DOSSIERS \ Femmes, travail, violences: pour changer l’équation Violaine : «ça vient en réunion avec nous, ça !»
Violaine, cadre, a vécu différents types de sexisme ordinaire, parfois invisible, dans les entreprises dans lesquelles elle a travaillé. A chaque fois elle a réagi avec franchise et conviction, permettant souvent à d’autres femmes de ne plus subir de comportements sexistes avec ces hommes-là.
J’ai vécu de nombreuses expériences qui par leur caractère récurrent peuvent relever du harcèlement sexiste au travail. J’ai repéré également ce type de comportements nombre de fois autour de moi. Je ne me sens pas personnellement victime parce que pour moi cela n’a pas été répété par les mêmes personnes, j’ai pu couper court à ces comportements inappropriés, mais cela s’est produit très souvent et avec de nombreuses personnes différentes. Je pense que l’on peut parler d’un climat de sexisme banalisé dans le milieu professionnel.
Dans une entreprise de transport ferroviaire, toute jeune, c’était mon premier emploi, je me prépare à entrer dans une réunion où je serai la seule femme cadre. J’étais intérimaire dans une usine et je n’étais pas dans cette entreprise depuis très longtemps, un certain nombre de personnes ne me connaissaient pas. Un homme arrive devant moi, me regarde de haut en bas, un peu comme si j’étais un animal derrière une vitre, et dit à son collègue : «ça vient en réunion avec nous, ça ?» Je le regarde et je lui réponds : «vous êtes en train de parler d’une chose, peut-être parlez-vous du mur qui est derrière moi ?» Et à ce moment là, il s’est rendu compte que je parlais et que j’entendais, donc que j’étais vivante, que je n’étais pas une chose ! Il était très gêné, il s’est excusé… En fait il avait intégré des comportements : une femme ne pouvait pas participer pas à ce type de réunion, il n’avait pas du tout conscience de ce qu’il avait dit.
Autre exemple, je travaille chez un producteur d’énergie depuis de nombreuses années, mais cela fait une quinzaine de jours que je suis dans ce service et je m’aperçois que mon responsable hiérarchique appelle régulièrement une partie des femmes du service «ma puce.» Dans un premier temps, je suis scandalisée, je regarde les réactions des femmes, je me rends compte que personne ne bouge et puis évidemment un jour ça tombe sur moi. Nous étions dans le couloir, son bureau était juste à côté. Je le regarde et je l’appelle par son prénom (il avait l’âge de mon père) et je lui dis «je voudrais te voir immédiatement dans ton bureau.» Il blêmit et comme un petit garçon qui va se faire disputer, il rentre dans son bureau, devant tout le monde.
Je ferme la porte et le dialogue s’engage :
«je suis vraiment, vraiment, vraiment choquée par la façon dont tu m’as appelé et il n’est pas question que cela se reproduise, tu m’appelles Violaine, tu m’appelles madame, tu m’appelles comme tu veux, mais par mon prénom, ou mon nom de famille.»
« Mais tu sais c’est affectueux, j’appelle beaucoup de femmes comme ça, c’est parce que je les aime bien.»
«Tu ne te rends pas compte des effets produits par ton comportement parce qu’à mon avis, cela gêne tout le monde dans le service.»
«Tu crois ? Mais non mais pas du tout…»
Il a compris et ensuite il a fait attention, il a arrêté et des femmes du service sont venues me remercier en m’expliquant : «nous ne savions pas comment nous sortir de cette situation qui dure depuis des années.» Mais le problème est qu’en fonction du statut que tu as dans une entreprise, tu peux te permettre ou pas de faire une mise au point.
Dans le même registre, un jour nous nous sommes retrouvés tous les deux dans l’ascenseur.
«Violaine, il faut que je te dise quelque chose,mais cela ne va pas te plaire.»
«Dans ce cas, tu ne dis rien.»
«Je ne peux pas m’en empêcher.»
«Tu devrais.»
«J‘adore comment tu es habillée aujourd’hui.»
«Tu aurais mieux fait de ne rien dire comme je te l’avais suggéré. Cette remarque ne m’intéresse pas, elle me met mal à l’aise et je ne vois pas dans quel but tu me fais ce genre de commentaire.»
Toujours dans mon milieu professionnel, un autre sujet qui m’interroge beaucoup, c’est ce que j’appellerai «l’oppression physique», ou bien l’envahissement de son espace vital, qui est un espace de protection variable d’une personne à l’autre. Lorsque l’on est de petite taille et de sexe féminin, il y a un certain nombre de comportements répétés, admis, qui consistent, pour les hommes, à te dominer physiquement, à te toucher, à rentrer dans ton espace personnel, soit par la bise imposée alors que tu ne connais pas la personne, soit par un geste qui consiste à te prendre par l’épaule. C’est un symbole physique de domination qui me met toujours extrêmement mal à l’aise. Même avec des collègues proches et avec qui je m’entends très bien, je ressens ce type de comportement comme agressif et je ne suis pas la seule à le penser.
Je me souviens d’un de mes collègues qui mesurait au moins 1,90 m, et qui régulièrement se mettait au dessus de moi, me touchait l’épaule pour me dire bonjour. Moi je n’aimais pas du tout. Un jour je lui ai dit :«je voudrais que nous ayons une relation d’égale à égal et je ne sens pas cela dans la manière dont tu te comportes physiquement avec moi. J’aimerais que tu acceptes que je n’aime pas cette proximité, ni cette domination physique que tu m’imposes. Soit tu te baisses à ma taille, soit tu me demandes si on peut se faire la bise… Mais en tout cas tu ne me touches pas au prétexte que tu es grand et moi petite.»
Il n’a pas compris tout de suite, il avait l’impression que je le critiquais à cause de sa taille. Après il faisait de l’humour mais il a fait des efforts. Je crois que ça l’a fait réfléchir. Il mettait ses mains derrière son dos en se baissant le mieux possible pour me faire la bise. Toujours en souriant gentiment, avec un peu peur de mal faire. Mais il a écouté. Depuis j’ai aussi décidé dans certains lieux où j’ai travaillé de ne plus accepter la bise, de tendre la main à tout le monde et c’est aussi bien comme ça. Ce qui ne m’empêchait pas en dehors du travail d’apprécier de faire la bise à certains ou certaines collègues
Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 magazine