Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Proposition de loi visant à allonger le délai légal de l’IVG par le groupe CRCE
Le 20 décembre 1974, le Parlement s’est honoré en adoptant la loi du 17 janvier 1975, dite « loi Veil », dotant ainsi le pays d’une législation en faveur de l’interruption volontaire de grossesse, qui était criminalisée auparavant.
Il s’agissait alors d’une victoire arrachée de haute lutte, grâce à l’action des militantes féministes qui ont participé à cette avancée, au courage des signataires de « l’appel des 343 » ainsi qu’à l’opiniâtreté de l’avocate Gisèle Halimi qui ont permis de rendre la société française plus juste et plus égalitaire.
Depuis, chacune et chacun a pu mesurer ce que représente ce droit fondamental, dans la société française. Une femme française sur trois ayant recours à l’IVG au moins une fois dans sa vie, c’est donc une femme sur trois qui, depuis 1975, n’a plus à affronter seule la situation de détresse qu’engendre parfois cette perspective.
Les mobilisations ont été constantes non seulement pour consolider ce droit mais également pour en améliorer les conditions. Il a fallu attendre 1982 pour que l’IVG soit remboursée en partie par la sécurité sociale, assurant l’égalité entre toutes les femmes. En 2001, le délai légal pour l’accès à l’IVG a été allongé de dix à douze semaines de grossesse. Depuis 2013, l’IVG est remboursée à 100 % par la sécurité sociale et suite à l’adoption de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, le délai de réflexion a été supprimé et les frais afférents à une IVG sont également pris en charge à 100 %.
Plus récemment, l’arsenal législatif s’est également renforcé en étendant le délit d’entrave à l’IVG pour lutter contre les sites de désinformation anti-avortement.
Aujourd’hui, face à la diminution des centres pratiquant un avortement et à la démographie médicale en berne, il apparaît nécessaire d’inscrire dans la loi un nouvel allongement du délai légal d’accès à l’IVG, le faisant passer de 12 semaines à 14 semaines de grossesse.
En effet, en France, 130 centres d’IVG ont fermé entre 2001 et 2011, ce qui a considérablement compliqué l’accès à ce droit. Ce constat est reconnu par le Gouvernement lui-même puisqu’on peut lire sur le site officiel www.ivg.gouv.fr :
«Une fois votre décision prise, il est important d’engager les démarches très rapidement car les délais de prise en charge peuvent être longs.» Le Gouvernement reconnaît la réalité des difficultés rencontrées au point de prévenir de leur existence sur son site, sans pour autant prendre de mesures pour pallier le manque de centres d’IVG !
Ainsi, entre 3 000 et 5 000 Françaises doivent se rendre à l’étranger, chaque année, faute d’avoir pu avoir un rendez-vous respectant les délais légaux du droit français.
Si l’avortement est une décision difficile, la nécessité d’aller avorter à l’étranger revêt un caractère encore plus dramatique.
D’une part, sur le plan individuel, au regard des différentes pressions et de la source d’angoisse supplémentaire que cela représente pour une femme, d’autre part sur le plan collectif, puisque cela témoigne de l’incapacité de la France à permettre à toutes ses citoyennes de bénéficier de ce droit fondamental.
Devant les difficultés évoquées, les auteur.e.s de la présente proposition de loi souhaitent franchir une étape supplémentaire pour renforcer ce droit directement lié aux trois valeurs universalistes de notre devise républicaine : liberté, égalité et fraternité.
Liberté : les auteur.e.s de la proposition de loi estiment que la liberté des femmes de maîtriser leur fécondité est compromise par les modalités actuelles de l’accès à l’IVG en France.
La liberté et le droit des femmes de choisir de mener ou pas une grossesse à terme est inaliénable, et il est grand temps de faciliter l’exercice de celle-ci en ajoutant deux semaines supplémentaires au délai légal d’accès à l’IVG.
Disposer d’un délai plus long est une mesure pertinente, puisqu’elle peut aussi permettre de mieux gérer les cas de déni de grossesse qui peuvent mener à une prise de décision tardive.
Égalité : la nécessité, dans de trop nombreux cas, de recourir à un avortement à l’étranger crée une situation flagrante d’inégalité sociale !
Mais également inégalité géographique à laquelle la Haute Assemblée, représentante des territoires, devrait être particulièrement sensible. En effet, du fait de la démographie médicale et du manque de médecins gynécologues, respecter le délai légal peut être dans de trop nombreux endroits un véritable défi, d’autant plus à certaines périodes de l’année où la disponibilité des médecins est plus réduite.
Fraternité : l’atteinte à un droit fondamental est un danger pour l’état du tissu social dans notre pays. Si l’on ne peut imputer la responsabilité des difficultés actuelles seulement au Gouvernement, la réponse est dans son camp. Les auteur.e.s rappellent, par ailleurs, que lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé en juin 2019, l’amendement n° 648 présenté par Mme Laurence ROSSIGNOL, visant à allonger de 12 à 14 semaines le délai d’interruption volontaire de grossesse, a été adopté puis supprimé lors d’une seconde délibération demandée par la majorité sénatoriale, avec l’accord du Gouvernement.
Le procédé choisi en dit long quant à la considération de l’exécutif envers la représentation parlementaire mais également quant à sa volonté de faire respecter et progresser les droits des femmes.
Rappelons enfin qu’aucun argument médical ou scientifique ne justifie de s’opposer à un allongement du délai légal pour l’IVG. Dans plusieurs pays européens, ce délai dépasse les 12 semaines allant jusqu’à 24 semaines pour l’Angleterre et les Pays-Bas.
Dans une situation internationale où le droit à l’avortement est remis en cause ou encore totalement nié, où en France même les attaques flagrantes ou larvées perdurent, notre pays doit jouer un rôle fondamental, voire moteur, dans la reconnaissance de ce droit inaliénable, condition de son application concrète et effective.
C’est la raison pour laquelle, une proposition de loi avait été déposée en mai 2017 par le groupe Communiste, Républicain et Citoyen visant à inscrire l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution.
Dans la continuité, les auteur.e.s de cette proposition de loi souhaitent aujourd’hui modifier l’article L. 2212-1 du code de la santé publique et ainsi permettre l’allongement du délai légal de deux semaines (article 1er).
Article 1er
À la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 2212-1 du code de la santé publique, le mot : «douzième» est remplacé par le mot : «quatorzième».
Article 2
La présente loi entre en vigueur six mois après sa promulgation.
Présentée par :
Laurence COHEN, Éliane ASSASSI, Cathy APOURCEAU-POLY, Michelle GRÉAUME, Esther BENBASSA, Éric BOCQUET, Céline BRULIN, Pierre-Yves COLLOMBAT, Cécile CUKIERMAN, Fabien GAY, Guillaume GONTARD, Marie-Noëlle LIENEMANN, Pierre LAURENT, Pierre OUZOULIAS, Christine PRUNAUD et Pascal SAVOLDELLI.
Sénatrices et Sénateurs