Articles récents \ France \ Santé Clitoris: le grand retour
En 2016, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) sortait un rapport effarant : 25 % des filles de 15 ans ne savent pas qu’elles possèdent un clitoris, et celles qui le savent ne connaissent pas sa fonction érogène dans 83 % des cas. Désormais, le clitoris se fait de plus en plus connaître: on en parle au Parlement, à la télévision, on le voit en affiche dans la rue, etc. Il est devenu comme un symbole de la lutte féministe actuelle, icône de la revendication d’une sexualité féminine épanouie. Mais, au fait : comment en est-on arrivé là ?
Aux origines: une ôde au clito
Le clitoris a eu cette particularité d’être découvert-oublié-redécouvert de nombreuses fois par la médecine. Il a été nommé de diverses façons, si bien qu’on ne saurait dire les origines exactes de sa dénomination actuelle. L’histoire du clitoris est intimement liée à celle de la médecine, de la sexualité et de la morale (1).
Les premières traces du clitoris dans l’Histoire remontent au IVème siècle avant J-C. Hippocrate, considéré comme le père de la médecine, en parle comme d’un organe essentiel à la reproduction. Il estime que la femme, comme l’homme, libère une semence qui, au contact de celle de l’homme, entraîne la fécondation. Il estime ainsi qu’il faut jouir simultanément pour se reproduire. On ne parle pas encore clairement de jouissance mais l’idée est bien là. Hippocrate avait déjà compris qu’en ce qui concerne les femmes, la jouissance était fortement liée à la stimulation du clitoris, qu’il considérait comme une verge féminine. Après tout, pourquoi le sexe de la femme n’aurait pas fonctionné comme celui de l’homme ? Cette thèse va perdurer pendant de nombreux siècles. Par exemple, aux alentours de 1740, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (mère de Marie-Antoinette) avait des difficultés à être enceinte. Son médecin lui aurait alors fait cette recommandation : «Je suis de l’avis que la vulve de votre très sainte Majesté devrait être titillée pendant un certain temps avant l’acte.» L’impératrice s’est alors mise à pratiquer le sexe avec plaisir, non plus par simple obligation de reproduction, ce qui a permis au couple impérial d’avoir une solide réputation d’amants passionnés ainsi que 16 enfants.
Au fil du temps, le vocabulaire se précise, les recherches avancent et…la religion fait son office. L’idée que le sexe n’est moral que dans l’objectif de se reproduire devient de plus en plus présente, ce qui conduit à la prohibition de la masturbation et, plus largement, du plaisir sexuel «inutile». La jouissance des femmes est donc recommandée, mais bien encadrée. Une femme qui prend trop de plaisir est considérée comme suspecte. On en vient même à élaborer des théories médicales sur la taille du clitoris : les femmes mélancoliques, nymphomanes, hystériques, lesbiennes sont considérées comme porteuses d’un clitoris anormalement grand, qu’il fallait donc leur retirer via l’excision pour les soigner. L’excision s’est pratiquée médicalement en Europe et aux États-Unis jusque dans les années 1950. Elle est toujours pratiquée en Afrique, en Asie et en Amérique latine. En 2016, le Fond des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) a publié un rapport estimant à 200 millions le nombre de femmes sexuellement mutilées à travers le monde (excision, clitoridectomie, infibulation).
Puis vint l’excision psychique…
Malheureusement pour les femmes, la pensée hippocratique s’effondre au XIXème siècle, avec la découverte du système d’ovulation automatique. Les médecins comprennent que le clitoris a le plaisir pour seule fonction. L’Église catholique et les puritain.es des pays protestants mettent un peu de temps à intégrer cette information scientifique et se retrouvent alors à protéger le plaisir des femmes ! Ils finissent néanmoins par réaliser leur erreur: c’est la déchéance du clitoris, effacé du dictionnaire, des planches anatomiques et du savoir général. On parle à ce sujet d’excision psychique, le clitoris disparaît à ce point que les femmes ne sont pas conscientes d’en avoir un et, bien sûr, les hommes ne le savent pas non plus.
Il faut attendre les années 1990 pour que le clitoris soit à nouveau représenté fidèlement, grâce à l’urologue australienne Helen O’Connel. Elle redécouvre le travail de ces prédécesseurs et via la publication de ses travaux en 1997, permet de reconnecter la médecine aux réalités anatomiques du clitoris. Son intérêt pour le sujet vient du fait que lors des opérations chirurgicales génitales, des protocoles étaient suivis pour préserver le système nerveux des hommes, mais aucun pour celui des femmes. Et, pour cause : il n’était décrit dans aucun manuel médical. Odile Buisson, gynécologue obstétricienne produit ensuite la première échographie 3D du clitoris. Dans son ouvrage Qui a peur du point G ? (2011) elle décrit avec son collègue Pierre Foldès les réticences de la médecine moderne vis-à-vis du clitoris.
10 centimètres de plaisirs
Noémie Delattre, dans son spectacle Féministe pour homme demande à chaque personne du public de montrer avec les doigts ce qu’elle estime être la taille du clitoris. Un grand raté pour beaucoup qui estiment le clitoris pas plus grand qu’une phalange. Le clitoris est en réalité bien plus grand. En France, il mesure en moyenne 10 cm, comme un pénis.
Le clitoris n’est pas un point dissimulé au dessus de l’urètre, comme on a tendance à le croire souvent. Cette petite partie est appelée le gland du clitoris : c’est sa partie émergée. Le reste est immergé, se séparant en deux jambes entourant l’entrée du vagin (2). De ce fait, la fameuse opposition freudienne «femme clitoridienne versus femme vaginale» n’a pas lieu d’être : dans tous les cas, le clitoris est à l’origine du plaisir ressenti.
Le clitoris est un organe particulièrement sensible, puisqu’il compte en moyenne 8000 terminaisons nerveuses (le pénis en compte en moyenne 4000). Celles-ci sont principalement concentrées dans le gland du clitoris, ce qui explique que sa stimulation soit le plus souvent à l’origine de l’orgasme.
Aujourd’hui, en France, seul un manuel de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) sur huit représente correctement l’appareil génital féminin. Il s’agit du manuel des éditions Magnard, destiné aux classes de 4ème, puisque c’est en 4ème que l’on étudie la reproduction et la sexualité. Les sept autres manuels représentent mal ou ne représentent pas du tout le clitoris. Le pénis est, quant à lui, toujours bien représenté. Cette question a été soulevée au Sénat par Laurence Rossignol, sénatrice de l’Oise et ancienne ministre des Droits des Femmes, en mars 2019. Elle demandait au ministre de l’Education Nationale d’introduire l’étude du clitoris dans les programmes de SVT. « Il faut lutter contre l’analphabétisme sexuel : c’est un enjeu d’égalité. Le sexe de la femme n’est ni tabou, ni honteux. Il faut que les nouvelles générations apprennent enfin comment est fait un sexe féminin, et en particulier sachent situer et comprendre l’organe qui est la source primaire du plaisir sexuel chez la femme, comme l’est le pénis chez l’homme» a-t-elle notamment déclaré. La réponse du ministère a été la suivante: «Au nom des principes de la liberté d’édition et de la liberté pédagogique, le ministère de l’Education Nationale et de la Jeunesse n’intervient pas directement dans le choix des manuels auquel procèdent les établissements.» Autant dire que les programmes ne sont pas prêts de se mettre à la page. Face aux lacunes des manuels, des professeur.es de SVT sensibles aux questions de genre et d’égalité ont créé une plateforme de partages de ressources pédagogiques, SVT égalité.
Le clito, une revendication féministe
La sexualité des femmes est, depuis quelques années, devenue un sujet majeur des jeunes féministes français.es, qui souhaitent mettre au fin au tabou du plaisir féminin et reconnecter les femmes à leur corps et leurs désirs. Pour les plus sceptiques, notons que l’Organisation Mondiale de la Santé a officiellement relié la notion de plaisir sexuel à celle de santé : il y a matière à revendication. On voit ainsi fleurir les initiatives telles que la chaîne Youtube Clit Revolution, les affiches du Gang du Clito qui visent à démocratiser le clitoris en le représentant de façon très «pop» ou encore les pages Instagram Je m’en bas le clito et T’as joui ? suivies par un grand nombre de jeunes.
Le clitoris est bien devenu le symbole de la réappropriation sexuelle contemporaine. Gardons néanmoins à l’esprit que le clitoris n’est pas le bout du chemin. Sa redécouverte est positive pour toutes et tous. Mais, il reste encore beaucoup à faire concernant l’étude et la vulgarisation de l’anatomie féminine.
Bénédicte Gilles 50-50 Magazine
1 Pour en savoir plus sur l’histoire du clitoris, nous vous recommandons de lire La fabuleuse histoire du clitoris du sexologue Jean-Claude Piquard