Articles récents \ Monde \ Europe Reine Lépinay: « le vote des femmes aux élections européennes est grandement utile pour la mise en place des législations progressistes. »
Reine Lépinay est co-présidente d’Elles Aussi depuis 2016. Elles également présidente de la Fédération régionale Auvergne-Rhône-Alpes des Centres d’information sur les Droits des Femmes et des Familles depuis octobre 2018. Fondée en 1992, Elles Aussi a pour objet de faire bouger les lignes sur la parité dans toutes les instances élues. L’association se bat pour le statut de l’élu.e, le non cumul des mandats et particulièrement aujourd’hui pour une démocratie paritaire dans toutes les communes et intercommunalités. A quelques jours des élections européennes, nous avons posé à Reine Lépinay des questions sur l’enjeu des élections européennes pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
Vous appelez à un approfondissement des droits fondamentaux tels qu’ils sont inscrits dans la Charte Européenne. Comment le justifiez-vous ? Etes-vous inquiètes de la montée des extrémismes de droite dans la plupart des pays de l’Union européenne ? Cela constitue-t-il une menace pour les droits des femmes ?
La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne officiellement adoptée en décembre 2007 est un outil de référence pour mesurer les acquis et les limites de l’action européenne, sur le sujet du droit des femmes. Incontestablement l’UE a érigé comme valeur fondamentale le principe d’égalité entre les femmes et les hommes à travers de nombreux traités, à commencer par le 1er en 1957 sur l’égalité des rémunérations entre les travailleuses/travailleurs pour un même travail (Traité de Rome). Le traité de Lisbonne en 2009 conforte le principe d’égalité femmes/hommes et la législation européenne en faveur de l’égalité femmes/hommes est devenue plus conséquente dans le domaine de la vie professionnelle, politique et privée ( rémunération, égalité de traitement professionnel, accès à l’emploi, à la formation, à la sécurité sociale).
Nous demandons d’approfondir la charte des droits fondamentaux dans ses titres 2 (libertés) ,3 (Egalité) ,4 (solidarité-santé), et 5 (citoyenneté).
Nous sommes particulièrement inquiètes de la montée des extrémistes de droite dans plusieurs pays de l’UE qui ont pris le pouvoir ou ont été en mesure de faire pression sur lui. On a vu des lois liberticides contre les journalistes ou la justice en Pologne et en Hongrie et l’UE a du faire un rappel à l’ordre démocratique à défaut de véritables sanctions. A noter que des député.es européen.nes français.es du Rassemblement national ont toujours voté contre les mesures en faveur de l’émancipation des femmes. Certes, la montée des extrémismes est aussi liée à un dysfonctionnement de nos démocraties, incapables de réguler le système capitaliste. Le néolibéralisme promettait la hausse infinie de la croissance et du pouvoir d’achat. En réalité il a contribué à aggraver les déficits budgétaires de nombreux Etats membres, les inégalités entre les individus à l’intérieur de chaque pays et entre les pays tout en générant des nuisances qui remettent en cause les grands équilibres biologiques de nos territoires. Et les femmes, premières victimes économiques se retrouvent nombreuses dans les mouvements revendicatifs (gilets jaunes).
Historiquement, les restrictions des libertés sont souvent associées à des lobbies religieux et commencent toujours par s’exercer sur les corps (enjeu de la démocratie, source de force de travail et enjeu symbolique de domination en particulier avec les femmes et le contrôle de leur fécondité, l’orientation sexuelle et LGBT et les déplacements migratoires). Les extrémismes sont aujourd’hui plus qu’une menace sur les droits des femmes. Des régressions sur la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe sont des réalités (Cf. rapport du Conseil de l’Europe publié en décembre 2017). Certes la mobilisation des Polonaises et celle des femmes au niveau international, après celle des Espagnoles a permis que le pire soit évité sur le plan des restrictions à la maîtrise de la fécondité (contraception et avortement) en Pologne.
N’y a-t-il pas eu un effet d’entraînement via l’Europe au fait que les Irlandais.es aient largement et majoritairement voté pour la libéralisation de l’avortement en mai 2018, la législation ayant dû suivre dans la foulée ?
Les mêmes rapports de force se présentent quant à la question de la lutte engagée depuis plus de 10 ans par l’Europe contre les violences faites aux femmes : adoptée en 2011 la convention d’Istanbul, est le premier instrument juridiquement contraignant qui aborde dans le détail les différentes formes prises par la violence faites aux femmes : violences psychologiques, physiques sexuelles, harcèlement. Elle traite de prévention, de soutien aux victimes, de réinsertion. Elle demande aux pays d’améliorer le recueil de données de manière à avoir des comparaisons plus fiables et à mieux organiser le suivi des actions. Tous les Etats membres l’ont signée, elle a été ratifiée par la France en 2014. Cela implique la mise en conformité des lois nationales et l’obligation juridique de l’appliquer. En juin 2017 l’UE l’a signée. Certains pays refusent de le faire (comme récemment la Bulgarie et la Slovaquie) à cause de l’idéologie du texte et sa définition du genre, ils rejettent l’idée que cette question puisse être de la compétence de l’UE, et ont appelé au «respect de l’ordre intérieur des sociétés et de la tradition.»
Si aujourd’hui la Convention a été ratifiée par 17 membres de l’UE (Autriche, Belgique, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Italie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Espagne et Suède), reste les autres à convaincre du bien-fondé de cette convention
Quels sont les domaines prioritaires sur lesquels doit se concentrer l’Union Européenne pour garantir une indépendance et une autonomie de ses citoyennes ? Que signifie concrètement la mise en œuvre de la « clause de l’Européenne la plus favorisée » ?
Tous les domaines sont prioritaires car dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice sont liés.
On a pu remarquer qu’en France et dans le monde, les clefs de l’émergence récente des femmes dans l’Histoire, actrices incontournables du développement, ont été l’éducation, la maîtrise de la fécondité, l’accès au marché du travail et l’accès au politique. La gouvernance européenne a la responsabilité de garantir l’autonomie des femmes et la sortie d’une domination et d’une mise sous tutelle millénaire.
Les exemples ne manquent pas pour affirmer que les femmes sont actives de par le monde à défendre leurs intérêts pour le bien de tous. L’UE doit soutenir cette aspiration des femmes à plus d’égalité et pour une participation active et forte aux affaires du monde (comme elle l’a fait jusqu’ici depuis 1975 dans toutes les conférences mondiales et à l’ONU) et la Clause de l’Européenne la plus favorisée en est un moyen.
Avec cette Clause, la question est de repérer les lois les plus favorables aux femmes dans le vaste arsenal législatif des 27 pays de l’Union. Comme l’exprimaient si bien Violaine Lucas et Barbara Vilain qui ont travaillé sur la Clause de l’Européenne la plus favorisée : «le meilleur de l’Europe pour les femmes !» Et ceci dans les trois axes retenus par la charte des droits fondamentaux à savoir les droits civils, les droits politiques, les droits économiques et sociaux.
Prenons deux exemples en Espagne. L’Espagne, depuis 1999, s’est illustrée par des lois importantes pour lutter contre les violences faites aux femmes. La lutte contre les violences de genre est une grande cause nationale depuis 2003 et son système judiciaire inédit pour protéger les victimes conduit à la mise en œuvre de solutions techniques comme les bracelets électroniques (depuis 2009), pour placer les conjoints violents sous surveillance, un budget important pour lutter contre les violences domestiques, qui permet de financer, entre autres, les pensions pour les orphelin.nes des violences domestiques.
En ce qui concerne le congé parental le gouvernement espagnol s’est engagé sur la voie de la parité en se donnant comme objectif un congé de paternité qui pourrait être de même durée que le congé de maternité à savoir 16 semaines avec comme objectifs de réduire les discriminations à l’embauche à l’encontre des femmes et renforcer le rôle de père. Pour l’instant le congé de paternité est de 30 jours.
Si L’Espagne peut le faire, les autres pays aussi !
Le respect de la parité dans l’Union Européenne n’est toujours pas une réalité dans ses différentes institutions, et encore moins dans la plupart des gouvernements et parlements des Etats membres. Que peut faire l’Union Européenne pour accélérer l’accès à une parité réelle ?
La parité est liée à l’égalité et l’idée de parité s’est imposée en Europe d’abord à travers la notion de démocratie paritaire et pour mettre fin aux impasses de politiques égalitaires pensées sans les femmes, dans l’entre-soi d’une classe dominante masculine. La parité est un moyen de reconstruire des rapports sociaux de sexe sur la base de leur égalité en valeur et en dignité.
L’UE a élaboré et popularisé la charte européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale qui est aussi un outil très concret pour la réalisation de politiques publiques d’égalité, (1736 signatures à ce jour dans 37 pays). Et il faut bien reconnaître que sans contrainte législative pour faire avancer significativement les comportements, il devient impossible d’atteindre l’égalité économique entre les femmes et les hommes et de lutter contre le plafond de verre dans les entreprises ou les assemblées politiques. Ce sont les pays ayant introduit des quotas (France, Belgique et Italie) qui ont rempli le mieux les objectifs de l’UE en matière de parité. La parité est loin d’être une réalité en Europe, à commencer dans les institutions européennes.
Non la parité n’est pas respectée à la commission européenne ou on compte seulement 32% de femmes pendant la mandature de 2014-2019 ! Non la Parité n’est pas respecté au Parlement européen ou le chiffre à retenir est de 37% et non elle n’est pas respectée au Conseil européen avec seulement 11% de femmes !!
L’union européenne doit affirmer une volonté politique, et mettre en application des actions concrètes.
Il conviendrait d’imposer aux Etats membres de constituer des listes européennes paritaires alternées, ce qui existe pour la France et la Belgique déjà. Aujourd’hui, chaque pays peut déterminer son propre mode de scrutin, ses circonscriptions et les conditions d’éligibilité de ses eurodéputés.
L’Union européenne doit imposer la parité dans ses instances communautaires.
La parité au parlement européen, présidence et Bureau exécutif, à la commission européenne : commissaires, vice-présidences, au conseil européen (beaucoup d’associations de femmes demandent que chaque Etat propose un couple, à la Banque centrale… La parité au Conseil de l’Europe est la plus difficile à obtenir puisqu’il s’agit des chefs d’Etat et modifier la représentation des Etats ici est un enjeu politique majeur.
La parité est la clef d’un changement profond de l’organisation de nos systèmes de gouvernance dans l’Union Européenne. Elle peut être un levier pour faire évoluer les gouvernances des Etats membres. C’est en cela que le vote des femmes aux élections européennes est grandement utile pour la mise en place des législations progressistes. Il leur permettra de trouver leur juste place dans nos sociétés européennes.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine