Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes Muriel Salmona : LE FIASCO D’UNE LOI CENSÉE RENFORCER LA PROTECTION DES MINEUR.E.S CONTRE LES VIOLENCES SEXUELLES 1/3
Stop aux violences faites aux enfants.
Les viols que subissent les enfants pourront toujours être niés et rester impunis sous couvert d’une recherche cruelle et inhumaine de leur consentement à être pénétrés sexuellement. Il s’agit de la chronique d’un monde à l’envers où des adultes peuvent torturer sexuellement des enfants en toute impunité puisque la loi continue à les considérer comme pouvant consentir à des pénétrations sexuelles ou d’autres actes sexuels quels que soient leur âge, leur handicap, la situation d’inceste ou le rapport d’autorité qu’ils subissent, sans que ce soit considéré comme des viols ou des agressions sexuelles, des actes cruels, dégradants et inhumains.
Cette loi adoptée le 1er août 2018, inscrite dans la grande cause nationale du quinquennat, avait pourtant suscité l’espoir de voir enfin corriger une faille majeure et scandaleuse de notre arsenal juridique concernant les viols et les agressions sexuelles commis sur des enfants par des adultes : l’absence d’un seuil d’âge du consentement permettant de criminaliser toute pénétration sexuelle sur un enfant par un adulte et de ne plus rechercher le consentement d’un enfant.
En clair, en France, contrairement à plusieurs pays européens comme la Belgique, le Royaume Uni, etc. où tout acte sexuel commis à l’encontre d’un mineur en deçà d’un certain âge est qualifié de viol s’il s’agit d’une pénétration sexuelle ou d’agression sexuelle, un enfant peut être considéré par la justice comme ayant consenti à être pénétré sexuellement même s’il n’est âgé que de 11 ans comme nous l’avons vu récemment.
En France, pénétrer sexuellement un enfant n’est pas forcément un crime et ce sera toujours le cas avec cette nouvelle loi
Car aussi hallucinant que cela puisse paraître, en France, le viol ou les agressions sexuelles ne sauraient se déduire du seul âge de la victime (comme l’a confirmé en 2015 le Conseil constitutionnel, l’âge n’est qu’une circonstance aggravante) parce qu’il suppose l’usage par son auteur de violence, contrainte, menace ou surprise, et donc de caractériser l’absence de consentement de la victime, seule une jurisprudence de la cour de Cassation du 7 décembre 2005 a considéré que l’état de contrainte ou de surprise résultait du très jeune âge des enfants (âgés d’un an et demi à cinq ans) qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés : cela signifie qu’il est possible que des magistrat·e·s et des juré·e·s considèrent qu’à partir de 6 ans, un enfant soit consentant à des actes de pénétration sexuelle par un·e adulte ou que son comportement ait fait croire à l’adulte qu’il était consentant, et qu’ils jugent que ces pénétrations ne constituent pas un crime de viol.
Ces actes de pénétration sexuelle pour lesquels l’usage de la violence, la menace, la contrainte ou la surprise n’ont pas été caractérisés et qui ne sont pas considérés comme des viols, n’en sont pas moins interdits s’ils sont commis par un adulte sur un enfant de moins de 15 ans (ou de moins de 18 ans quand l’adulte à une relation d’autorité sur le mineur) et sont qualifiés comme des délits d’atteintes sexuel des violences sexuelles mais comme des atteintes aux mœurs passibles de 5 ans de prison, au lieu de 20 ans pour un viol sur un·e mineur·e de moins de 15 ans ou sur un·e mineur·e de moins de 18 ans par personne ayant autorité).
Beaucoup de Français·e·s (cf notre enquête réalisé par IPSOS en juin 2018) ont découvert avec stupéfaction et incrédulité cette faille scandaleuse à l’occasion de deux affaires très choquantes en 2017 concernant des pénétrations sexuelles commises par des adultes de 22 et 28 ans sur des petites filles de 11 ans (Justine et Sarah) que la justice n’a pas considéré comme des viols. C’est alors que le gouvernement s’est engagé à inclure dans son projet de loi de lutte contre les violences sexuelles et sexistes des mesures visant améliorer et à renforcer la loi pour mieux protéger les mineur·e·s victimes de violences sexuelles afin d’éviter des situations comme celles-ci : la principale mesure étant la mise en place d’un seuil d’âge du consentement en dessous duquel tout acte sexuel commis par un adulte est automatiquement considéré comme une agression sexuelle ou un viol s’il y a eu pénétration, le gouvernement et le Président s‘étant même déclarés favorables au seuil d’âge de 15 ans à l’occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes du 25 novembre 2017.
Il était donc apparu, semblait-il, un consensus pour considérer que l’argument du consentement d’un·e plaignant·e âgé·e de moins de 15 ans selon les uns ou de 13 ans pour d’autres (comme le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes) était inadmissible, et qu’en dessous de cet âge les actes en eux-mêmes étaient une violence et qualifiables de viols ou d’agressions sexuelles.
Et nous tenions donc pour acquis qu’un seuil d’âge du consentement soit fixé par la loi, nous espérions qu’il soit effectivement de 15 ans, et de 18 ans en cas d’inceste, de handicap et d’adulte ayant une relation d’autorité avec le mineur, et nous demandions entre autres (cf le Manifeste) pour lutter contre l’impunité : une meilleure protection des enfants contre les violences sexuelles commises par d’autres mineur·e·s (qui représentent 25% des violences sexuelles commises contre les enfants, IVSEA, 2015) avec un seuil d’âge spécifique ainsi qu’un écart d’âge, le retrait de la notion d’atteinte sexuelle, l’abolition des déqualifications, une meilleure prise en considération des troubles psychotraumatiques dans les procédures judiciaires afin de mieux prendre en compte les violences subies par les enfants et de lutter contre le taux énorme de classement sans suite, ainsi que la reconnaissance de l’amnésie traumatique comme obstacle insurmontable suspendant la prescription, et enfin nous demandions une imprescriptibilité des crimes sexuels.
Muriel Salmona, psychiatre, présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie