Articles récents \ DÉBATS \ Témoignages La Palestine, le sport, les femmes : questions de Moussaoah (égalité)

Comme dans tous les pays du monde, l’accès des femmes aux sports a été et est encore un enjeu de luttes. Pour elles, l’accès aux pratiques sportives a, de tous temps et en tous lieux, interrogé le système social et politique. Et on peut dire que l’enjeu de l’appropriation du corps des femmes est la pierre angulaire d’un système sportif qui a d’abord commencé à les exclure, puis, face à la montée des revendications, à les minimiser et les ségréguer. Il a fallu attendre les JO de Londres (2012, pas ceux de 1948 …) pour que les mêmes épreuves soient ouvertes aux femmes comme aux hommes ! Depuis 30 ans, la Fédération Sportive et Gymnique du Travail co-anime, avec des professeur.e.s EPS palestiniennes, des sessions de formation « sport pour tous.tes ».
L’éducation physique, un levier d’émancipation ?
Très souvent utilitaire (la santé, la forme…) l’éducation physique devient fréquemment pour les filles un vecteur des stéréotypes les plus éculés mais les plus tenaces : être une bonne mère et une épouse disponible. C’est à ce titre (ne pas gâcher leur féminité) que de nombreuses activités sont restées interdites pour les filles et les femmes. C’est aussi à ce titre que les sportives doivent encore subir les diktats vestimentaires oscillant entre quasi nudité (beach volley) et recouvrement (autorisation du port du voile depuis les J.O. de Londres).
Les sociétés regardent donc attentivement le développement des pratiques féminines comme enjeu de démocratisation du sport et d’émancipation des femmes. En outre, il s’agit également de débarrasser la «planète sport » des scories de la financiarisation, du vedettariat, de la médiatisation qui vénère et exclut toujours les mêmes…les maladroit.e.s, les pauvres, les faibles….

En Palestine, développer un sport alternatif, sans domination, participe à la construction d’une société palestinienne plus active et plus revendicatrice. Le sport populaire est une des réponses… La Fédération Sportive et Gymnique du Travail (FSGT), née en 1934, est une des fédérations les plus emblématiques de cette orientation. Elle s’enrichit également de coopérations avec les peuples les plus démunis (Sahraouis), les plus spoliés (Palestine) ou les plus marginalisés (population sud africaine pendant l’apartheid).
En Palestine : trois décennies de coopération
Plusieurs projets de développement d’activités physiques et sportives se sont succédés depuis 30 ans, en particulier des sessions de formation « sport pour tous.tes » co-animées avec des professeur.e.s EPS palestiniennes.
Militantes syndicales, intéressées par le développement d’un sport accessible à tous-tes, nous avons construit progressivement avec elles des contenus adaptés à la situation culturelle complexe de la Palestine en général et des femmes en particulier. Les activités sportives n’échappent pas à cette situation pour le moins singulière.
D’un point de vue éducatif, si la Palestine est un pays fortement scolarisé, comme dans d’autres pays arabes, elle a tendance à privilégier certaines disciplines d’enseignement comme l’éducation religieuse, les mathématiques et les sciences ou encore les langues étrangères, tandis qu’il est consacré moins de temps à l’enseignement des sciences sociales, des arts, de l’éducation physique et de la technologie. L’enjeu concerne donc tout à la fois la place des activités sportives dans l’école et la société, leur contenu mais aussi leur accès pour la population qui en est la plus éloignée : les filles et les femmes. En interrogeant la place des femmes dans ce processus, c’est bien sûr leur place en général dans la société qui est questionnée : nature des pratiques investies, lieux, visibilité, popularisation…
Les formations 
Au fur et à mesure de nos stages, nous avons rencontré des dizaines de femmes intéressées par nos propositions. En renouvelant une pensée pédagogique sur les sports, nous contribuons avec elles à enrichir un patrimoine éducatif où les apprentissages, les jeux, les savoirs sportifs doivent subir une profonde révolution culturelle. D’un modèle transmissif, répétitif et sélectif, formule dominante du système scolaire palestinien (mais pas seulement), nous envisageons une autre voie de développement pour le sport où les jeux occupent une place prépondérante. Cela ne peut être que bénéfique pour les filles qui, hormis les 45 minutes consacrées à l’éducation physique à l’école, ont très peu accès à des activités sportives.
Les projets se sont développés dans plusieurs villes. Cela concerne de nombreuses associations voulant développer des pratiques à l’usage de publics habituellement moins concernés par les pratiques sportives : clubs sportifs, association de femmes, municipalités ou association pour les personnes en situation de handicap…
L’organisation de chaque stage est réellement un enjeu
Dans un environnement fortement contraint, la scolarisation a cependant bien des réussites. La Palestine est le seul pays arabe qui scolarise 100% des filles. L’éducation physique existe même si les conditions (horaires, matériels) ne permettent pas un réel développement des compétences des enfants. Il est donc important de proposer des contenus rapidement transposables dans le contexte palestinien, par exemple, une organisation pédagogique rationnelle pour que tous les enfants jouent (les effectifs sont pléthoriques), l’utilisation optimum de matériel sportif simple et peu onéreux (des frisbee, par exemple) et une entrée dans les activités par le jeu afin de libérer au maximum l’imaginaire et les vitalités.

 
Ensuite, il s’agit de permettre aux stagiaires les moyens de suivre le cycle de formation, aujourd’hui constitué de 5 sessions d’1 semaine chacune. Pas facile dans une société où les femmes assurent largement les taches domestiques… Le changement de leur statut marital est un souvent un obstacle à la poursuite de la formation… Mais il est courant que les femmes participent aux stages en étant enceintes de plus de 8 mois ou avec des enfants en très bas âge et nous considérons ces faits comme un véritable besoin de rencontres et de débats.
Mais les contraintes les plus importantes concernent les conditions de vie dévolues aux femmes palestiniennes. La société, très dé-mixée ne contribue pas à développer les activités sportives féminines. Peu de clubs féminins, très peu d’accès aux installations sportives et aux piscines, un habillement peu propice au développement des pratiques et surtout la quasi impossibilité de pratiquer sous des regards extérieurs…. L’organisation de chaque stage devient alors un enjeu et il est parfois difficile de concilier nos exigences et leurs habitudes culturelles.
Le sport moyen d’épanouissement personnel, vecteur d’intégration sociale …
Dans cette société très dé-mixée où les partages de rôle selon le sexe sont encore très prégnants, l’appropriation des pratiques sportives par les femmes ouvre de nouveaux espaces de réflexion sur l’usage du temps personnel. On a ainsi pu remarquer lors des débats sur le sens et les enjeux des pratiques qu’elles étaient d’abord sensibles aux regroupements collectifs offert par ces nouveaux espaces. Elles expriment souvent le besoin d’échanger, de pouvoir exprimer leurs problèmes spécifiques d’enseignantes, de femmes, de mères ou d’épouses… Ces stages leur ouvrent un nouvel intervalle en leur permettant de quitter provisoirement leur espace familial et d’entretenir des réseaux de sociabilité et professionnel qui leur font tant défaut. Le sport moyen d’épanouissement personnel, vecteur d’intégration sociale, qui modifie les représentations et bouscule les stéréotypes joue alors d’autant mieux son rôle de lien social…
Les valeurs associées à l’éducation sportive par le jeu peuvent être un levier pour la transformation sociale de la société palestinienne. Ces valeurs interviennent sur le plan psychologique, culturel, éducatif, pédagogique et symbolique. Tout en étant un atout supplémentaire de lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes, ce travail de diffusion des activités physiques sportives pour l’ensemble de la population pourrait permettre la déconstruction d’une vision élitiste du sport.
C’est à cela que nous espérons contribuer.
 
Nina Charlier, Lydia Martins Viana, Anne-laure Goulfert, Mylène Douet Guerin 
Programme inter-associatif pour le développement d’une éducation physique et sportive émancipatrice pour tou.te.s de la FSGT 
 
 
 
 
 
 

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