Articles récents \ France \ Société « Sous la peau » une série pour rompre le silence sur le cancer
Sous la peau est une série télévisée de France 3 qui, sous l’apparence d’un polar, emmène la téléspectatrice/le téléspectateur dans l’intimité de la maladie qui fait peur : le cancer. Qui plus est, il s’agit du cancer au féminin. Les deux scénaristes, Sylvie Audcoeur et Anna Fregonese, ont l’habitude de travailler ensemble, elles ont trouvé le ton juste pour relier les problèmes qui se posent au personnage principal Marion, interprétée avec brio par Anne Marivin. Elle est entourée d’une remarquable distribution. La série sera diffusée mardi 12 mars à 21h sur France 3. A ne pas manquer !
50-50 magazine et Rose magazine sont en partenariat avec France 3 sur ce sujet pour que le silence sur la maladie qui fait peur soit rompu ! Sylvie Audcoeur, Anna Fregonese, et Anne Marivin nous expliquent la genèse et la réalisation de la série.
Quelle a été votre source d’inspiration pour ce téléfilm ?
Anna Fregonese : C’est après avoir vu une conférence TEDx où Celine Lis-Raoux, la fondatrice de Rose Magazine, un magazine destiné aux femmes atteintes de cancer, parlait de son expérience, de son cancer, du fait qu’elle avait été plongée dans une espèce de monde parallèle. Elle dit qu’à partir de là elle n’avait aucune information à part quelques infos médicales.
Je vois cette femme qui était journaliste à l’Express qui explique à quel point cela a été une espèce de cataclysme dans sa vie. Les conférences TEDx se déroulent dans un théâtre d’environ 700 places. Céline Lis-Raoux, au début de sa présentation pose la question : « qui n’a jamais été touché de près ou de loin par un cancer se lève? A part quelques personnes qui se lèvent, probablement moins de 10 et ce n’était que des jeunes, tout le monde reste assis. »
J’en parle immédiatement à Sylvie : « j’ai vu quelque chose d’incroyable hier soir ; voilà ce qui se passe vraiment : pourquoi personne n’en parle ? Pourquoi une héroïne, un héros, de fiction n’a-t-elle/il jamais un cancer ? Pourquoi n’est-ce pas au cœur d’une fiction ? Pourquoi ne parle-on pas du cataclysme que cela provoque dans la vie personnelle ? Il y a des films documentaires sur le cancer mais rien sur l’impact sur la vie personnelle »
Sylvie Audcoeur : Anna et moi avons écrit beaucoup de choses ensemble pour la télévision. Nous nous sommes demandées quelle serait l’allégorie la plus forte autour du cancer, et nous nous sommes dit, le cancer du sein c’est un tueur de femmes et donc c’est un serial killer. En fait, on a tiré le fil du cancer en imaginant que cette femme était aux prises avec un ennemi à l’intérieur, c’est-à-dire un serial killer intérieur, son cancer, et il y a également un serial killer extérieur. Comme elle est flic, elle lutte aussi contre un serial killer extérieur, un tueur de femmes.
C’est ainsi que l’on a construit l’histoire et après nous en avons fait une série de trois fois cinquante-deux minutes.
Marion le personnage principal choisit le silence, pouvez-vous nous en dire plus sur ce silence ?
Anna Fregonese: Nous nous sommes rendues compte, en consultant des oncologues, et en parlant avec beaucoup, que certaines personnes passent par une phase de déni. Au sujet de notre personnage, son métier est très physique et en effet elle évolue dans un milieu très masculin, puisqu’elle est capitaine de police, donc elle sait très bien que dès qu’elle aura annoncé son cancer, évidemment on ne va plus la regarder de la même manière.
Sylvie Audcoeur: Aujourd’hui après avoir eu un cancer, notamment dans le monde du travail, il est très compliqué de se reconstruire parce que les gens ont peur de vous donner des responsabilités. Par exemple, on ne peut pas faire de prêt quand on a un cancer. Alors que c’est une maladie qui touche un nombre de personnes considérable et qui peut se guérir. On voit encore des réactions très archaïques. C’est aussi pour cela que certain.es font le choix de taire leur maladie.
Anna Fregonese : Pour revenir sur Céline Lis-Raoux, elle a œuvré pour le droit à l’oubli, pour les prêts bancaires. Elle a été la cheville ouvrière de ce combat.
Anna Fregonese et Sylvie Audcoeur
Est-ce que cela a été difficile de trouver une chaîne de télévision pour soutenir la réalisation de la série et la diffuser ?
Anna Fregonese : Il fallait un peu de courage parce que ce n’est pas un sujet facile, et France 3 l’a eu.
Sylvie Audcoeur : La grande question était : est ce que les gens vont avoir de l’empathie pour une femme qui a le cancer ? Évidement que oui, mais il est compréhensible que ce sujet fasse peur.
Anna Fregonese : C’est vrai que cela faisait peur. Néanmoins, un producteur nous a suivi tout de suite et France 3 était très vite derrière.
Sylvie Audcoeur : Ils nous ont accompagné sans nous mettre aucune barrière, nous étions libres de raconter cette histoire comme nous le souhaitions. Cela a été un vrai plaisir d’écriture.
Comment votre personnage de la commissaire divisionnaire reçoit-elle l’annonce du cancer de sa capitaine de police ?
Sylvie Audcoeur : En effet, je joue la commissaire divisionnaire. Pour elle, c’est compliqué d’avoir quelqu’un qui a un cancer, qui peut se mettre en danger, mettre en danger les autres, mettre en danger l’enquête. Même si elle ressent une empathie en tant que femme, il y a aussi la réalité d’un métier à responsabilité avec port d’arme, il faut gérer pour que les choses se passent au mieux.
Que pouvez-vous nous sur le personnage principal ?
Anna Fregonese : En fait, Marion est très seule. Elle n’arrive pas à parler à son mari ni à ses enfants. En plus elle a été élevée par un père « flic » avec qui «on n’a pas le droit à la faiblesse !» C’est devenu son credo. Elle est construite comme ça.
Est-ce que les femmes sont bien représentées dans votre profession ?
Anna Fregonese : Dans notre profession, on doit être approximativement autant de femmes que d’hommes. En tant que femme scénariste je ne vois pas de différence de traitement et tout le monde est payé au même niveau.
Sylvie Audcoeur : En revanche, ce n’est pas la même chose en réalisation. Pour la direction d’écriture c’est difficile aussi…dès qu’on arrive aux postes de pouvoir, cela devient plus compliqué. Il faut faire confiance et comme c’est, encore aujourd’hui, beaucoup d’hommes qui tiennent les ficelles de ce métier… il faut faire confiance aux femmes qui tiennent des postes de pouvoir. En tant que scénaristes, nous n’avons pas ces pouvoirs-là. En fait, la sensibilité des femmes et leur manière de raconter le monde sont assez prisées, car souvent l’audience recherchée est féminine.
Qu’est-ce qui vous a inspiré dans le scénario de « Sous la peau » ?
Anne Marivin : Je n’ai pas été particulièrement inspirée par le côté policier, en revanche le parcours d’une femme à qui on apprend qu’elle est atteinte d’un cancer, qu’elle est malade, et puis la façon dont elle s’enferme m’est apparu très fort. Le coté policier était important pour moi pour le fait que Marion faisait un métier d’homme. Le fait est qu’elle met du temps à s’informer et peut être que cela l’arrange au début.
Ne rien dire lui permet de nier l’existence de la maladie. Cela lui donne des moments de repos, elle ne veut pas se laisser enfermer. C’est difficile de dire que l’on est malade du cancer, car cette nouvelle va prendre toute la place dans sa vie. Et puis, il y a la fragilité que cela annonce, on devient fragile et lorsqu’on exerce un métier d’homme cela prend une autre dimension. Il me semble que c’était important de montrer ces hésitations et ces contradictions.
Qu’est-ce qui vous a le plus ému dans ce rôle ?
Anne Marivin : Le rapport à la maladie est subjectif, il n’y a pas une façon universelle de faire face à cette maladie. Marion, mon personnage, fait face à la solitude. Ce qui m’a émue c’est la première fois qu’elle se rend à la radiothérapie. Dans la salle d’attente elle rencontre un autre patient, un homme atteint de cancer du sein, puis dans cette pièce avec cette grosse machine elle est seule buste nu et pourtant il y a les voix des radiothérapeutes. Pour moi, il n’a pas fallu jouer pour être à la place de toutes les femmes. Ce sont les vrai.es radiothérapeutes qui ont joué leur rôle. L’inspiration se plaçait au-delà du jeu d’actrice.
Il faut que les femmes puissent parler de cette maladie.
Propos recueillis par Brigitte Marti 50-50 Magazine