Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Laurence Rossignol: « Après la conférence de presse: les droits des femmes et l’égalité, petite cause mais grande com’ »
C’est donc grâce au mouvement des gilets jaunes que le Président de la République a découvert, comme il l’a indiqué dans sa conférence de presse, les familles monoparentales.
Ce propos est consternant. Les familles monoparentales ne sont pas, pour reprendre une expression utilisée par Emmanuel Macron, un pli caché de la société auparavant ignoré des responsables publics. Elles représentent aujourd’hui plus de 20% des familles, davantage exposées à la pauvreté et à l’isolement. Et il serait plus précis de parler de mères monoparentales car pour 80% de ces foyers, ce sont les femmes qui assurent, seules, le quotidien.
Cet aveu d’ignorance et de découverte tardive de la monoparentalité interroge d’abord sur le sérieux et la sincérité du choix de l’égalité femmes-hommes comme grande cause du quinquennat.
Pour un Président, une grande cause, ce n’est pas rien ! Et patatras, on a découvert hier soir qu’en réalité le Président de la République ne connaissait pas grand-chose à la condition des femmes ni aux inégalités qu’elles subissent. Cette grande cause ne serait-elle donc qu’un coup de communication, une concession à l’air du temps ?
Grande cause ou pas, celle des femmes ne bénéficie d’aucun portage interministériel, et hormis la Secrétaire d’Etat qui en a la charge et quelques-unes de ses collègues, cela ne préoccupe aucun ministre. On en tient pour preuve, par exemple, que le même soir, Bruno Lemaire participait à une réunion organisée par la droite de la droite sur l’Europe et qui rassemblait 8 orateurs masculins. L’absence de femmes n’a nullement semblé gêner le ministre de l’Economie qui doit croire que #JamaisSansElles est une pub pour des lunettes ou des vitamines – et ce malgré l’intervention des militantes du collectif la Barbe et leur éviction musclée par l’organisation.
Dès lors, fondées sur l’ignorance et l’indifférence, il n’est pas surprenant que les annonces faites par le Président soient totalement à côté de la plaque pour ce qui concerne les droits des femmes.
Celles relatives aux pensions alimentaires impayées sont confondantes. Le Président de la République a tout bonnement annoncé, avec des trémolos dans la voix, la mise en place d’un dispositif… qui existe déjà. La Garantie des Impayés de Pensions Alimentaires a été créée par la loi du 4 août 2014 et l’Agence de Recouvrement mise en place en janvier 2017. Déjà, les CAF peuvent se retourner contre les parents débiteurs.
Incontestablement il faut faire mieux, mais depuis deux ans que ce gouvernement est en responsabilité, il a totalement négligé la mise en œuvre de cette Agence de Recouvrement, n’a pas suivi son fonctionnement et ses procédures, n’a rien évalué pour la corriger et l’améliorer.
Cette Agence a été, comme tout ce qui date de l’ancien monde, méprisée et ignorée.
Le dispositif n’a pas atteint tous ses objectifs. Ce qui a été dit hier soir n’est rien d’autre que la description de l’existant. Deux années perdues, et pourtant la possibilité d’une vraie évolution comme le propose l’association Abandon de Famille-Tolérance Zéro n’a même pas été étudiée. Le 8 mars dernier, nous réunissions près de 300 femmes, majoritairement précaires, pour débattre des violences économiques qu’elles subissent : pour la plupart, elles connaissent leurs droits et leurs possibilités de recours. Mais elles les estimaient insuffisantes : lourdeur et longueur des procédures, stratégies d’insolvabilité des pères débiteurs, chantage sur la contribution alimentaire, versements sporadiques, etc.
A la lumière de leurs témoignages, il apparaît évident qu’il faut engager une nouvelle étape plus contraignante envers les débiteurs pour permettre aux mères seules de sortir de la précarité… et non pas annoncer l’existant comme s’il s’agissait d’une nouveauté !
En ce qui concerne les retraites, celles des femmes sont inférieures de près de 40% à celles des hommes, en raison de nombreuses interruptions de travail et de cotisations au cours de leurs vies. Il a été dit, toujours dans la même conférence de presse que désormais il n’y aurait plus de retraites inférieures à 1 000 €… pour ceux qui ont cotisé toute leur vie. Cette précision douche immédiatement les espoirs que les femmes auraient pu mettre dans ce nouveau minimum social. Comme, justement, elles n’ont pas atteint toutes leurs annuités, elles ne bénéficieront pas de la moindre augmentation.
Faire de l’égalité femmes-hommes une grande cause, c’est passer toutes les politiques et toutes les mesures nouvelles au scanner pour savoir si elles contribuent ou non à réduire les inégalités. Cette approche intégrée de l’égalité est d’ailleurs prévue par la loi depuis 2014. Visiblement, cet exercice ne fait toujours pas partie de la méthode du gouvernement Macron/Philippe.
Les femmes ? Leurs droits ? Leur émancipation ? Petite cause mais grande com’.
Laurence ROSSIGNOL
Présidente de l’Assemblée des Femmes