Articles récents \ DÉBATS \ Contributions Les cyberviolences conjugales
Le 20 novembre, le Centre Hubertine Auclert organisait une journée sur les cyberviolences. Les questions posées : comment les outils numériques sont-ils mobilisés pour renforcer les violences conjugales subies par les femmes ? Comment les associations qui viennent en aide aux femmes victimes, et les femmes elles-mêmes, peuvent-elles répondre à ce nouveau danger ? Quelles sont les ressources de leur auto-défense ? L’Observatoire régional des violences faites aux femmes (ORVF) du Centre Hubertine Auclert a mené une recherche-action inédite auprès de 302 femmes victimes de violences conjugales. Cette recherche-action a mobilisé 15 associations, 5 Unités Médico-Judiciaires et 2 associations d’avocat.es.
Résultats de l’enquête
Le constat est sans appel : 9 femmes interrogées sur 10 subissent des cyberviolences de la part de leur partenaire ou ex-partenaire. Les cyberviolences conjugales (1) reposent sur l’utilisation par le partenaire (ou ex) d’outils numériques (téléphone, ordinateur…) et/ou d’espaces numériques (réseaux sociaux, applications, logiciels…) pour contrôler, harceler, humilier. 80% des femmes interrogées déclarent avoir reçu des insultes et injures répétées et la moitié affirme avoir reçu des menaces de mort de leur partenaire (ou ex) via le numérique. 7 femmes sur 10 ont déclaré qu’il leur a interdit de communiquer avec quelqu’un, la moitié déclare qu’il leur a déjà confisqué leur téléphone.
Cette recherche-action a confirmé l’utilisation de logiciels espions par le partenaire ou ex : 21% des femmes interrogées indiquent avoir été surveillées à distance. Cette méthode de surveillance n’est cependant pas la plus utilisée : 62% des femmes affirment que leur partenaire ou ex a exigé leurs codes d’accès à leurs espaces ou outils numériques.
La mobilisation d’outils numériques permet de nouvelles formes de violences sexuelles. 1 femme sur 3 déclare que son partenaire ou ex l’a menacée de diffuser des contenus intimes, et 16% affirment qu’il a procédé à cette diffusion.
Les cyberviolences ont les mêmes répercussions sur la santé physique et mentale et la vie sociale que les autres formes de violences conjugales. 42% des femmes déclarent avoir limité leur activité numérique et 7 femmes sur 10 vivent avec le sentiment d’être surveillées en permanence.
Différentes formes de cyberviolences
Le cybercontrôle désigne les comportements répétés du partenaire ou ex visant à connaître et vérifier régulièrement au moyen d’outils numériques les déplacements et les relations sociales de sa partenaire ou ex.
Le cyberharcèlement désigne l’utilisation des appels, SMS ou autres communications via les réseaux sociaux avec la volonté de faire du mal et qui par leur fréquence visent à envahir à distance le quotidien de sa partenaire ou ex.
La cybersurveillance désigne un ensemble d’agissements du partenaire ou ex qui visent à assurer un contrôle continu des déplacements, agissements et relations sociales au moyen d’outils numériques.
Les cyberviolences économiques ou administratives désignent les comportements facilités par les outils numériques visant à réduire l’autonomie financière et/ou à contraindre les démarches notamment administratives de sa partenaire ou ex.
Les cyberviolences sexuelles désignent l’utilisation de moyens technologiques pour filmer ou prendre des photos pendant un acte sexuel et menacer de les diffuser – ou mettre la menace à exécution – pendant la relation ou après la fin de celle-ci afin d’humilier.
Les cyberviolences via les enfants désignent la prise de contact avec les enfants par le partenaire ou ex pour continuer d’exercer un contrôle sur les actions et déplacements de sa partenaire ou ex et/ou pour la menacer.
41% des répondantes affirment avoir subi au moins trois formes de cyberviolences conjugales. Ce qui caractérise les violences conjugales, cyber ou non, est l’asymétrie des faits de violences, le caractère répété des violences et leur cumul. Les outils numériques rendent possible un contrôle à distance en continu exercé par le partenaire ou ex violent tout au long de la journée, y compris après la séparation. Les associations qui accompagnent les femmes victimes de violences ont constaté que dans toutes les situations de violences, l’agresseur met en place les mêmes stratégies, afin d’assoir son emprise et s’assurer de son impunité. Ces stratégies visent à isoler la victime et s’assurer qu’elle ne cherchera pas d’aide extérieure.
Conséquences des cyberviolences conjugales et démarches
Pour 93% des répondantes, les cyberviolences conjugales subies ont eu des conséquences : sociales (isolement), sur leur santé mentale (perte de confiance en soi) ou sur leur santé physique (perte de sommeil, maux de ventre…) comme pour les autres formes de violences conjugales. Beaucoup de ces femmes pourraient ne pas être crues, dans la mesure où elles ne peuvent pas apporter la preuve qu’elles sont surveillées. Elles risquent ainsi d’être jugées paranoïaques, ce qui peut accroître leur isolement.
42% des femmes ont limité leur activité numérique. Ces outils sont pourtant très utiles pour les démarches et plus généralement dans le parcours de sortie des violences. S’en couper pour se protéger peut contribuer à les isoler davantage. Dans les outils de protection proposés aux femmes, une attention particulière devra être apportée au maintien des usages numériques tout en préservant leur sécurité. Les femmes peuvent considérer ces violences comme moins graves. Elles méconnaissent souvent leurs droits et/ou peuvent faire face à des difficultés au moment du dépôt de plainte. Quand les femmes ont déposé plainte, dans la majorité des cas, leurs plaintes ont été classées sans suite (23%) ou restent sans réponse (50%).
La mesure de protection à laquelle les femmes pensent le plus fréquemment est le changement de leurs mots de passe (66%) (boîte mail, banque, réseaux sociaux…). Près de la moitié des répondantes séparées a changé de numéro de téléphone (46%), et un tiers a changé de téléphone (30%). 1 sur 5 (25%) seulement a pensé à informer ses enfants afin d’adopter des comportements plus prudents en ligne dans leurs relations avec leur père.
Une difficile prise en compte des cyberviolences par les professionnel.les
Les professionnel.les ne repèrent pas toujours les cyberviolences conjugales. L’une des méthodes les plus efficaces pour repérer les violences reste le questionnement systématique, y compris lors d’un premier accueil. Plus de la moitié (55%) des professionnel.les interrogé.es sur l’usage du questionnement systématique pour repérer les cyberviolences conjugales y est d’ailleurs favorable. 44% des professionnel.les qui ont rencontré au moins une femme victime de cyberviolences conjugales sur les 12 derniers mois ont pu proposer un accompagnement spécifique, en fonction de leur champ de compétences.
Trois difficultés principales
L’absence de structures vers lesquelles rediriger spécifiquement les femmes victimes de cyberviolences pour des conseils techniques.
La méconnaissance de la loi par les professionnel.les et par les femmes victimes.
La minimisation de ces formes de violences par les professionnel.les généralistes, notamment au moment d’un dépôt de plainte.
La plupart des types de cyberviolences conjugales correspond à des délits, dont certains sont peu connus. Pour les avocat.es interrogé.es, ces textes sont encore peu appliqués.
Les 7 recommandations du Centre Hubertine Auclert
Généraliser le questionnement systématique pour faciliter le repérage des cyberviolences conjugales.
Faire connaître les mesures de protection numérique au moment de la séparation et développer des partenariats avec les opérateurs téléphoniques.
Mieux appliquer les textes existants, et renforcer la loi pour mieux protéger face à certaines formes de cyberviolences conjugales.
Former l’ensemble des professionnel.les en contact avec des femmes victimes de violences conjugales sur les cyberviolences.
Développer des ateliers collectifs d’empowerment numérique pour les femmes victimes de violences conjugales. Ces ateliers pourraient être l’occasion pour des femmes ayant plus de compétences numériques de pouvoir les partager avec d’autres femmes accompagnées dans une perspective d’entraide et de solidarité. Elles pourraient échanger sur les risques et solutions techniques face aux cyberviolences (modification des paramètres de confidentialité sur les réseaux sociaux, blocage de numéro de téléphone, modification des paramètres du téléphone en matière de géolocalisation, etc).
Fournir des moyens aux associations afin de protéger les données et échanges avec les femmes victimes de violences.
Développer des solutions techniques pour améliorer la détection et la suppression des logiciels de surveillance et rendre obligatoire l’assistance à la désinstallation.
L’Observatoire régional des violences faites aux femmes du Centre Hubertine Auclert
Des outils pour lutter contre le cybersexisme
(1) Rappel : En France, 1 femme sur 10 est victime de violences conjugales. En moyenne, chaque année, 225 000 femmes de 18 à 75 ans sont victimes de violences conjugales. Un meurtre sur cinq en France est le résultat de violences au sein du couple. Les enfants sont co-victimes des violences.