Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Sexisme et parentalité : les modèles d’identification à l’école

Le collectif Ensemble contre le sexisme organisait,  le 24 janvier dernier, sa deuxième Journée nationale contre le sexisme. Cette journée avait pour objectif de réunir des voix féministes et engagées pour l’égalité. Dans le cadre d’un débat, qui questionnait l’impact du sexisme dans la parentalité et l’éducation, Mylène Bonnet, membre de H/F Culture a partagé ses réflexions. 

L’androcentrisme est un mode de pensée, conscient ou non, consistant à envisager le monde en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin. Une forme d’égocentrisme masculin, en somme.

Faites l’expérience suivante : demandez à un enfant de dessiner un enfant, l’enfant dessine un enfant de son sexe.
Demandez la même chose à un adulte, l’adulte dessine un garçon.

Que se passe-t-il entre l’enfant et l’adulte qu’il devient ? La socialisation. Et, un des lieux majeurs de socialisation, c’est l’école au sens large.

L’androcentrisme est dominant dès la petite enfance; il est temps d’agir pour faire prendre conscience que ce mode de pensée est très présent chez les enseignant.es à travers les modèles d’identification qu’elles/ils transmettent aux enfants.

Premier modèle d’identification : le vêtement

En matière de vêtements les filles sont confrontées à deux types de phénomènes.

L’auto-réification : c’est le fait de se percevoir soi-même comme un objet et par conséquent de poser sur soi un regard d’observatrice/observateur extérieur·e. La personne devient ultra consciente de sa représentation. Quand la vision que l’on a de soi est concentrée sur son visage cela permet de se percevoir comme quelqu’un·e d’intelligent·e, mais lorqu’elle porte sur son corps c’est qu’il y a auto-réification.

Lorsque la valeur de la personne dépend uniquement de son comportement sexuel, de l’attirance qu’elle provoque on parle d’auto-sexualisation, c’est un phénomène de compensation par manque de pouvoir. Les agents de socialisation comme les médias véhiculent des modèles d’hyper sexualisation des femmes qui donnent naissance au continuum des violences sexistes et sexuelles.

Statistiquement, les femmes ont plus tendance à être victimes de réification sexuelle que les hommes. Faites l’expérience suivante : dites à des collégien·nes de décrire par une liste de mots des portraits de femmes, elles/ils vous diront : moche, vieille, fatiguée…. Dites à des collégien·nes de décrire par une liste de mots des portraits d’hommes, elles/ils vous diront : courageux, vif, intelligent….

On renvoie systématiquement la gamine à son corps dans l’image (selfie), rien d’autre ne s’offre à elle, il n’y pas de modèle féminin autre que celui-là. Elle ne peut pas atteindre le modèle «intelligent» puisqu’elle est centrée sur la représentation de son corps sexué.

Les vêtements à l’école

Le personnel scolaire se permet des remarques sur les tenues des filles : longueur de la jupe (cf les affaires dont la presse s’est émue), décolleté ou pas (camionneuse, pas féminine) et jamais sur les garçons. Ils peuvent venir en jogging à l’école même s’il n’y a pas sport et porter des baggy qui dévoilent leur caleçon sans être inquiétés. Cela aboutit à des situations où au conseil d’ école la question du jour est de modifier le règlement intérieur pour préciser qu’elle est la tenue correcte qu’une jeune fille doit porter. La tenue des garçons n’est pas en question. Si l’on se permet de manifester quelques récriminations, on nous explique que ces tenues perturbent les garçons et que les jeunes filles ne se rendent pas compte de ce que ça raconte d’elles ….

Donc les gamines se retrouvent prises entre le marteau et l’enclume: l’hyper sexualisation renvoyée par les médias et la nécessité de canaliser les hormones des garçons.

Je voudrais donner un exemple des mouvements hormonaux des jeunes garçons : (on nous parle tout le temps des nôtres) Le nouveau jeu à la mode dans les cours de récré c’est : plus un garçon touche les seins ou les fesses des filles l’air de rien, plus il a de points… Si les gamines demandent l’aide d’un adulte, on leur répond : «tu as rêvé, ce garçon est vraiment trop mignon pour faire ça, tu vois, il pleure, c’est que ce que tu dis n’est pas vrai»

Nous sommes là en face des prémices du continuum du traitement des victimes d’agressions plus graves …..

Deuxième modèle d’identification : l’espace

Les filles ont tout simplement un accès réduit à la cour de l’école, elle ne peuvent pas jouer aux jeux de ballon, il ne leur reste que les bords du terrain pour jouer. En France nous avons la diagonale du vide, dans nos cours de récré c’est la diagonale impossible. « Tu traverses : t’es morte. »

Et je ne sais pas si l’école mixte a réussi son pari depuis 1976 mais demandez à des enfants de se mettre en cercle, vous aurez les filles d’un côté, les garçons de l’autre et il n’est pas question de se donner la main…

Il y a donc quelque chose qui empêche le mélange.

Troisième modèle d’identification : le langage au sens large

Le rapport des équipes encadrantes aux élèves.

On ne s’adresse à une classe qu’au masculin : « Etes-vous prêts? » « Vous avez tous bien compris? » Imaginez la petite fille qui n’a pas compris …. pensez-vous que ce soit simple pour elle de lever le doigt?

Certes l’écriture inclusive est interdite à l’école mais on peut tout à fait la pratiquer à l’oral. Essayez, après six mois de pratique les enfants font de même : « Madame, je pense qu’on est tous et toutes d’accord.« 

Et puis il y a l’éternelle tolérance aux garçons, la tolérance de leur énergie impossible à canaliser (les hormones?) alors que franchement … les histoires de filles, c’est vraiment fatiguant.

La façon d’enseigner

On nous apprend à accorder au féminin pas au masculin : « mettez au masculin les mots suivants » ça n’arrive jamais….

On nous explique que c’est pour bien comprendre ce qu’on rajoute : un T et un E à « violet » pour faire « violette ». On pourrait tout aussi bien expliquer ce qu’on enlève : un C et un E à « blanche » pour faire « blanc »

Et puis y a les plus belles, mes préférées celles où on se fait tou·tes avoir :

« Les élèves sont gentilLEs »   « Les automobilistes sont entréEs dans la ville par le sud »  « Les cyclistes sont muscléEs ».

L’enseignant·e va corriger l’accord au féminin et dire que c’est faux alors que la phrase est juste et la gamine a les larmes aux yeux parce qu’elle a raté son évaluation.

La transmission du matrimoine

Plus besoin de l’expliquer, on le sait : on peut difficilement se projeter dans l’avenir sans y être autorisée, sans modèle, ou alors il faut une sacré dose de courage.

Les enfants sont confrontés à des personnages et des œuvres majoritairement masculines.

Il faut transmettre le matrimoine dans toutes les disciplines et tous les lieux d’enseignement. Aurore Evain a remis ce mot au goût du jour et H/F Culture s’est emparé de ce terme pour mettre en valeur les œuvres des créatrices du passé. D’autres associations, collectifs, artistes, et institutions s’en emparent, l’effet matrimoine est très fort mais n’a pas atteint l’Education Nationale.

En arts plastiques les élèves continuent à n’étudier qu’à partir d’œuvres d’hommes. Prenez l’autoportrait : on leur propose Dubuffet. Frida Khalo par exemple, ce serait pas très difficile! Travailler sur le corps en mouvement ? Henri Matisse …. allez un petit effort …. les Nanas de Niki de Saint Phalle…

En Histoire, Jeanne d’Arc arrive parfois à serrer la pince de Napoléon mais pas souvent. On nous parle toujours de Clovis mais peu d’Aliénor d’Aquitaine; on se tape les pyramides des Égyptiens tous les 2 ans pendant nos études mais pas leur société égalitariste de – 2700 ans …jamais…bizarre bizarre.

En Français pas de poétesse bien sûr, mais par contre un vrai talent du box office c’est Maurice Carème et son brouillard… Albane Gelée, Elsa Triolet, Marilyn Monroe? Ah non : attention aux hormones des garçons. Parfois Andrée Chedid réussit une percée.

En éducation musicale …. c’est pareil… même Anne Sylvestre autrice-compositrice est, bien malgré elle, plus connue du grand public pour ses chansons pour enfants que pour ses chansons féministes, n’est pas au palmarès des prof.fes….

Les exemples abondent dans toutes les disciplines et c’est pareil dans les lieux d’enseignements artistiques comme les conservatoires, (qui conservent bien la culture masculine) : les élèves apprennent sagement des partitions de compositeurs, des textes dramatiques d’hommes, des chorégraphies d’hommes…

J’entends la petite voix grave qui dit « ok mais des femmes y en a moins qui ont créé »Oui évidemment, on avait juste le droit de préparer la bouffe et («non je ne vais pas oser ) d’écarter les cuisses et donc pour étudier l’astronomie ou les mathématiques, il fallait avoir un peu de bol et pas mal de courage…. Mais nous n’avons pas à être dépossédées du peu qui existe et de l’espoir que cela peut représenter pour les générations futures.

Attendre que Louise Bourgeois sucre les fraises pour faire une rétrospective à Beaubourg, franchement est-ce normal ?

Il est nécessaire de prendre conscience que l’androcentrisme et le sexisme sont actifs à l’école. Il ne s’agit absolument pas d’incriminer les enseignant.es mais bien de dire qu’elles/ils n’ont pas les outils pour travailler correctement car elles/ils ne sont pas sensibilisée·s à la situation.

L’éducation est le fait de toute·s, il faut institutionnaliser la punition du sexisme;  le collectif doit se positionner et ce, dès la petite enfance.

Certes il y a quelques progrès : l’expérience de Trappes où la mairie a repensé les cours d’école fonctionne. Dans la littérature de jeunesse, les pères commencent à occuper la sphère domestique (et c’est cohérent puisqu’ils sont de plus en plus nombreux à prendre leur part). Mais les femmes ont toujours les mêmes types de profession. 

A la question : quel # pour notre journée nationale, franchement, je me sens déjà pas mal engagée et, m’en rajouter encore serait lourd, mais je voudrais demander : vous M.Blanquer, en matière de sexisme à l’école vous vous engagez à quoi?
Et si vraiment vous voulez un # : #jetextoteninclusive.

 

Mylène Bonnet, membre du CA d’H/F Culture IDF, metteuse en scène

 

print