Articles récents \ France \ Politique Catherine Baratti-Elbaz : « nous sommes les meilleur.es en France en terme d’accueil de la petite enfance » 2/2
Pour Catherine Baratti-Elbaz, c’est la triple peine, elle est femme, maire et engagée à gauche. De formation scientifique, élue maire du 12 ème arrondissement de Paris en 2015, elle a mis en application ses valeurs féministes : la parité, l’égalité filles/garçons dans les crèches, le soutien aux femmes SDF, la lutte contre la prostitution… Parcours, actions, projets d’une femme politique.
Quelles sont les mesures concernant l’égalité femmes/hommes dont vous êtes la plus fière ?
Une approche qui m’occupe tous les jours, ce sont les dénominations d’espaces publics, c’est une chose dont je suis très fière parce qu’elles resteront. Ces femmes seront inscrites dans l’espace public de notre ville. La deuxième chose c’est l’étude que nous avons faite avec les personnels de la petite enfance, nous développons l’accueil de la petite enfance de manière inégalée en France.
Effectivement, j’avais entendu dire qu’il y avait des crèches test dans le 12ème arrondissement ?
Nous avons fait un effort quantitatif indéniable, nous sommes les meilleur.es en France en terme d’accueil de la petite enfance. Nous allons continuer, mais ce qui m’a le plus impressionnée, c’est cette étude sur les comportements genrés de nos professionnel.les, de nos enfants et des parents. Cette enquête a été réalisé en novembre 2015 par un cabinet de recherches avec des séances d’observation sur place, 10 établissements étaient volontaires. Moi je reste une éducatrice dans l’âme, je crois que la solution à beaucoup de nos difficultés aujourd’hui, passe par l’éducation.
A travers cette étude, nous avons pu observer comment l’éducation, l’accueil des enfants par les adultes, les interventions des parents, pouvaient être genrés ou non. En fait c’est incroyable, parce que nous avions des professionnel.les engagé.es sur ces sujets, volontaires pour ce travail, des parents très intéressés et nous nous sommes rendues compte qu’il y avait une quantité incroyable d’actions, de gestes, d’habitudes qui prédisposaient les enfants aux stéréotypes de genre. Y compris des choses simples comme, par exemple, les déguisements que les parents choisissent pour leurs enfants, les jouets….
Pourtant les professionnel.les concerné.es avaient déjà beaucoup d’idées en tête, dans les propositions de jeux que l’on fait aux enfants par exemple, c’est déterminant c’est impressionnant de voir ce que l’on intériorise, dès l’accueil des tout.es petit.es. Les professionnel.les on eu beaucoup de mal à admettre être dans les stéréotypes. Ce sont des attitudes évidentes sur lesquelles maintenant nous sommes très attentives/attentifs.
Je pense que la question des modes de garde ne concerne pas uniquement les mamans. Je suis plutôt contre les crèches d’entreprise, parce que de fait c’est forcément le parent qui travaille dans cette entreprise qui va amener son enfant, et ce parent c’est toujours la mère, alors que si la garde est sur le lieu du domicile, les deux parents peuvent s’impliquer de manière équivalente pour emmener l’enfant à la crèche.
Et le fait de proposer des activités périscolaires de qualité le mercredi après-midi dans la continuité des rythmes scolaires, a permis aux femmes de reprendre une activité professionnelle. Parce que bien évidemment ce sont elles qui s’occupaient des enfants le mercredi. L’école obligatoire le mercredi matin leur a permis de passer progressivement à un temps plein. Des études le montrent clairement. Les politiques familiales permettent de faire progresser l’égalité entre les parents. C’est déterminant. J’ai toujours pensé que lorsque l’on aide des familles, on aide majoritairement les mamans.
Comment travaillez vous avec les associations de votre arrondissement ?
Nous construisons souvent nos politiques avec le secteur associatif, c’est dans ce secteur que l’on trouve beaucoup d’innovations sociales. Nous sommes souvent interpellé.es, surpris.es par le secteur associatif, et c’est bien légitime. Nous avons des mandats qui durent 6 ans, c’est long 6 ans, donc il faut que l’on puisse être remis.es en question régulièrement, et je trouve normal et sain d’être interpellé.es par des associations qui nous demandent de faire évoluer nos pratiques. Et c’est déterminant pour nous d’avoir des associations qui nous alertent particulièrement sur les conditions de vie des femmes.
Je crois que dans les derniers mois, un sujet qui a vraiment émergé c’est celui des femmes à la rue, des femmes exclues. Et je rappellerai qu’une des premières visites de la maire de Paris dans le 12ème avait été pour l’association qui gère la halte femmes près de la gare de Lyon. Quand vous ne savez plus pourquoi vous êtes engagée.es, je vous invite à aller faire une visite dans ce lieu, cela remet les pendules à l’heure tout de suite. Cela vous aide à retrouver l’énergie pour mener les combats, c’est radical.
L’année dernière, année de la solidarité, nous avons découvert qu’il y avait non pas 2 %, mais 12% de femmes à la rue. En fait un grand nombre de nos dispositifs étaient très excluant pour les femmes, car elles ont du mal à se sentir à l’aise dans les dispositifs d’accueil quand ils sont mixtes. Les femmes à la rue, elles le disent, ont toutes été victimes de violences. Elles se cachent, elles marchent, et donc elles sont invisibles. Nous allons bientôt ouvrir un nouveau lieu dans le 12éme, 188 rue de Charenton, un bain douche qui sera ouvert au public le matin, avec une baggagerie. Avec l’aide de l’association Aurore, le service social, le Samu social, ce lieu sera ouvert l’après-midi aux femmes. Et les femmes y trouveront différents types de soins : hygiène, reprise de confiance en soi, accompagnement social classique, pédicure, manucure, coiffure… Les femmes pourront souffler, se poser, se reconstruire. Il s’agit de prendre soin de ces femmes-là dans l’espace public, ces femmes qui sont encore plus fragiles que les autres. Ce projet n’a pas été simple parce qu’il a fallu gérer en interne des réticences, mais je l’ai fait. C’est un des projets qui me procure une grande fierté.
Comment travaillez vous avec la police sur les violences faites aux femmes ?
C’est un vrai sujet, la question de la parole des femmes, qui est difficile à faire sortir, encore faut-il qu’il y ait quelqu’un pour l’entendre. Les femmes victimes de violences, comme les victimes d’actes homophobes, ont souvent une parole remise en cause, une parole souvent minimisée : «ce sont des choses qui sont normales dans une vie conjugale»… La parole des femmes est toujours difficilement écoutée dans les services publics, nous avons de ce fait développé des partenariats avec des associations qui accompagnent les femmes. J’en ai parlé aussi à mon commissaire de police afin qu’il créé des espaces pour préserver la confidentialité, et où les femmes puissent trouver des interlocutrices/ interlocuteurs sensibilisé.es à ces questions. Nous avons également entamé un travail de sensibilisation auprès de la préfecture de Paris. Le préfet s’est engagé à faire des formations auprès des effectifs des commissariats de police, mais la route est longue. Je pense que la prise de conscience est là et qu’il y a des engagements dans cette voie. Pour les policier.es, comme pour l’ensemble de la société, tout passe par l’éducation. Il y a une vraie responsabilité des femmes en tant que mères, éducatrices, sur la manière dont elles élèvent leurs enfants. C’est un vrai défi. J’ai un garçon et une fille, je les regarde, et je me demande si j’ai réussi à bien les éduquer. Ce n’est pas facile.
Et que faites vous dans votre arrondissement sur le sport au féminin ?
Nous essayons de travailler avec nos clubs sportifs, nous les interrogeons sur le sport féminin, le handisport, les jeunes, les senior.es… La question du sport féminin est toujours dans le champ de la discussion. Nous leur fournissons des financements supplémentaires, s’ils acceptent d’avoir un créneau de sport féminin. Et ça marche, lorsque l’on ouvre une section de foot féminin, ça marche. Nous aimerions que les garçons fassent autre chose que du foot, et que les filles en fassent. Nous avons une politique très volontariste dans le sport, par souci d’égalité mais aussi parce que pour les femmes, avoir une pratique sportive régulière est une manière de s’affirmer, de s’épanouir. Nous voulons faire comprendre au monde sportif que oui il y a des sportives femmes, qu’il faut les respecter. Les hommes n’ont pas le droit de dire n’importe quoi dans les vestiaires, sur les terrains de sport, les femmes sont aussi capables de réussir dans beaucoup de sport.
Que faites vous pour faire appliquer la loi d’abolition de la prostitution, vous maire d’un arrondissement qui comprend le bois de Vincennes où sévissent de nombreux proxénètes ?
J’étais vraiment contente de la décision du conseil d’État, qui confirme la loi de pénalisation des clients. Je n’ai jamais cru qu’une femme se prostituait par plaisir ou par choix d’entreprendre. Je suis bien placée pour le savoir, dans mon arrondissement je vois bien l’état de la prostitution : les femmes sont de plus en plus jeunes, parfois mineures, de plus en plus sont issues d’un parcours migratoire, souvent à la demande des parents, et qui se termine par un engagement pour financer ce parcours, Les proxénètes sont de plus en plus présents sur le terrain, à proximité immédiate du lieu de prostitution et de consommation. Il y a une violence accrue dans les réseaux, des femmes sont de plus en plus victimes de violences de la part des clients et des proxénètes. Je vois le diagnostic posé à la fois par les travailleuses sociales, les associations qui accompagnent les prostituées mais aussi par les forces de police. Cette situation n’est pas acceptable.
Concrètement, que peut faire une maire sur ces questions là ?
C’est très difficile parce que c’est la compétence des polices nationales de pénaliser les clients. Nous avons une politique d’aménagement du bois de Vincennes qui permet de préserver les femmes, nous accompagnons et finançons des associations. Nous portons un discours abolitionniste.
Il y a des actrices/acteurs du bois de Vincennes qui disent «nous ne ne voulons pas de prostitution aux abords des terrains sportifs». A côté des terrains de sport où il y a des enfants, nous essayons de ne plus avoir de prostitution…
La prostitution a changé de visage, c’est aujourd’hui de la traite de femmes, un système organisé. Il n’y a aucune femme qui va se prostituer au bois de Vincennes pour le plaisir. Je suis pour la responsabilisation du client, il ne faut pas croire que c’est neutre, que c’est sans conséquence, d’aller acheter un acte sexuel. Il faut aménager la peine, le montant de la pénalité du procès verbal peut être adapté aux ressources du client, mais le principe doit rester là, il est posé, il est juste. Le coupable, c’est le client, ce n’est pas la femme qui se prostitue. Il y a énormément de femmes qui acceptent le processus de sortie de la prostitution qui leur est proposé. De toute manière c’est long, il faut continuer à les accompagner, à les aider, car les victimes ce sont les femmes et non pas les clients qui se conduisent n’importe comment pour acheter un acte sexuel.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine