Articles récents \ France \ Société Annie Guilberteau : «notre mission est d’aller vers toutes les femmes, de toutes les origines et de toutes les classes sociales»
La Fédération des Centre Nationaux d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (FNCIDFF) représente 106 CIDFF dotées d’une mission d’intérêt général. La Fédération informe les femmes sur leurs droits, lutte contre les discriminations sexistes et réalise un travail de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes. Annie Guilberteau, directrice générale de la FNCIDFF , fait le point sur le travail de la Fédération et des CIDFF.
Il y a deux ans, vous avez décidé de devenir une fédération quels ont été les changements, y a-t-il eu des effets positifs ?
Nous constatons des effets positifs. Notamment, une beaucoup plus forte volonté d’association de la part des élu.es et des technicien.nes de notre réseau à la définition des axes stratégiques et des positionnements de notre fédération.
C’est un premier constat : une plus forte implication des élues. La fédération a donné, je pense, un plus grand sentiment d’appartenance.
Au sein de la fédération, nos associations sont autonomes d’un point de vue juridique, ce sont des associations issues de la loi de 1901. Elles sont attachées à nous autour d’axes politiques et stratégiques, que nous définissons ensemble pour orienter le réseau vers des voies demandées par l’État et, aussi, des voies qui nous semblent indispensables pour l’égalité femmes/hommes. Nous recherchons des moyens d’intervention qui ne sont pas nécessairement demandés par l’État. Nous sortons des sentiers battus. Si nous prenons l’exemple d’un de nos domaines d’intervention, l’emploi, nous ne sommes pas simplement dans la rédaction de CV ou la reconstitution de carrière, nous sommes là pour valoriser les parcours des femmes, quels qu’ils soient, pour leur permettre de reprendre confiance en elles et de réaffronter l’existence le dos droit et les yeux en face.
La fédération a surtout apporté du positif. Y compris de la visibilité auprès des institutions. De toute façon, on nous qualifiait déjà de fédération avant même de l’être… Le passage en fédération était presque concomitant avec la réforme des territoires, qui a modifié l’implantation des régions et leur taille. Aujourd’hui nous avons donc un réseau national et un réseau régional.
Le colloque « TouteSport » s’est tenu en 2018, n’était ce pas une première pour vous ?
L’expérience « TouteSport » a été extrêmement signifiante. Nous avons vu des femmes qui ne sortaient jamais de chez elles commencer à se réapproprier l’espace urbain. Au début, cela n’a pas été très simple, mais in fine elles se sont réunies en petits groupes d’amies pour pratiquer une activité sportive ou promener le chien dans leur quartier, elles qui ne sortaient jamais. Elles ont petit à petit découvert le bénéfice de sortir, pour leur corps et leur santé, faisant fi du regard des hommes qui étaient propriétaires de l’espace public.
Lorsque nous innovons, nous ne restons pas au stade de l’expérimentation unique. Nous essayons de poursuivre la démarche sur des populations sociologiquement différentes. Ainsi, « TouteSport » a été conduit à l’origine dans le cadre d’une politique de la ville. Maintenant, grâce à l’aide, entre autres, du ministère des Sports, nous continuons cette action dans les milieux ruraux, qui présentent d’autres types de problématiques. Notre mission est d’aller vers toutes les femmes, de toutes les origines et de toutes les classes sociales et d’innover pour cela. Nous ne perdons jamais de vue cet axe. Nous ne sommes pas là pour apporter des services que d’autres apportent déjà.
Il y a deux ans, nous vous avions demandé où était l’argent pour les droits des femmes, à la suite du rapport éponyme. Aujourd’hui, où en êtes-vous sur le plan financier ?
L’argent pour les droits des femmes, il n’est toujours pas chez nous. Aujourd’hui, on ne peut pas trop se plaindre par rapport à d’autres. Évidemment, nous n’en avons pas assez, cependant ce serait malhonnête de ma part de dire que nous sommes les plus lésé.es. En revanche, il nous manque des moyens cruciaux pour que les CIDFF puissent se développer. Les premiers CIDFF qui ont été implantés dans des lieux politiquement peu porteurs, ont développé un certain retard : il faut qu’ils rattrapent le train. Les financements du réseau n’ont pas augmenté ni baissé pour ce qui est du financement « droits des femmes », tandis que le financement d’actions varie d’une année sur l’autre. Nous n’observons cependant pas de baisse. Si l’on ajoute tous les financements d’État, nous aurions même une très légère augmentation. Le financement montre que la reconnaissance est là, que l’on s’appuie sur nous. Mais derrière un financement, il y a des expérimentations et des chantiers nouveaux, donc, des recrutements. Or, l’État ne donne plus de fonds pour des frais de fonctionnement, il finance des actions, sauf qu’il faut bien des humains, du matériel, des bureaux etc. pour mener à bien une action. C’est un débat sans fin…
Vous êtes plus financés par les fonds publics ou les fonds privés ?
C’est largement les fonds publics qui nous financent. Cependant, on voit une augmentation du côté des fonds privés, des entreprises qui commencent progressivement à nous financer. Pour l’instant, il y a toujours des actions précises en échange du financement, ça n’est pas du réel mécénat. Le premier vrai mécénat que nous ayons obtenu, c’est de la part de la fondation Chanel.
Cette année, de nouveaux financements sont arrivés. C’est une marque de reconnaissance. Par exemple, un financement de la CNAF nous a permis de nous positionner auprès des CAF locales et de nous associer avec elles sur les dispositifs de récupération des pensions alimentaires non versées. La CNAF doit rendre des comptes, elle nous a donné des moyens pour que nous formions notre réseau. Nous avons établi une convention avec la CNAF que la plupart des CAF ont suivie en s’associant avec les CIDFF. C’est un partenariat qui existe depuis longtemps : de longue date les CIDFF et les CAF travaillent ensemble. Nous avons aussi reçu un financement d’AG2R La mondiale, pour un projet autour de l’aidance. À partir du moment où il y a de l’éthique, nous acceptons les financements.
Quels sont vos projets actuels ?
Nous continuons sur les mêmes objectifs, mais avec une cible différente. Nous avons donc un projet sur l’aidance. L’idée est d’informer les femmes aidantes sur leurs droits, leur droit au repos par exemple. Nous allons aussi lancer une chaîne Youtube. Nous produirons des vidéos courtes, de 3 à 5 minutes sur le sexisme, la prise en charge des femmes victimes de violences etc.
L’accès aux droits est le centre de gravité de notre action. C’est à partir de cet accès global, transversal, que nous développons des services adaptés aux femmes, qui connaissent un certain nombre de difficultés issues de la domination masculine ancestrale. L’exemple le plus probant, est celui d’une séparation de couple : madame a arrêté de travailler pour élever les enfants (modèle qui se voit de moins en moins), survient la cassure du couple (décès, abandon, divorce etc.) et soudain, madame se retrouve sans les revenus du conjoint et la galère commence.
Autre exemple, celui provenant de la croyance sociale qui considère qu’un enfant, pour être bien élevé, doit se référer à une autorité détenue par un homme, puisqu’une femme ne peut pas détenir une quelconque autorité… Le regard social posé sur les femmes seules cheffes de famille est très stigmatisant et porteur de jugement. Il ne va pas y avoir la même lecture pour l’enfant d’une famille monoparentale que pour les autres. Les femmes le ressentent et petit à petit, vont s’isoler, ne plus aller aux réunions de parents d’élèves etc. L’enfant aussi sera isolé. Notre travail est de mettre en garde aussi sur les effets connexes : la recherche d’emploi, la garde, l’inscription à pôle emploi, la recherche de formation etc. Nous rencontrons beaucoup de femmes issues du secteur tertiaire, ce ne sont pas un secteur où les métiers sont les plus porteurs ni les plus payés.
Comment accompagnez-vous les femmes victimes de violences ?
Nous accompagnons de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles. Parfois une information claire, nette et précise peut suffire à certaines femmes pour reprendre la main. D’autres fois les accompagnements sont plus longs et font appel aux compétences de plusieurs professionnel.les et de partenaires. Les CIDFF apportent une réponse personnalisée à chaque femme.
Si l’informatrice/ l’informateur décide qu’il est indispensable que cette femme voit un.e assistant.e de service sociale, et si la femme ne veut pas, de peur qu’on lui retire ses enfants (les femmes victimes ont intégré qu’elles étaient de mauvaises mères, pas à la hauteur etc.), notre rôle est aussi de rétablir le rôle de l’assistance sociale qui est une aide pour faire valoir les droits.
Il en va de même lorsqu’il s’agit de déposer plainte : pour les femmes c’est franchir les marches d’un lieu où se règle le sort des délinquants, pas des victimes. Il faut leur expliquer que police et gendarmerie sont aussi là pour les protéger. Certes, on revient de décennies où l’accueil n’a pas été au top niveau, mais cela change. Et avec du recul, je constate que la formation à l’accueil des victimes est de plus en plus correcte. Les associations qui portent depuis 40 ans la parole des femmes ont été entendues. On ne peut pas dire que rien n’a bougé, comme j’ai pu l’entendre de la bouche d’une avocate récemment. Au Conseil d’Administration de la FNCIDFF, la justice, la police et gendarmerie siègent et je peux vous assurer que dans les hauts niveaux, il y a une grande sensibilisation. Le problème, c’est que si un.e commissaire principal.e part et qu’elle/il n’est pas remplacé.e par un.e commissaire principal.e qui est convaincu.e de la même façon…
Ce que nous demandons c’est que le bon accueil ne soit plus une question de personne, mais une question de système : il faut former dès le départ sur cette problématique.
Il y a une nette évolution, par exemple, un aménagement des commissariats qui permet un espace de confidentialité pour les victimes. Dans le Finistère, j’ai assisté à une situation assez particulière : une femme arrive au guichet, demandant à déposer plainte pour violences au sein du couple, et l’agent lui demande si elle a amené un certificat médical, elle lui dit qu’elle n’en a pas et il lui répond « ce que je vous propose c’est que vous alliez à l’hôpital pour le faire. » Il ne l’a pas éconduite, mais elle est partie en hurlant. Je l’ai suivie pour lui expliquer qu’il avait simplement donné une information pour mieux traiter son dossier. Mais elle était vraiment angoissée à l’idée qu’elle ne serait pas entendue alors que le policier n’avait pourtant pas été indélicat. Nous avons eu quelques soucis avec la gendarmerie en milieu rural notamment : tout le monde se connaît, le gendarme connaît le conjoint de madame. Les policiers vont s’occuper de la plainte, mais comme des médiateurs. Ce n’est pas ce qu’on leur demande, on leur demande de poser la loi, de dire ce que le droit interdit et d’enregistrer la plainte.
De notre côté, nous informons, par exemple sur le fait qu’il est possible de déposer plainte directement auprès du procureur.
L’information aux droits, n’est pas le « cœur de notre métier », cette expression a un côté réducteur. Je préfère dire que c’est notre colonne vertébrale, ce qui justifie toutes nos autres actions : l’accompagnement vers l’emploi, la lutte contre es violences, le soutien à la parentalité partagée, l’éducation citoyenneté, la santé.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine