Articles récents \ Île de France \ Société Africa 93 : une association féministe, laïque et antiraciste
Africa 93 est née en décembre 1987 à l’initiative d’une groupe de jeunes femmes issues de l’immigration maghrébine des années 60. Leur objectif ? Lutter contre le racisme, à leur manière, en plein milieu de la cité des 4000 de La Courneuve. Mimouna Hadjam, présidente de l’association, faisait partie de ses membres fondatrices. Histoire d’une association.
Mimouna Hadjam a commencé à travailler à La Courneuve en 1983, fraîchement arrivée du Nord de la France. Immédiatement, elle y a constaté de nombreuses difficultés. Le groupe de filles dont elles faisait partie était impliqué dans divers mouvements antiracistes et essayait de sensibiliser à la question des femmes immigrées. Toutes faisaient partie de la deuxième génération, les enfants des immigré.es algérien.nes installé.es en France dans les années 60. «Nous n’étions pas dans la même posture que nos parents. Nous savions que nous allions rester en France, que notre vie était là» explique la présidente d’Africa 93. «Et puis, en tant que fille il était hors de question que j’aille dans un pays où le peu de droits que j’avais en France serait écrasé» précise-t-elle. D’après Mimouna Hadjam, cette position était partagée par beaucoup de filles de la deuxième génération, ce qui explique leur grand investissement dans les mouvements antiracistes des années 80.
L’invisibilisation des femmes dans les mouvements antiracistes des années 1980
En 1983, un enfant de 10 ans est tué par un ouvrier au beau milieu de la cité des 4000. Le petit Toufik Ouanes, issu de l’immigration algérienne, jouait avec des pétards et faisait du bruit avec ses amis. L’ouvrier, en colère, lui a tiré dessus depuis le 11ème étage. «La réaction de la gauche a été consternante», explique Mimouna Hadjam «elle prenait presque la défense de l’ouvrier. On excusait les ouvriers racistes, comme on excusait les ouvriers sexistes… Un ouvrier qui tabassait sa femme, on lui trouvait toujours des excuses». L’ouvrier en question a été condamné à… 2 ans de prison.
La mort de Toufik Ouanes fait partie d’un des nombreux crimes racistes de l’époque : en 1983, 21 personnes maghrébines ont été tuées pour des motifs racistes. La violence de ce crime-ci marque particulièrement les esprits et entraîne une vive réaction. Des comités informels se forment et les mouvements antiracistes se rassemblent pour organiser la grande marche de l’égalité, partie de Marseille le 15 octobre et arrivée à Paris le 3 décembre 1983.
Le groupe de filles de La Courneuve, à l’instar de beaucoup d’autres filles de la deuxième génération, s’est investi dans l’organisation de la marche. Les femmes, explique Mimouna Hadjam, y étaient très porteuses mais en ont été effacées, «les leaders de la marche n’étaient que des mecs» proteste-t-elle. Elle nuance cependant, expliquant que les femmes elles mêmes avaient, et ont encore, tendance à s’effacer, à ne pas prendre la parole, à ne pas se positionner comme cheffes.
Les filles de La Courneuve ont retiré du positif de l’expérience de la marche : la question du racisme étant devenue hyper médiatisée, le gouvernement de l’époque était tenu de prendre en compte les demandes des marcheuses et marcheurs. Mais, une certaine déception n’a néanmoins pas manqué de les habiter : la question des violences faites aux femmes issues de l’immigration a été laissée de côté. Là aussi, en raison d’un manque de prise de parole des femmes, doublé d’une forme d’autocensure liée à l’impression que les crimes racistes étaient un sujet prioritaire.
Le silence autour de la mort d’Abdelwahab Benyahia : l’élément déclencheur
Dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, nouveau crime raciste à La Courneuve : Abdelwahab Benyahia, 20 ans, est tué par un policier alors qu’il tentait de s’interposer dans une bagarre. La même nuit, Malik Oussekine, étudiant de 22 ans engagé dans le mouvement d’opposition au projet de loi Devaquet (1), est frappé à mort par des policiers à Paris.
En réponse, une manifestation étudiante est organisée pour protester contre les violences policières. Seule la mort de Malik Oussekine est mentionnée : la délégation de La Courneuve n’a pas été autorisée à se joindre au cortège. La mort d’Abdelwahab Benyahia est ainsi passée quasiment sous-silence. «Pour nous, c’était deux jeunes tués par les forces de l’ordre : on se fichait que l’un soit étudiant et l’autre chômeur aux 4000» raconte Mimouna Hadjam.
Ce moment marque la double difficulté d’identification idéologique que vivaient les fondatrices d’Africa 93 : ne se reconnaissant réellement ni dans les mouvements antiracistes, ni dans les mouvements féministes, elles décident de devenir autonomes.
Les fondatrices d’Africa 93 ont choisi de s’installer à La Courneuve parce que Mimouna Hadjam y travaillait et y avait déjà un petit réseau. L’association a ainsi pu être hébergée dans un local associatif et fonctionner sans aucune subvention pendant les sept premières années de sa vie. «L’air du temps était très favorable à l’engagement et nous avions beaucoup de bénévoles avec nous. Aujourd’hui, c’est un peu plus compliqué » explique Mimouna Hadjam.
Pendant ces sept premières années, Africa 93 a dû faire ses preuves. Notamment, démontrer que l’association, bien que fondées par des femmes issues de l’immigration algérienne, n’étaient pas dans le rejet de la France. Le fantôme de la guerre d’Algérie planait encore dans les esprits… Pour cela, les fondatrices étaient partie d’un principe : «dans nos quartiers, un raciste c’est quelqu’un qui se trompe de colère.» Elles ont ainsi cherché à comprendre les comportements racistes, pour mieux les appréhender, les combattre et les déconstruire.
La laïcité dans les statuts de l’association
Il fallait également batailler du côté des bénévoles pour faire reconnaître leur triple spécificité : femmes, filles de la classe ouvrière, issues de l’immigration. «Nous avons travaillé grâce à une certaine forme d’intersectionnalité : une intersectionnalité incluante. C’est pour nous un outil de travail sur les articulations entre discriminations et dominations, et certainement pas une idéologie qui conduit à rejeter ceux qui sont différents, comme aujourd’hui c’est souvent présenté par certaines associations féministes» estime Mimouna Hadjam. « Celles et ceux qui font de l’intersectionnalité une idéologie, les intersectionnalistes, ont tendance à oublier la partie sociale » pointe notamment la présidente d’Africa. «Alors que le social c’est tout de même un déterminant important ! Ça n’est pas la même chose d’être une femme arabe vivant dans un quartier comme le nôtre que d’être une femme arabe vivant à Paris.»
Un dernier axe de travail des bénévoles d’Africa 93 : la laïcité. La question ne se posait pas vraiment en 1987, c’était pour les fondatrices quelque chose d’acquis. Elle s’est rapidement posée néanmoins : en octobre 1988 des mouvements se forment en Algérie pour contester le régime alors en place. Les islamistes se font particulièrement entendre et c’est l’avènement du Front Islamique du Salut. La montée de ce parti en Algérie se répercute jusqu’à La Courneuve. «J’ai vu cette ville changer en moins d’un an» raconte Mimouna Hadjam «il y a eu une islamisation des mœurs.» Pour les fondatrices de l’association, qui avaient grandi dans des municipalités communistes, ce changement a été un choc. Elles ont alors rajouté la laïcité dans les statuts de l’association, ce qui n’a pas plus à certains militants islamistes. «Toutes les religions ont sacralisé l’infériorité des femmes. Toutes les religions sont des outils donnés au patriarcat» déplore Mimouna Hadjam.
«La priorité d’Africa 93, c’est l’acceptation» rappelle-t-elle «notre objectif c’est que les femmes voilées qui viennent chez nous soient plus tolérantes vis à vis des athé.es et des autres religions.»
Forte de ses 32 ans d’histoire, Africa 93 a réussi à se faire entendre politiquement tout en prenant place dans le paysage associatif. Un exemple ? Ces dernières années, Africa 93 a beaucoup milité pour la reconnaissance d’un statut autonome des femmes migrantes qui vivent dans une grande fragilité, dépendant totalement du statut légal de leur conjoint ou famille. Marie-Georges Buffet, députée de La Courneuve, a soutenu les militant.es et a été rapporteure de la proposition de loi pour l’autonomie des femmes étrangères, partiellement adoptée le 26 mai 2016.
Cependant, rien n’est jamais gagné et il faut encore et toujours que les militant.es d’Africa 93 se battent pour être écouté.es.
Bénédicte Gilles 50-50 Magazine
(1) Projet de loi qui avait pour but de sélectionner les étudiant.es à l’entrée en faculté. Le projet de loi a été abandonné à la suite de la mort du jeune homme.
Photo: Mimouna Hadjam et des militant.es d’Africa 93 devant le local associatif d’Africa en 2004, lors d’un rassemblement de soutien au peuple palestinien.
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