Articles récents \ France \ Société 20 ans et déjà proxénète
C’est un procès de plus en plus commun qui s’est tenu au Tribunal de Grande Instance de Paris du 25 juin au 3 juillet. Près de 12 jeunes hommes sont accusés de proxénétisme aggravé sur une vingtaine de victimes, mineures pour la plupart. Un phénomène appelé « proxénétisme de cité » qui touche des personnes de plus en plus jeunes à la recherche « d’argent facile ». Les autorités s’inquiètent de l’ampleur du phénomène qui a de lourdes conséquences pour les victimes et parfois pour les accusés.
Moyenne d’âge 20 ans pour les 12 accusés, 15 pour les victimes, au moment des faits. Cette affaire se déroule entre septembre 2015 et juillet 2016. Un chiffre d’affaire d’environ 7000 € par semaine pour les proxénètes qui fournissent téléphones, préservatifs et appartements/hôtels pour les jeunes femmes. Des victimes « consentantes » et des accusés qui ne semblent pas mesurer l’ampleur de ce qui leur est reproché. C’est une affaire qui devient de plus en plus commune qui a été jugée au nouveau tribunal de Paris pendant une semaine.
C’est un peu par hasard que les autorités ont démasqué le réseau. Dans des commissariats de banlieue, des mères et des jeunes filles sont entendues par la police suite à des fugues. Fin décembre 2015, une des victimes en fugue depuis près d’un mois et âgée de 15 ans, affirme aux policiers avoir « connu un proxénète ». Elle raconte avoir profité de son absence pour partir de l’appartement dans lequel se déroulait la prostitution de plusieures mineures. Avant son départ elle s’empare d’une enveloppe contenant 6000 €. « Toi tu es morte. Je vais vous tuer pour 6000 €. Porte plainte, c’est mieux pour toi », lui aurait dit son proxénète. C’est donc ce qu’elle fait. Débute alors une longue enquête.
Des mineures « consentantes »
Actuellement incarcéré, le proxénète de cette jeune femme est le principal accusé de cette affaire. Rien ne le destinait à baigner dans ce milieu. « Quand je suis arrivé en France. Je suis arrivé à Grigny. Je venais d’une famille aisée. Je me suis fais racketter. J’ai essayé de m’intégrer. Quand c’est arrivé à moi, ça a été l’occasion de montrer que je pouvais faire de l’argent salement. C’était une fierté pour moi. Maintenant avec le recul j’ai honte. Je ne suis pas fier », explique-t-il à la juge. Tous les accusés semblent indiquer que le proxénétisme leur est tombé dessus par hasard. Certains ont même du mal à se reconnaître dans ce rôle. Lorsqu’une des avocates des parties civiles demande à l’un d’entre eux ce qu’est le proxénétisme il répond « selon moi, le proxénète, c’est forcer les filles moi je n’ai pas forcé ».
C’est la toute la ligne de défense des accusés : les filles étaient consentantes et aucun ne savait qu’au moins 17 d’entre elles étaient mineures au moment des faits.
Petites annonces et argent facile
Toutes les filles ont été approchées de la même façon. Soit une de leur copine était déjà dans le réseau, soit elles ont été repérées sur les réseaux sociaux comme Instagram ou Twitter. Un des accusés explique par exemple avoir mis en ligne sur son compte Instagram des photos de liasse de billets « pour attirer les filles ». On leur propose alors d’être juste « escorte » pour se faire de « l’argent facile ». Mais c’est en réalité bel et bien de la prostitution qu’elles seront amenées à faire si elles acceptent. Les filles sont ensuite « testées » par leurs proxénètes, c’est à dire qu’elles ont des relations sexuelles avec eux. Il n’est certes pas question de viol mais voici ce qu’explique une des victimes aux policiers « Il fallait passer par là pour pouvoir commencer à avoir des clients ». Une fois les « tests » réalisés, les jeunes femmes sont prises en photos en petite tenue. Les proxénètes mettent des annonces sur internet sur des sites comme Vivastreet visé par une enquête pour « proxénétisme aggravé » contre X. Les filles sont amenées dans des appartements ou chambres d’hôtel à Paris et en banlieue. La, elles reçoivent une dizaine de clients par jour.
C’est cette forme de prostitution que l’on appelle « proxénétisme de cité ».
« Nous étions constamment surveillées », a indiqué à la police une des victimes. En effet, les proxénètes étaient toujours présents dans l’appartement où se déroulait la prostitution. L’objectif n’était pas de protéger les filles mais de récupérer l’argent avant l’acte sexuel entre le client et la jeune femme, entre 40 et 100 €. Quand la juge demande à l’un des proxénètes comment était fixé le prix des passes il répond le plus simplement possible « c’est un business, c’est comme le prix d’un Iphone sur Le Boncoin ». Elle lui fait alors remarqué ironiquement que c’est une « jolie comparaison entre une prostituée et un Iphone ». Le prix était fixé en fonction du marché. De leur côté les filles touchaient entre 200 et 400 € pour la semaine, parfois plus. C’est d’ailleurs pour cette raison que la première victime a volé une enveloppe contenant de l’argent. Une autre raconte aux policiers que pour elle cet argent « c’était un truc de fou (…) pas assez par rapport à ce qu’on faisait ». Les filles étaient payées à la semaine et non au jour le jour. Pour les accusés, c’était pour faire un « partage équitable » pour la juge c’était « pour être sure qu’elles reviennent ».
Pression et violence verbale
Dans cette affaire, il n’est pas question de « séquestration » comme l’a rappelé la juge. Tout de même, certaines filles ont assuré qu’elles n’avaient pas toujours le droit de sortir des lieux de prostitution.
Lors du procès la juge va lire une conversation téléphonique que l’un des accusés a eu avec une des victimes. « Ferme ta gueule (x4), je vais te niquer. Je vais te mettre à la porte. (…) T’étais où toi ? Tu me prends pour un con toi, ça fait deux jours que tu sors. Prépare-toi à rentrer chez ta mère. Tu as fait combien de clients ? (…) Met mon argent sur la table », hurle l’accusé sur l’une des jeunes filles. « Ferme ta gueule. Tu me prends pour un con. Je vais vous baiser. Je vais vous enculer. Vous êtes des grosses putes », peut-on entendre dans une autre conversation. L’homme que l’on entend dans cette conversation explique qu’il vient d’un « quartier compliqué » et que c’est la raison pour laquelle il parle comme cela. Il reconnaît qu’il voulait « intimider » les filles.
Un autre des accusés a abandonné deux jeunes filles en pleine nuit sur un bord d’autoroute parce qu’elles l’ont « énervé ». Pourtant les jeunes filles expliquent à la police que c’est parce qu’elles avaient des « clients personnels ». C’est à dire des clients de qui elles récupéraient tout l’argent de la passe. Une autre lorsqu’elle est interrogée par la police pleure quand on lui demande si elle pouvait partir. La jeune femme dit qu’elle a peur d’en parler. « Il ne voulait pas que je sorte voir mes copines. Il me retrouvait toujours », a-t-elle affirmé aux policiers. Un des accusés justifie cela par le fait que « pour moi elle était dans la prostitution. Sur le moment je me suis dis que ça allait ralentir l’activité ».
Lors du procès aucune des victimes n’est venu témoigner. Les associations qui se sont portées civiles (Agir Contre la Prostitution des Enfants et Equipes d’Action Contre le Proxénétisme et d’aide aux victimes) tentent de faire entendre la voix de ces grandes absentes. Certaines ont disparu, d’autres se prostituent encore. De leur côté, les 12 accusés ont été condamnés à des peines allant de six mois avec sursis à trois ans et demi de prison ferme. « J’arrive pas à dormir. Ça peut être très grave pour elles (…) Je considère que pour ces jeunes filles, j’ai fait quelque chose de pas humain mais je ne suis pas un délinquant, je me suis juste trompé« , a affirmé un des chef du réseau devant la juge.
Chloé Buron, 50-50 Magazine