Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Muriel Salmona : LE FIASCO D’UNE LOI CENSÉE RENFORCER LA PROTECTION DES MINEUR.E.S CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES 2/3
Un avis du Conseil d’État du mois de mars 2018 sur l’inconstitutionnalité d’une présomption irréfragable ayant fait basculer le gouvernement qui s’est précipité pour faire machine arrière, alors qu’il aurait fallu déjà interroger le Conseil Constitutionnel et qu’il était parfaitement possible de sécuriser un texte de loi avec une infraction de crime de viol spécifique pour les mineur·e·s. Plusieurs groupes au Sénat dont la délégation aux droits des femmes ont proposé de créer une infraction spécifique avec un crime de pénétration sexuelle sur mineur de moins de 13 ans par un adulte, ces amendements ont tous été rejetés. Or cette infraction ne pouvait pas être inconstitutionnelle car il n’y a pas pas d’irréfragabilité (ce qui était reproché la présomption irréfragable d’absence de consentement), il n’y a pas d’automaticité de la culpabilité puisque l’accusé pourra prouver qu’il ne connaissait pas l’âge de la victime. L’intentionnalité n’est pas en question : comme l’a dit Laurence Rossignol, on n’introduit pas involontairement son pénis dans l’orifice d’un enfant. Le Royaume-Uni et le Danemark ont des législations similaires depuis plus de dix ans. Un rendez-vous important a été manqué !
Quant à la spécificité de l’inceste et la très grande vulnérabilité des enfants les plus jeunes (dont la scolarité n’est pas obligatoire) et de ceux porteurs de handicap, elles n’ont pas été évoquées (mis à part pour des actions de sensibilisation de prévention et de formation pour les personnes en situation de handicap et leurs aidants, art 2 bis). Les enfants qui sont piégés dans leur famille, les enfants les plus vulnérables peuvent encore attendre longtemps d’être enfin protégés !
Une loi vidée de son contenu qui échoue à protéger les enfants des viols et des agressions sexuelles et à lutter contre leur impunité.
Vidé de sa mesure phare sur le seuil d’âge du consentement, le texte élaboré par la commission mixte paritaire (CMP) le 23 juillet 2018 a été soumis au vote des deux assemblées et adopté définitivement le 1er août 2018, ne change rien au scandale de l’impunité des crimes sexuels que subissent les enfants. Il se réduit :
- à un plâtrage pour améliorer la caractérisation de la contrainte et de la surprise et tenter d’éviter des décisions judiciaires comme celles de Justine et Sarah) en ajoutant à « la différence d’âge existant entre la victime et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur la victime » que cette autorité de fait peut être caractérisée « par une différence d’âge significative entre la victime mineure et l’auteur majeur » et que lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. » — ce qui n’empêchera pas la recherche du consentement chez l’enfant victime ;
- à une augmentation des peines pour l’atteinte sexuelle qui passe de 5 à 7 ans d’emprisonnement ;
- à une question subsidiaire que pose le président de la cour d’assise sur « la qualification d’atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans si l’existence de violences ou d’une contrainte, menace ou surprise a été contestée au cours des débats » pour éviter un acquittement comme dans l’affaire de Justine;
- ainsi qu’à quelques mesures positives qui restent cependant bien peu ambitieuses par rapport à l’énorme chantier de réformes qu’il aurait fallu mettre en place et les moyens financiers qu’il aurait fallu allouer en urgence pour réellement mieux protéger les enfants des violences sexuelles. Ces mesures positives sont l’allongement des délais de prescription des crimes sexuels de 20 à 30 ans après la majorité, l’extension du viol à la pénétration sexuelle sur la personne de l’auteur et de nouvelles circonstances aggravantes ( lorsqu’une substance a été administrée à la victime, à son insu, afin d’altérer son discernement ou le contrôle de ses actes, et la vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de l’auteur).
De plus, et c’est incompréhensible, des amendements adoptés le 5 juillets par le vote en première lecture du Sénatont été abandonnées par la CMP, même ceux proposés juste avant le vote par le gouvernement, comme l’interruption de la prescription des viols lorsque d’autres viols ont été commis par le même auteur contre d’autres mineur·e·s, amendement pourtant proposé par le gouvernement lui-même. Cette mesure aurait réparé une grande injustice de la prescription quand il y a plusieurs victimes du même auteur ayant subi les mêmes crimes, les unes pour lesquelles les faits sont prescrits, d’autres pour lesquelles les faits ne sont pas prescrits, et aurait permis que les plaintes de celles pour qui les faits étaient prescrits puissent être instruites. De même ont été abandonnées alors qu’elles avaient été votées par le Sénat la possibilité de reconnaître par expertise l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, la présomption simple de contrainte en dessous de 15 ans qui aurait au moins permis une inversion de la charge de la preuve, une meilleure caractérisation de la violence, la menace, la contrainte et la surprise, et l’obligation de signaler les maltraitances des mineur·e·s pour tou·te·s les médecins.
Nous sommes très loin de ce que nous demandions et de ce qui est nécessaire pour respecter les droits fondamentaux des enfants garantis par différentes conventions internationales et européennes signées par la France.
Malgré toutes les propositions relayées par nos auditions, des pétitions, des tribunes communes, un communiqué de presse signé par 56 associations, notre Manifeste, ainsi que de nombreux amendements présentés par des groupes parlementaires qui ont essayé de criminaliser les pénétrations sexuelles sur les enfants de moins de 15 ans ou de moins de 13 ans, nous sommes allés de déceptions en déceptions, et le texte de loi commun élaboré par la commission mixte paritaire (commission composée de 7 député·e·s et 7 sénateurs·trices) et adopté définitivement le 1er août par les deux chambres parlementaires échoue lamentablement à remplir sa mission qui était celle de renforcer la protection des mineur·e·s contre les violences sexuelles. Et il envoie un message catastrophique aux enfants et à toutes celles et ceux qui tentent de les protéger : les prédateurs sexuels ont en toute impunité le champ libre pour les violer.
Si le texte a été débarrassé du calamiteux délit d’atteinte sexuelle par pénétration de l’article 2 de la proposition de loi initiale votée par l’Assemblée nationale en première lecture, le gouvernement l’ayant finalement abandonné après avoir reconnu le risque de correctionnalisation accrue soulevé et dénoncé par de nombreux·euses spécialistes, de très nombreuses associations et une pétition signée par près de 200 000 personnes :
- l’absence de consentement d’un enfant à des actes de pénétration sexuelle n’a pas été acté ;
- un interdit clair protégeant de façon absolue les enfants en criminalisant ces actes n’a pas été posé ;
- pas plus qu’une imprescriptibilité des crimes sexuels n’a été adoptée.
Au final, au lieu de poser un seuil d’âge du consentement à 15 ans permettant de criminaliser toute pénétration sexuelle par un adulte, le texte commun ne fait que de préciser les notions de contrainte et de surprise de la définition du viol et des agressions sexuelles pour mieux les caractériser par l’abus de la vulnérabilité de la victime de moins de 15 ans ne disposant pas du discernement nécessaire : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes. ». Et le texte de loi conserve le délit d’atteinte sexuelle (en en augmentant les peines de 5 à 7 ans de prison) pour tout acte sexuel commis par un adulte sur un·e mineur·e de moins de 15 ans, ou de moins de 18 ans si cet adulte est dans un rapport d’autorité de droit ou de fait avec ce·tte mineur·e.
Le problème reste donc inchangé, les magistrat·e·s auront toujours à prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, ces critères caractérisant le viol et les agressions sexuelles font une large place à l’appréciation subjective du magistrat et conduisent immanquablement à juger le comportement de la victime en interprétant son attitude, son discernement, sa maturité sexuelle, pour rechercher si elle était ou non consentante. Quand il s’agit d’enfants, c’est inadmissible et particulièrement choquant. Cette part de subjectivité des magistrat·e·s comporte un énorme risque d’interprétations erronées par méconnaissance du développement de l’enfant, de son immaturité intellectuelle, émotionnelle et affective, de sa dépendance face à l’adulte et de la gravité de l’impact traumatique de la pénétration sexuelle sur l’enfant victime. La sidération et la dissociation traumatiques peuvent être prises à tort pour un consentement puisqu’elles paralysent la victime et l’anesthésient en la rendant incapable de s’opposer et de se défendre, quant à la mémoire traumatique et aux conduites dissociantes à risque, elles peuvent être prises à tort pour une maturité et une expérience sexuelles alors qu’elles sont des reviviscences traumatiques agies de violences sexuelles déjà subies prenant la forme de comportements sexuels inappropriés (mémoire traumatique), ou des comportements sexuels à risque liés à des conduites dissociantes traumatiques qui sont des stratégies de survie. Cela signifie que le risque est très grand de confondre consentement, maturité sexuelle et discernement avec l’impact psychotraumatique des actes subis par l’enfant et des violences sexuelles déjà subies auparavant ayant entraîné des conséquences psychotraumatiques (mémoire traumatique, dissociation traumatique et conduites dissociantes à risques).
Cette nécessité de prouver la violence, la contrainte, la menace ou la surprise quand il s’agit d’un enfant qui est pénétré sexuellement par un adulte est un défi à l’entendement et un déni intolérable de la violence de l’acte lui-même de la pénétration, de son caractère cruel et inhumain. Un enfant ne peut en aucun cas être consentant à un acte qui lui fait violence, auquel il n’a ni les capacités, ni la liberté de s’opposer, et dont il ne peut pas comprendre les enjeux, ni les conséquences sur sa vie et son intégrité physique et mentale, comme je l’argumentais dans cet article de janvier 2018 «Protéger les enfants des violences sexuelles est un impératif : avant 15 ans un enfant n’est jamais consentant à des actes sexuels avec un adulte ».
Pénétrer sexuellement un enfant ce n’est en aucun cas de la sexualité, l’acte est une violence en soi : c’est de la torture.
L’absence de seuil de consentement et de criminalisation de la pénétration sexuelle par un adulte met les enfants en danger.
En l’absence d’un seuil d’âge du consentement permettant de criminaliser toute pénétration sexuelle commise par un adulte sur un enfant, c’est aux enfants qu’échoie la responsabilité de se protéger en s’opposant aux adultes prédateurs pour ne pas être considérés comme consentants. C’est inadmissible et cruel, puisqu’ils n’en ont pas la capacité, et c’est une négation de la torture qu’ils subissent lors d’une pénétration sexuelle.
Ce seuil d’âge du consentement à 15 ans et l’imprescriptibilité des crimes sexuels est une exigence de beaucoup d’associations, de professionnel·le·s de l’enfance et de nombreuses personnalités (portée par des pétitions, des tribunes et notre Manifeste contre l’impunité présenté à la Secrétaire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes le 20 octobre 2017). C’est aussi une demande forte de la très grande majorité des Français·e·s comme l’a montré notre enquête réalisée par IPSOS en juin 2018 : 81% sont favorable à ce que la loi prévoie un seuil d’âge minimum en dessous duquel un acte de pénétration sexuelle par une personne majeure sur une personne mineure soit automatiquement considérée comme un viol. Une majorité estime qu’il faut le fixer à 15 ans, et plus de 90% des Français·e·s sont favorables à ce que les actes de pénétration sexuelle par un·e adulte sur un·e mineur·e de moins de 18 ans soient automatiquement considérés comme des viols en cas d’inceste, de handicap de la victime ou de relation d’autorité sur la victime. Enfin, 70% se déclarent favorables à l’imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineur·e·s.
Avec cette loi, les viols commis sur des enfants pourront continuer à être déniés, ou être correctionnalisés comme des délits, et les prédateurs sexuels d’enfants pourront continuer à ne pas répondre de leurs actes criminels. Les droits fondamentaux des enfants ne sont pas respectés. Et la scandaleuse impunité des auteurs de crimes sexuels à l’encontre des enfants a de beaux jours devant elle.
Comment est-il possible d’être aussi indifférent au sort de tous ces enfants victimes et de ne pas tout faire pour les protéger, reconnaître ce qu’ils ont subi, les prendre en charge et les soigner ?
Comment peut-on avoir si peu peur pour eux alors qu’ils sont les principales victimes de viol ?
Comment peut-on donc encore considérer que des enfants puissent consentir à un acte sexuel cruel, inhumain, dégradant et extrêmement traumatisant tel qu’une pénétration sexuelle qui les assimile à des objets, et qui porte atteinte à leur intégrité mentale, physique et à leur dignité, avec des conséquences catastrophiques sur leur santé et leur vie futures, et que cet acte ne soit pas un crime mais un délit ?
Pourquoi un tel déni de réalité et une telle injustice ? Une telle inhumanité ?
Qui peut vouloir vivre dans un tel monde qui ne protège pas les enfants de crimes atroces et les abandonne sans prise en charge, ni réconfort, ni soin ?
Comment est-il tolérable que la protection et les droits des enfants soient toujours aussi bafoués en France ? Le manque de courage politique est sidérant, protéger les enfants des criminels sexuels n’est pas une priorité… En attendant on continue à imposer aux enfants la mission impossible de se protéger des adultes prédateurs, à eux de se défendre quitte à être tués, ce qui pourra enfin faire reconnaître par la justice qu’ils ont été violés, comme pour Angélique…
Déni, impunité ont de beaux jours devant eux…
Pour rappel les enfants sont les principales victimes de viols. Dans 96% des cas ces viols sont commis par des proches, le plus souvent ayant autorité sur eux, et dont la majorité sont des viols incestueux, ce qui ne laisse aucune chance à ces enfants piégés dans leur famille, l’absence de protection de l’État n’en est que plus cruelle (il faut noter que l’inceste n’a presque jamais été évoqué par le gouvernement ni lors des débats parlementaires). On estime que 130.000 filles et 35.000 garçons sont victimes de viols et de tentatives de viols chaque année, dans 96% des cas par des proches. 40% des femmes violées et 60 % des hommes violés l’ont été avant 15 ans (dans plus de 80 % des cas ces viols avant 15 ans sont incestueux) (CSF, 2008 ; ONDRP 2012-2017; OMS, 2014 VIRAGE, 201,. Et il ne faut pas oublier que plus les enfants sont vulnérables plus ils risquent de subir des viols : les enfants handicapés subissent 4 fois plus de violences sexuelles.
Et les viols sur les enfants bénéficient d’une impunité quasi totale, ce qui est une honte pour notre République : seuls 4% des viols sur mineurs font l’objet de plaintes, 70% des plaintes sont classées sans suite, 30% sont instruites, dont la moitié sont déqualifiées et correctionnalisées ; et finalement 10% des plaintes sont jugées pour viol en cour d’assises ou au Tribunal pour enfants, soit 0,3% de l’ensemble des viols ( CSF, 2008, ONDRP, 2016, infostat justice, 2016, Virage, 2017VIRAGE, 2017).
Le viol sur un mineur est un crime spécifique à différencier des viols sur adulte.
Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie