisants, et c’est souvent grâce à ces recours là, que ce qui était illégal hier est légal aujourd’hui. Les personnes qui participent à des actions de désobéissance civile ont une très haute idée de la loi, et c’est pour cela qu’elles/ils vont au-delà de la loi, explique-t-il. D’après lui, reconnaître la légitimité des actions de décrochage au nom de l’état de nécessité n’entraînerait donc pas un chaos ou une impunité généralisée, mais une progression vers une loi plus juste.
Le procureur a requis contre chaque prévenu, y compris Vincent Verzat, 1000 € d’amende dont 500 € avec sursis. Il faudra attendre le 16 octobre pour connaître la décision de la juge en charge de ce dossier hautement politique et médiatisé.
Claire Lejeune, membre du collectif, explique leur geste comme le rejet d’un système patriarcale et capitaliste. D’après elle, c’est «grâce aux prismes féministes et écologiques que nous répondrons à l’urgence démocratique, écologique et sociale.»
Bénédicte Gilles 50 – 50 Magazine
Photo de une: rassemblement en soutien aux prévenu.es devant le tribunal de grande instance de Paris