Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages Safia: "ils ont cherché à me frapper, mais je ne me laissais plus faire, je voulais vivre une vie de femme libre" 1/2
Safia, la trentaine, a fui l’Algérie, les violences de son père et de ses frères. Son courage, sa force, sa ténacité lui ont permis de faire des études et de se retrouver en France, malgré d’innombrables obstacles que sa famille a dressés devant elle. A Paris, sa chance fut de croiser les responsables de la Maison des Femmes qui l’ont aidée à se reconstruire.
J’ai vécu une vie très difficile, dès mon enfance, à cause de mon entourage et de ma famille, en particulier de mon père. Je ne sais pas par où commencer exactement. Il y a toujours eu des problèmes, il y a toujours eu de la maltraitance. Mon père nous frappait, ma mère et moi ; quand j’essayais de me défendre, c’était encore pire. J’étais fille unique entre quatre frères, qui me frappaient aussi.
J’ai toujours entendu mon père et mes frères répéter qu’il n’y avait pas besoin d’une femme à la maison. Mon père ne m’achetait rien, pas de vêtements, même pas de pull pour l’hiver. C’était ma mère qui se débrouillait tant bien que mal pour que je puisse avoir le nécessaire. En revanche, mon père m’a toujours obligé à porter le voile, alors je l’ai porté.
Difficultés scolaires
Lorsque je suis entrée au lycée, mes problèmes familiaux ont été un vrai frein à ma scolarité : je n’arrivais pas à me concentrer en classe. De plus, je ne pouvais pas travailler à la maison, mon père refusait de m’acheter des livres de classe : je n’arrivais plus à suivre. En primaire et au collège, j’ai redoublé plusieurs fois à cause de ça. Mes professeur.es m’ont posé des questions. Quand ils ont pris connaissance de la situation, elles/ils m’ont dit que la seule solution, la seule fuite à mes problèmes familiaux, c’était le mariage. J’ai quitté l’école pendant mon année de terminale. Je n’ai pas eu le bac, et de toute façon mon père m’avait dit que si je l’avais, il m’interdirait d’aller à l’université.
Je suis restée un an chez moi, et c’est une amie qui m’a aidé à trouver une formation de technicienne informatique. Je l’ai obtenu en cachette de mon père. J’attendais que mon père parte le matin pour y aller, et je rentrais avant qu’il rentre. Quand il appelait ma mère pour dire qu’il rentrait plus tôt, elle envoyait quelqu’un me chercher en urgence. Je me cachais dans la cour pour faire mes devoirs, pour qu’il ne me voie pas.
Mon professeur de comptabilité, l’enseignant qui m’avait le plus encouragé, m’a cherché une formation de comptable en alternance, et orienté vers un cabinet d’expert comptable. Je suis restée cinq mois chez moi avant de prendre la décision de faire cette formation en dépit de l’interdiction de mon père, car je n’avais plus rien à perdre. Il me frappait déjà, ça ne pouvait pas être pire. Je touchais de l’argent de l’alternance, mais je devais en donner une partie à ma famille. Tous les matins, mon père allait jusqu’au cabinet où je travaillais et me menaçait. Les autres experts comptables qui connaissaient mon père le méprisaient.
Tentatives de mariage forcé
J’ai obtenu mon diplôme et cherché du travail. J’avais 29 ans.
J’ai commencé à travailler en 2010 pour une entreprise de promotion immobilière, mais je devais donner tout mon argent à mon père. La situation était toujours intenable chez moi, je n’arrivais pas à me concentrer, alors j’ai démissionné. J’ai eu plusieurs autres emplois, à chaque fois, c’était des problèmes parceque mon père ne voulait pas que je sorte et que je travaille.
Un jour, je suis partie à Alger pour des vacances, chez une cousine. Ma tante avait organisé un mariage avec un voisin, marié, père de quatre enfants, qui voulait une autre épouse. C’était la seconde fois que ma famille tentait de me marier à un inconnu. La première fois, c’était lorsque j’étais en troisième ; ils avaient essayé de me marier de force à un cousin de mon père, mais j’avais refusé. L’homme avec qui ils m’avaient fiancé n’était pas d’accord avec ce mariage non plus, il subissait la pression de son propre père. Quelques jours après la demande en mariage, il s’est suicidé.
Ma famille a essayé de me marier la deuxième fois à un cousin de ma mère. Cette fois encore, j’ai refusé. Je me suis révoltée, le ton est monté, et mon « fiancé » m’a frappé. Cela a été un déclic pour moi. A partir de ce moment, je n’arrêtais plus de crier, de parler pour me défendre. Ma famille a fait venir un psychiatre, sans mon accord ; il a prescrit des médicaments sans me le dire, on me les donnait sans que je m’en rende compte. J’ai compris quand j’ai trouvé un jour dans un tiroir de la cuisine, la boite avec une ordonnance à mon nom. A partir de là, j’ai changé d’attitude, je me suis montrée gentille et j’ai demandé à partir chez un autre cousin, à Alger. Je suis resté deux jours chez lui, je lui ai tout raconté, il m’a écouté et prêté de l’argent pour rentrer chez moi.
Début de parcours psychiatrique
Lorsque je suis arrivée à la maison, j’ai voulu aller déposer plainte, mais mon frère m’a tabassé et j’ai perdu connaissance. J’ai été transférée à l’hôpital, les médecins m’ont diagnostiqué une dépression, et quand ils ont eu connaissance de ma situation familiale, ils m’ont dit que la seule solution, c’était le mariage.
A cette époque, mon frère se mariait et je devais aider à préparer la cérémonie. Mon bras avait été cassé par mon frère quand il m’avait tabassé, mais personne chez moi n’a voulu me donner de l’argent pour aller passer une radio, ils disaient que je simulais la douleur pour ne pas avoir à aider à la maison. C’est une amie qui m’a prêté l’argent pour le médecin, et quand je suis revenue chez moi, mon frère m’a accusée de l’avoir fait exprès. Il a menacé de me mettre dans un service psychiatrique, alors j’ai quitté la maison.
Je suis allée chez une voisine, qui m’a hébergée et à pris soin de moi pendant quatre mois. Mon père et mes frères ont plusieurs fois essayé de me ramener à la maison, ils ont cherché à me frapper, mais je ne me laissais plus faire, je voulais vivre une vie de femme libre. Je savais que si je repartais avec eux, seule la mort m’attendait. Un jour où mon frère est venu me chercher, j’ai craqué : je me suis mise à hurler, j’ai brisé un miroir, et en récupérant un morceau, j’ai menacé de m’ouvrir les veines s’il s’approchait encore de moi. Mon père a accouru, il a appelé la police, les pompiers sont venus en renfort. L’ambulance m’a emmenée, ils ont du me faire cinq piqûres pour me calmer.
Lorsque je me suis réveillée, j’étais chez mes parents, et mon frère m’a dit qu’ils allaient me mettre dans un asile psychiatrie. J’ai accepté, j’étais persuadée d’être folle. Les pompiers sont venus me chercher, tout le voisinage était sorti, tout le monde voulait voir ‘Safia la folle » se faire emmener…
Témoignage recueilli par Caroline Flepp 50-50 magazine
Le prénom a été modifié. « Safia » ne souhait pas être reconnue.