Articles récents \ Île de France Un exemple d’engagement citoyen quotidien : Martina Kost, habitante de La Courneuve

Martina Kost réside à La Courneuve depuis 30 ans. Membre d’un syndicat professionnel et du Comité de Promotion des Droits des Femmes, gérante de l’entreprise B4E (Bureau d’Etudes, Expertises Energie et Electronique), elle nous parle de son engagement citoyen, de sa lutte pour la promotion des métiers techniques auprès des femmes, de sa vision du monde associatif et des logiques territoriales qui régissent les villes de banlieue.

Je travaille dans une entreprise privée qui existe depuis 30 ans, qui n’a pas de lien direct avec le milieu associatif mais qui réalise des engagements citoyens très fréquemment. Nous avons par exemple participé à l’organisation d’une conférence dans laquelle les 6 intervenantes femmes étaient toutes en lien avec la notion de territoire, pour combattre le stéréotype de « masculins » associés à ces métiers de la technique.

C’est ainsi une manière d’apporter notre pierre à l’édifice de conseil et d’insertion professionnelle des femmes, en œuvrant pour leur promotion dans les métiers techniques. Nous expliquions aux jeunes collégien-ne-s ce qui nous avait attiré, les avantages de ces métiers. Africa 93 (NDLR : association féministe antiraciste de La Courneuve luttant contre la précarité des femmes, lire notre récent interview) avait envoyé une quinzaine de jeunes, dans le cadre de leur travail sur l’insertion et l’orientation professionnelle. Partageant les mêmes valeurs que Mimouna Hadjam, responsable de l’association que je connais depuis une dizaine d’années, je me suis fréquemment déplacée à Africa lors d’événements ou de manifestations, qui incluent souvent des personnalités (Gisèle Halimi par exemple, il y a quelques années !). Cette conférence était donc organisée par le territoire, sur 2 jours, en partenariat avec l’université, et mon entreprise a participé en tant que « citoyenne », en contribuant au financement de l’événement, aux côtés notamment d’un syndicat professionnel.

On ne propose pas de formation concrète au sein de l’entreprise, mais on fait un travail de conseils et d’orientations, c’est un de nos objectifs principaux et un travail de longue haleine car notre secteur reste très masculin, et les filles n’y vont pas. Je suis aussi membre d’un syndicat professionnel qui représente les prestataires du conseil, de ingénierie et le numérique dans les instances paritaires. Là, on dispose de quelques moyens et subventions mais encore une fois ce n’est pas strictement associatif, cela relève plutôt d’un engagement citoyen de longue date.

J’habite le territoire, donc la rencontre avec des personnes en précarité fait partie de notre vie quotidienne. Mes filles ont fait toute leur scolarité ici à la Courneuve, il y a les réseaux, cette vie de quartier très présente. Sans être forcément victime à titre personnel, j’ai été témoin de situations très marquantes. Nous sommes tou-te-s associé-e-s à titre individuel, sans forcément le revendiquer ou représenter une institution.

Je suis membre du Comité de Promotion des Droits des Femmes à la Courneuve, un comité qui tente de coordonner les différentes actions contre les violences, pour l’insertion… Quand certain-e-s représentent leur engagement dans l’associatif, je manifeste le mien à titre citoyen. Nous sommes plusieurs femmes au sein de ce comité à ne pas venir directement d’une association et à quand même œuvrer pour le territoire : tout n’est pas association, mais le reste n’est pas très connu car pas assez mis en avant. De plus en plus de jeunes par exemple ne veulent pas s’engager dans des associations et œuvrent quand même à titre individuel. J’ai connu des femmes hors association qui font de l’insertion pour de l’accompagnement, pour des jeunes déboussolé-e-s, de la communauté asiatique par exemple… Voilà le type d’engagement citoyen qu’on a quotidiennement.

J’ai personnellement beaucoup aidé des jeunes filles lassées de leurs études scientifiques ou médicales, se sentant seules, incomprises et isolées. Si vous êtes la première à faire des études dans la famille et que tout ne marche pas forcément, c’est souvent vécu comme un échec catastrophique. J’étais moi-même la première à faire des études chez moi, et même si ça remonte à loin j’ai les clés, je sais comment certaines logiques de territoire, certains mécanismes, fonctionnent, je ne suis pas une Parisienne fraîchement arrivée, j’ai une expérience de ce territoire qui me permet d’avoir du recul.

J’avais participé (un peu à contrecœur) à une action pour une grande association nationale dans laquelle on m’avait demandé de parrainer des jeunes lycéen-ne-s, sortir avec eux, les aider dans leur orientation. Ce fut un échec. Les jeunes ne mordent pas, ils ne sont pas assez stupides pour tomber dans le panneau d’un discours qui les dépeint comme victimes, presque comme sauvages, en marge de tout. Étant d’ici, j’ai finalement refusé de jouer ce jeu.

Les discours ont du mal à évoluer, malgré des tentatives de l’extérieur croissantes. Les gens croient peut-être aussi que le salut viendra de l’extérieur. Cependant ce qui a marché dans le cas de notre conférence, c’est qu’on avait 250 jeunes, un nombre donc énorme, deux amphis pleins, lors des deux séances, qui venaient car ils savaient que les intervenant.es étaient des gens d’ici, du territoire.

Témoignage recueilli par Copélia Mainardi 50-50 magazine

Article publié le 19 janvier 2017

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