Articles récents \ France \ Société Marianne Hodgkinson : «Nous avons à faire à des détenues ravagées» 2/2

Apres  son internat de psychiatrie, Marianne Hodgkinson a été assistante hospitalière pendant deux ans, avant d’exercer comme praticienne. Elle a fait toute sa carrière jusqu’à aujourd’hui à l’hôpital, d’abord en psychiatrie générale. De 2000 à 2006, elle a exercé dans le service de psychiatrie de la prison des Baumettes. Depuis treize ans, elle est cheffe d’un service de psychiatrie générale adulte. Elle partage ses réflexions sur les conditions de travail particulièrement difficiles en psychiatrie.
En quoi consistait votre travail à la prison des femmes des Baumettes ?
Je n’ai pas travaillé tout de suite chez les femmes, j’ai commencé chez les hommes. Aux Baumettes, chez les hommes il y a une unité d’hospitalisation et des consultations, il n’y a pas d’unité d’hospitalisation chez les femmes, ce sont uniquement des consultations. Une unité d’hospitalisation est une structure très lourde et il faut qu’elle soit rentable, et comme il y a moins de femmes détenues que d’hommes, c’est compliqué.
C’étaient deux collègues hommes qui consultaient chez les femmes et l’un d’entre eux a commencé à éprouver des difficultés, il trouvait que chez les femmes c’était différent, beaucoup plus violent et plus difficile. Le fait que ce soit des hommes les mettait peut être dans une situation plus compliquée, il n’y a que des femmes tant parmi les détenues que parmi les surveillantes. J’ai trouvé cela un peu curieux parce qu’à la prison des hommes, mes collègues hommes pouvaient être confrontés parfois à de la violence et j’avais l’impression, en tant que femme de moins en rencontrer. J’avais d’autres difficultés, des sollicitations, des tentatives de charme ou des réflexions désagréables quand je passais dans les couloirs et les cours de promenade, mais sur le plan strictement professionnel, je trouvais que cela pouvait être au contraire plus cool. Il y avait moins d’escalade de violences que dans un rapport entre hommes. Quand mon collègue en a eu ras le bol, j’ai décidé d’aller voir les quartiers des femmes, et c’est vrai que c’est très, très différend.
Le problème ce ne sont pas les violences, ce qui change ce sont les profils.  Par exemple, chez les femmes, le taux de meurtrières est beaucoup plus important que chez les hommes. Statistiquement, ce ne sont pas les mêmes délits, il y a moins de braquage de banque, de vols …. Il y des toxicomanes qui ont participé à des trafics, des coupables d’escroqueries, des complices dans des histoires de réseau, mais la majorité des femmes sont détenues pour des crimes extrêmement violents : des tentatives de meurtre, des meurtres, des infanticides. Les histoires de vie des femmes sont beaucoup plus lourdes aussi, on est face à des accumulations de traumatismes, de violences subies depuis la petite enfance.
Certes chez les hommes, il y aussi des parcours de vie difficiles, des enfants placés dans l’enfance, pupille de l’État …  mais chez les femmes c’est du lourd, c’est du très très très lourd. Nous avons à faire à des détenues ravagées, avec des troubles psychiques, de la souffrance mentale majeure liée à ces trajectoires de vie absolument effroyables, bien plus fréquentes que chez les hommes.
Il y a la question de la maternité aussi qui se joue chez les femmes. Beaucoup de ces femmes ont des enfants à l’extérieur et il y a eu arrachement. Parfois il est lié à l’incarcération, parfois les enfants ont déjà été placé.e.s pour d’autres raisons, mais le séjour en prison va définitivement casser le lien maternel.
Y’a-t-il des actions spécifiques menées pour aider ces femmes ?
D’une manière générale, oui. Il existe les relais parents-enfants, les associations qui se battent vraiment pour maintenir le lien. Elles sont obligées de remuer ciel et terre, non seulement sur le plan financier mais aussi sur le plan de la reconnaissance, que ce soit dedans ou dehors, que ce soit avec les familles, avec les institutions… Moi j’admire ces femmes, parce que ce sont souvent des femmes, qui tiennent et portent ces systèmes associatifs, permettant de maintenir le lien familial. Je leur tire mon chapeau. Elles agissent aussi avec les prisonniers ; elles s’occupent du lien parent-enfant en général. C’est un accompagnement extrêmement important.
Nous psychiatres, avons un travail énorme, principalement d’écoute. A l’époque où je travaillais aux Baumettes, il y avait quatre demi-journées de consultation, il en aurait fallu dix… En général, nous avions une consultation avec les femmes une fois par mois, et la demande était énorme. Nous devons faire face au suivi régulier, aux urgences, aux moments de crise, à l’entrée en prison, au moments du procès, à la sortie.
Il y a aussi les cas où un parloir est prévu, une visite des enfants ou tout autre visite, et la personne ne vient pas, sans avoir prévenu. C’est très angoissant, terrible pour les prévenues. On le voit aussi chez les hommes, mais chez ces femmes qui sont particulièrement vulnérables, c’est encore plus terrible…
Nous psychiatres, n’arrivons jamais à satisfaire toutes les demandes, ou en tout cas pas à la fréquence que nous souhaiterions.
Ces femmes n’ont pas l’habitude de parler, ou elles crient, ou elles agissent. Elles n’ont pas l’habitude de parler parce qu’elles n’ont pas l’habitude d’être écoutées, donc l’écoute demande du temps, il faut les apprivoiser. La confiance est difficile à établir. Comment peut on établir de la confiance dans un milieu aussi pervers, aussi violent ? La prison est un lieu de surveillance, tout le monde surveille tout le monde. Les surveillantes surveillent les détenues et les intervenant.e.s. Les détenues surveillent les surveillantes, les autres détenues, celles/ceux qui vont et viennent … elles savent tout sur nous dans les moindres petits détails. Il y a un terrain de suspicion constant, il faut aussi le prendre en compte. C’est un travail qui est difficile,, extrêmement intéressant, mais qui est très, très fatigant.
J’ai beaucoup aimé ce travail pendant les cinq premières années, la dernière année a été difficile pour moi. Je suis partie quand Sarkozy est devenu ministre de l’Intérieur, parce que cela commençait à devenir insupportable. Déjà les juges ont tendance à vouloir dire aux psychiatres ce qu’il faut faire, les avocat.e.s aussi un peu, les directeurs de prisons aussi, sans parler du directeur de l’hôpital. Cela faisait beaucoup de monde pour nous expliquer ce qu’il fallait faire, au bout d’un moment, ça m’a épuisé.
Durant l’aire Sarkozy c’était le top du top. Je devenais complètement paranoïaque et ce n’est pas du tout dans ma nature. Je me suis dit que ce n’était plus possible de continuer ainsi. Et puis comme la prison fascine beaucoup, j’étais rassurée parce qu’il il y a toujours du personnel pour venir y travailler.
 
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine
 
 

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