Articles récents \ France \ Société Marie-Amélie Le Fur: «ce qui permet à certaines personnes en situation de handicap de survivre, c’est le tissu associatif»

Marie-Amélie Le Fur, championne paralympique de France, est désormais présidente du Comité paralympique et sportif français. Elle sera marraine du colloque « Les femmes handicapées et le sport : empowerment » organisé le 14 mars par Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, qui portera sur le pouvoir d’agir qu’apporte le sport aux femmes en situation de handicap. Les associations jouent un rôle décisif dans la vie des personnes en situation de handicap et de leur entourage, en particulier pour les aider à s’orienter dans les démarches administratives très complexes qui leur permettraient d’accéder à leurs droits. Elles sont également les actrices de terrain qui luttent pour l’accès aux activités du quotidien, comme le sport.

Comment êtes-vous devenue championne paralympique ?

Je suis championne paralympique et présidente du Comité paralympique et sportif français (CPSF). Je fais de l’athlétisme depuis toute petite. À l’âge de 15 ans, j’ai eu un grave accident de scooter. Soutenue par ma famille, mon entourage, le sport est apparu comme une évidence pour avoir un objectif de vie, pour continuer à avancer. J’ai repris le sport, au début parce que c’était ma passion, parce que c’était ce que j’aimais faire, et petit à petit j’ai découvert mon potentiel, j’ai préparé mes premiers jeux que j’ai ratés. Comme l’échec est quelque chose qui aide dans la vie, j’ai vraiment décidé de devenir une athlète de haut niveau à part entière, avec les mêmes sacrifices, les mêmes entraînements, la même abnégation, la même détermination mentale pour les Jeux de 2012.

Comment s’est construite ma carrière de championne ? Ce sont vraiment des rencontres, qui m’ont fait grandir, évoluer, qui m’ont fait comprendre des choses, qui m’ont permis tout au long de mon parcours d’explorer des nouvelles pistes pour me découvrir et progresser à la fois physiquement et mentalement.

Quelles médailles avez-vous gagnées et quelles sont vos prochaines courses ?

Je suis triple championne paralympique et quadruple championne du monde. J’ai fait plusieurs disciplines au cours de ma carrière : j’ai commencé sur le 100m, le 200m, la longueur. À Rio j’ai eu l’occasion de faire le 400m, et les prochaines épreuves seront principalement les Jeux paralympiques de Tokyo en 2020, uniquement sur le saut en longueur.

Quel est votre rôle en tant que présidente du Comité paralympique et sportif français ?

Je suis présidente du Comité, dont le but est de coordonner les fédérations qui accueillent les personnes en situation de handicap, coordonner le mouvement et les objectifs, outiller les fédérations en difficulté, et travailler sur le développement et le rayonnement du mouvement paralympique pour qu’il soit plus connu, plus relayé dans les médias. Emmener la délégation aux Jeux paralympiques fait partie des missions du Comité.

La gouvernance du sport va être modifiée avec la mise en place d’une agence, qu’est-ce que cela signifie ?

Il y a une agence nationale du sport qui se met en place actuellement : auparavant, le sport était directement géré par le ministère et les fédérations, désormais nous aurons cette agence du sport qui comportera deux branches : la première gérera toute la haute performance, en lien avec les fédérations, l’accompagnement au quotidien des sportives/sportifs de haut niveau pour qu’elles/ils deviennent des sportives/sportifs de très haut niveau, les faire passer d’une troisième, quatrième place à une médaille d’or, en mettant plus de moyens, en travaillant l’innovation, en travaillant l’écosystème autour des sportives/sportifs. L’autre branche de l’agence est de travailler sur le développement du sport. Dans la vie il n’y a pas que le sport de compétition, il y a aussi le sport pour tous, de loisir, pour le bien-être, pour la santé. Comment on amène le plus grand nombre de personnes à pratiquer le sport de manière encadrée ? Cela nécessite d’avoir des politiques de développement via les fédérations, les territoires et avec énormément d’actrices/acteurs du sport.

Dans vos missions de développement de l’accès au sport pour les enfants en situation de handicap, est-ce qu’il y a un volet genré qui vise spécifiquement l’accès au sport des filles en situation de handicap ?

Nos politiques ne sont pas genrées. Nous n’avons pas forcément de différence de reconnaissance des performances selon le genre de l’athlète.

Mais effectivement nous avons un taux de participation des jeunes filles qui est inférieur à celui des garçons pour le sport en situation de handicap. C’est une vérité pour les valides, c’est un petit peu plus marqué dans le monde handisport, mais c’est en train de changer. En améliorant la considération et la vision du handicap, les jeunes filles ont moins peur de s’affirmer et de venir dans le sport pour exprimer leurs compétences. Nous n’avons pas une politique axée sur le genre, mais quand sur le programme La Relève, un programme de détection lancé par le Comité, il y a énormément de jeunes filles qui s’inscrivent. Nous n’avons pas rencontré ce public à 100%, peut-être parce qu’on nous n’avons pas réussi à actionner le bon levier pour le toucher.

Vous n’avez donc pas de financement ciblé pour des cours de sport spécifiquement pour jeunes filles en situation de handicap ?

Nous raisonnons plutôt en termes de types de handicap, par exemple en fonction de la lourdeur du handicap : il y a des handicaps qui sont plus complexes à gérer au quotidien, qui vont nécessiter davantage d’accompagnement et de financement. Nous sommes plutôt sur une politique de sport d’accompagnement, politique selon le type de handicap plutôt qu’une politique genrée.

Votre engagement collectif a-t-il primé sur votre carrière personnelle au sein du monde sportif ?

Je suis arrivée à un point de ma carrière où je n’ai pas besoin des mêmes choses qu’il y a quelques années. J’ai mesuré le risque que je prenais en prenant la présidence sur ma carrière personnelle, il y a un risque de fatigue, un risque de surentraînement ou de sur sollicitation, mais je vais essayer de le gérer pour trouver un bon équilibre entre le mouvement et ma carrière personnelle.

Vous êtes marraine du colloque du 14 mars Femmes pour le dire, femmes pour agir. Depuis quand connaissez-vous cette association ?

Depuis que Femmes pour le dire, Femmes pour agir  m’a proposé de participer au colloque ! Au début j’ai beaucoup réfléchi, maintenant je n’engage plus seulement ma vision d’athlète, je m’engage aussi en tant que présidente du Comité. Même si le prisme choisi par l’association n’est pas celui du sport, nous avons vraiment un combat commun qui est autour des femmes en situation de handicap, et autour de leur capacité à prendre des responsabilités, à s’assumer, à se défendre et à s’épanouir. Comme le thème du colloque était orienté autour du sport, cela faisait vraiment sens d’être présente, d’apporter mon témoignage et d’agir sur l’autocensure, sur les blocages qui peuvent exister autour de la thématique sport, femmes et responsabilités.

Est-ce que vous pensez continuer à avoir des liens avec l’association au-delà du colloque ?

Toute association est bénéfique pour nous, dans la mesure où elle est en contact avec nos publics cibles, le contact pourra durer, même si je ne sais pas sous quelle forme. Nous travaillons aussi par exemple avec l’Association des Paralysés de France. Ce sont des réseaux de communication, d’échanges, de partages, autour de la problématique des personnes en situation de handicap. Plus on a d’associations partenaires, plus notre réseau vit, et plus il est représentatif de la communauté des personnes en situation de handicap.

Il y a beaucoup de choses qui se jouent autour du réseau dans le monde du handicap. Actuellement, ce monde du handicap qui est structuré, fédéré, institutionnalisé est peu connu et peu actif, mais ce qui permet à certaines personnes en situation de handicap de survivre, c’est le tissu associatif. Il crée du lien social, du dynamisme, il aide dans la dimension administrative, il permet de rencontrer les bon.nes actrices/acteurs et à comprendre comment fonctionne le monde du handicap. Il est essentiel. Le jour où FDFA voudra s’investir davantage dans la question du sport, nous pourrons être leurs interlocutrices/interlocuteurs pour que l’association monte en compétences.

Vous-même avez été aidée par des associations quand vous étiez plus jeune ?

Mon entourage s’est appuyé sur des associations, par exemple l’association Vagdespoir qui permet d’avoir accès aux rêves en situation de handicap : c’est possible de faire du surf, de faire plein de choses. Cet accès aux rêves, à l’ambition, permet de retrouver un moteur et d’avancer quand on a une situation de handicap qui nous tombe dessus du jour au lendemain.

Quel est votre quotidien en tant que femme sportive en situation de handicap ?

Pour moi cela se passe plutôt bien, j’ai un handicap relativement facile puisque je suis autonome, je suis verticalisée, cela me permet de me déplacer, je n’ai pas de souci d’accessibilité. Il ne faut pas se mettre des barrières supplémentaires, je suis une femme handicapée mais je peux faire plein de choses.  Si je ne me mets pas de barrières,  je pourrai aller très loin, je pourrai prouver des choses aux autres. C’est essentiel et c’est un message à faire passer lors de ce colloque que j’attends avec impatience. Il y aura un marrainage de ma part, et un témoignage, mais l’idée c’est de rencontrer des parcours de vie, d’échanger et d’apprendre les un.es des autres.

Notre a vie est difficile, elle n’est pas celle que nous avions prévue, mais pour autant nous avons toutes les cartes en main pour qu’elle soit belle, le tout c’est de trouver quelles cartes nous pouvons jouer.

Mon entourage m’a permis cette prise de conscience et de continuer à croire en la vie malgré les difficultés.

 

Propos recueillis par Alice Gaulier 50-50 Magazine

 

50-50 magazine est partenaire du colloque « Les femmes handicapées et le sport : empowerment »

14 mars Annexe de la Mairie du 14ème arrondissement 12, rue Pierre Castagnou  75014 Paris 9h-18h

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