Articles récents \ France \ Politique Catherine Baratti-Elbaz: « «j’ai besoin de faire mes preuves, beaucoup plus qu’un collègue élu homme» 1/2
Pour Catherine Baratti-Elbaz, c’est la triple peine, elle est femme, maire et engagée à gauche. De formation scientifique, élue maire du 12 ème arrondissement de Paris en 2015, elle a mis en application ses valeurs féministes: la parité, l’égalité filles/garçons dans les crèches, le soutien aux femmes SDF, la lutte contre la prostitution… Parcours, actions, projets d’une femme politique.
Quel est votre parcours professionnel ? Qu’avez vous fait avant d’entrer en politique ?
J’ai fait des études scientifiques (rires), je suis normalienne, agrégée et docteure en sciences. Cela m’a amenée à travailler dans l’enseignement supérieur, dans un milieu très féminin qu’est la biologie, mais comme dans beaucoup de secteurs, plus je montais en responsabilités plus les hommes devenaient majoritaires. Je me souviens qu’à l’occasion d’une réunion à l’université sur l’organisation des maquettes de formation des masters, je me suis retrouvée être la seule femme autour de la table alors que c’est une profession à 80% féminine. Quand on est au niveau des professeur.es d’université, responsables des masters ou des doctorats, il n’y a plus que des hommes. Je me suis demandé si j’étais légitime à mon poste, on en arrive à intérioriser ces questions-là.
Quand vous êtes majoritaire en tant qu’enseignante et que lors des réunions décisionnelles vous ne vous retrouvez qu’avec des hommes, c’est quand même bizarre. Quand le corpus est masculin et qu’on retrouve des hommes à tous les niveaux, c’est logique, mais là il y a une inversion de la proportionnalité quand on entre dans les cercles de pouvoir. Cette question m’a vite interpellée.
J’ai été élevée par une famille dans laquelle on me disait qu’en tant que femme, j’étais légitime à faire des études, à exister comme individu à part entière. J’ai vite compris que dans la sphère professionnelle, il pouvait y avoir des différences. Même dans les rapports avec les étudiant.es, un très grand nombre de jeunes filles intériorisent la contrainte, sont de fait beaucoup moins ambitieuses, osent moins.
J’ai travaillé à l’Ecole Normale Supérieure, j’ai accompagné les étudiant.es en biologie et dans d’autres disciplines, notamment des disciplines où il y avait majoritairement des hommes comme les sciences de l’ingénieur, et c’est vrai que j’ai eu affaire à des comportements très violents de la part des étudiants contre les étudiantes. Dans les soirées étudiantes, les soirées d’intégration… Y compris parmi les étudiants les plus intelligents de leur génération, des attitudes inacceptables dans les rapports de domination, d’humiliation, qui étaient choses courantes, qu’on retrouve dans beaucoup d’écoles d’ingénieur.e. La ligue du LOL par exemple, ne me surprend pas plus que ça. Ce qui était très étonnant chez les étudiants c’est leur double discours : politiquement correct quand on était en entretien au bureau des étudiants, discours très policé. Et le revers de la médaille: ce que racontaient certaines jeunes filles sous couvert d’anonymat, de confidentialité, des actes d’une violence extrême, sexiste. Il y a ce côté ambivalent de certains garçons, et de certaines femmes qui acceptaient, qui minimisaient… Sur ces violences on a beaucoup accepté le silence et le non-dit dans ces années-là. J’espère qu’on est en train de revenir sur cet état de fait. Il faut que la parole des femmes puisse être plus accompagnée, plus entendue, plus écoutée. On vient de loin.
Clairement ces questions d’égalité ont fait partie des raisons de mon engagement politique.
Justement de quand date votre engagement en politique ?
Assez tôt, en parallèle de mon activité professionnelle je m’engage au parti socialiste, et je m’engage aussi dans le milieu associatif comme parent d’élève. Je crois dans les valeurs de gauche, même si je n’ai pas toujours été d’accord avec les idées du parti, je me trouvais à l’aise dans ces valeurs.
Je n’avais pas 30 ans lorsque j’ai eu ma fille, je n’avais pas encore soutenu ma thèse. Avoir à la fois des études longues et des enfants, ce n’était pas forcément facile.
J’ai passé un entretien 15 jours après avoir accouché de mon 2ème enfant. Et d’ailleurs cela ne s’est pas bien passé. Ce n’est jamais facile pour une femme. Mais j’ai eu la chance d’avoir des modes de garde appropriés parce qu’habitant Paris.
Nous sommes dans une ville, un département qui assument pleinement cette mission de proposer des modes de garde accessibles à toutes les familles parisiennes, cela n’a pas de prix. C’est quelque chose qui m’a beaucoup aidée pour reprendre mon activité professionnelle, après mes accouchements.
Au PS en 94-95, j’ai milité à Paris pour la première fois pour Bertrand Delanoë en 2001. J’étais jeune maman et j’ai vu changer cette ville quand la gauche est arrivée en responsabilité. Par exemple pour obtenir une place en crèche pour mon aînée, j’avais dû pleurer auprès de l’adjointe de la mairie du 12 ème. Elle avait fini par me l’accorder, mais cela m’avait interpellée.
En 2008 j’ai été élue une première fois comme adjointe de la maire du 12 ème qui m’a confié une délégation technique. Je me suis retrouvée face à des ingénieurs de la ville charmants mais qui avaient une attitude parfois un peu surprenante m’expliquant : «bah non ce n’est pas possible techniquement», je leur répondais «d’accord mais si vous essayez de m’expliquer je peux comprendre», et ils me rétorquaient «non mais c’est technique», un jour je leur ai dit «non mais vous savez j’ai fait plus d’études que vous, vous êtes ingénieurs très bien, mais moi je suis docteure en sciences donc si vous faites un effort pour m’expliquer, peut-être que je comprendrais». Cela m’a pris 6 mois pour être acceptée et ensuite nouer une relation de confiance avec eux. Je les ai gardée 6 ans, ils m’ont appris beaucoup de choses et je les en remercie sincèrement. J’ai visité des chantiers, j’ai mis des bottes de chantier et des casques et nous avons porté ensemble beaucoup de projets et finalement tout s’est très bien passé. Au début, les ingénieurs de la ville, et même les habitant.es qui avaient l’habitude de poser des questions sur les sujets techniques, trouvaient bizarre que ce soit une femme qui leur réponde et qui leur explique les chantiers, les plans, les 3D …
Ce sont les schémas habituels selon lesquels les femmes seraient moins à même de comprendre un plan ou de visualiser en 3D. Toutes les études montrent le contraire : les jeunes filles réussissent mieux dans les études scientifiques, elles ont une capacité d’abstraction et de se projeter dans l’espace qui est supérieure aux garçons. Moi j’avais effectivement une formation, un concours réussi, je suis fille de profs donc mes parents m’ont toujours expliqué que si je réussissais les concours, je devenais légitime. C’est ce que j’ai fait, j’ai passé des concours qui sont ouverts à tout le monde, j’ai hérité d’un capital intellectuel et de parents bienveillants qui m’ont donné confiance, m’ont dit qu’en faisant des études je réussirai aussi bien que les garçons.
Ensuite je suis devenue maire. A Paris, avec la gauche, la question de la parité est devenue obligatoire avant même la loi, avec cette idée d’avoir une femme tête de liste dans les arrondissements, avant d’être maire. J’ai succédé à la maire dont j’avais été l’adjointe, et nous avons réussi à faire le passage de relais.
En tant que femme scientifique, ce que vous décrivez c’est une forme de mépris à votre égard, mais en tant que femme politique, que vivez vous ?
C’est pire d’être femme politique, c’est la triple peine : femme, élue, de gauche. Lorsque je dis «je suis maire du 12è arrondissement, 145 000 habitant.es» les gens répondent «ah oui quand même». J’ai été élue sur mon nom, tête de liste, 145 000 habitant.es c’est Dijon ! J’ai été élue Présidente du Syndicat Auto-Lib Vélib en octobre 2017, j’ai géré la situation de crise de Vélib et d’Auto-Lib, clairement avec mes interlocutrices/interlocuteurs. On a souvent sous-estimé ma capacité à tenir tête, à négocier, sûrement parce que j’étais élue et de gauche, mais aussi parce que j’étais femme. La fermeté chez une femme politique est considéré comme de l’entêtement. Moi j’écoute toujours beaucoup mes interlocuteurs, mais je n’ai pas honte, quand je ne suis pas d’accord, de le dire, je trouve les formes, je ne crie pas, je ne hurle pas, je ne menace pas, mais je dis les choses, et je surprends beaucoup. Je vois beaucoup de surprise chez mes interlocuteurs, par exemple avec de gros opérateurs du 12ème comme la RATP, la SNCF, quand je porte des questions, des sujets, quand je tiens ferme.
J’ai beaucoup plus besoin de faire mes preuves qu’un collègue élu homme. On part de plus bas dans la relation de confiance avec les interlocuteurs parce qu’on est femme. C’est flagrant. Il faut être capable de résister à la pression, à ce regard condescendant.
Avoir Anne Hidalgo, maire de Paris, a changé les choses, indéniablement, c’est l’un des postes les plus puissants de la République. On a une femme Maire de Paris, c’est bien, mais combien de femmes première ministre ? Est-ce qu’un jour on aura une femme Présidente de la République ? Anne Hidalgo a ouvert beaucoup de portes, et nous derrière on renforce, on montre que oui on peut être femme de gauche et tenir ses dossiers, les connaître, les suivre, les porter… On est sous-estimée d’office, ce qui peut être un avantage. Les femmes savent maintenant surprendre leurs interlocuteurs, par leur capacité de travail, de raisonner, de porter des arguments. On apparaît un peu plus tenaces, mais il faut forcément être un peu plus fortes que les hommes, forcément. Prouver plus, tenir plus. C’est notre quotidien.
Comment avez vous appliqué la parité à la mairie du 12ème ?
Lorsque je suis arrivée, j’ai nommé une femme directrice générale de service, une femme directrice de cabinet, une femme cheffe de cabinet, et un homme comme assistant du personnel. Cela a un peu surpris. On était les seul.es dans tout Paris. Il est certain que la parité bouge, certain.es partent, d’autres reviennent, mais j’ai toujours une femme directrice générale de service. C’était important dans l’administration, car les inégalités f/h dans la fonction publique, sont aussi là. Les femmes ont des carrière plus longues … elles montent moins haut. Pour la première fois nous avons une femme secrétaire générale de l’administration parisienne. C’est un signal très fort. Ce n’est pas qu’un symbole, les femmes sont aussi combattantes que les hommes.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine