Articles récents \ Île de France \ Société Mélanie Siehen : "Parfois, il y a des femmes dont la seule demande est de pouvoir déposer la souffrance qu’elles ressentent"
Nous sommes en Seine et Marne qui compose presque 50 % de la surface de la région Ile de France, et pourtant les réalités sociales de ce département, dont les violences conjugales font parties, sont méconnues. L’association Solidarité Femmes Le Relais 77 est en première ligne pour le sud de la Seine et Marne dans l’accompagnement et l’hébergement des femmes victimes de violences. Mélanie Siehen, sa directrice depuis 2011, expose les spécificités de la lutte contre les violences conjugales dans cette région située entre ruralité et extension urbaine.
Comment est née l’association et à quels besoins répond-elle ?
L’Association a une histoire atypique dans le monde féministe des associations, puisque ce sont les élu.e.s de la ville nouvelle de Melun-Sénart qui ont créé en 1985 une première structure d’hébergement pour de femmes en difficultés pour la région de Melun sous l’impulsion de Line Magne, l’actuelle maire de Moissy Cramayel, qui était à l’époque la directrice du syndicat d’agglomérations nouvelles. L’équipe en place au début avait remarqué que beaucoup de femmes qu’elles recevaient avaient subi des violences conjugales et décide de se spécialiser dans l’accueil des femmes victimes de violences conjugales. La structure, Le Relais 77, a, de ce fait, adhéré à la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) pour échanger sur les pratiques et la problématique des violences contre les femmes.
Au départ cette structure n’était pas une association, elle était un service de la collectivité territoriale. Le Relais 77 est devenu association en 1996 et autonome en 2000. L’association s’est spécialisé dans la lutte contre les violences conjugales.
En 2006, la direction Départementale des Affaires Sanitaires et sociales de la Délégation Départementale aux Droits des Femmes demande la création d’un deuxième établissement pour couvrir les besoins du sud du département zone très rurale de l’Ile de France. C’est ainsi que la Maison des Femmes- le Relais s’installe à Montereau au centre d’une zone qui s’étend de Provins à Fontainebleau. C’était un territoire complètement dépourvu de structures d’aide aux femmes, celles qui sont venues avaient plus de 30 ans de violences derrière elles. On a constaté des violences graves, parfois avec des maris chasseurs présence d’armes à la maison, etc.
Comment les femmes prennent-elles contact avec vous et quels sont les situations qui les conduisent à vous ?
En général le premier contact est avec la permanence téléphonique. Il y a une première écoute, puis il leur est proposé un accueil écoute-orientation. Elles seront reçues par deux personnes de l’équipe éducative, qui vont aussi évaluer le danger et les accompagner dans ce qu’elles souhaiteront mettre en place. Parfois, il y a des femmes dont la seule demande est de pouvoir déposer la souffrance qu’elles ressentent. Il y en a d’autres qui se rendent compte que cela ne peut plus durer et ont un projet de séparation du conjoint violent.
On les informe sur leurs droits et sur toutes les démarches qu’elles vont entreprendre, dépôt de plainte, avoir un.e avocat.e, trouver un médecin pour faire les certificats, et toutes les démarches qui leur permettront d’acter la séparation.
Ensuite on a différents dispositifs de mise en sécurité, mise en hébergement.
Notre association, avec nos deux établissements, est référente sur les violences sur la moitié sud du département.
Parfois, il y a des femmes qui ne se rendent pas compte qu’il y a violence conjugale. Par exemple s’il n’y a pas de violences physiques, elles n’ont pas conscience que ce qu’elles vivent est de la violence conjugale. Notre travail c’est de les aider à prendre conscience qu’elles ne sont pas responsables de ce qui leur arrive, parce que beaucoup ont une culpabilité, c’est parce que je ne suis pas assez comme ci ou comme ça. La stratégie de l’auteur des violences est de renverser la culpabilité sur la femme et le moindre prétexte va être utilisé pour faire passer le passage à l’acte violent. Lui il va se justifier et faire porter la responsabilité sur elle, en disant par exemple, « moi je suis très stressé en ce moment et quand j’arrive à la maison et que le ménage n’est pas fait, que le repas n’est pas prêt, tu comprends je pète un plomb. » La femme se dit alors qu’elle aurait dû faire plus. Mais de toute façon, ça ne va jamais. Le moindre prétexte va être utilisé pour justifier le passage à l’acte violent. Au final, c’est tout cela que nous allons décortiquer avec elle pour qu’elle finisse par prendre conscience que le responsable ce n’est pas elle mais lui et que ce qui leur arrive, arrive à une femme sur 10. Si leur histoire leur est singulière, c’est la même histoire pour 10% des femmes dans notre pays.
Que faudrait-il faire pour améliorer la lutte contre les violences conjugales ?
Dans un premier temps, il faudrait que la justice reconnaisse les femmes victimes de violences. J’ai fait une étude l’année dernière sur toutes les femmes que nous avons hébergé en 2016 seulement 2/3 avaient déposé plainte contre l’auteur des violences. Déjà un 1/3 n’ont pas été condamnés par la justice. En 2016, on a eu 49 femmes qui ont déposé plainte et seulement 7 plaintes ont été suivies, 42 femmes n’ont pas eu de suite à leur plainte. Donc la justice s’est prononcée pour un petit nombre d’entre elles. Donc la justice ne suit pas.
La justice doit reconnaître qu’il y a une victime et un coupable.
Nous avons fait un travail avec la justice. Nous qui connaissons l’histoire des femmes puisque nous les suivons, quand nous avons accès à la plainte, nous nous apercevons que dans la plainte il y a 10 % de ce qu’elles ont vécu. Le procureur se saisit sur la base de ce qu’il y a dans la plainte, mais si la plainte ne décrit pas tout, il n’y a pas assez d’éléments pour donner suite. Nous souhaitons améliorer notre accompagnement aux femmes, au moment du dépôt de plainte.
Nous intervenons aussi en direction des partenaires en faisant des formations, depuis 2004, parce qu’il y a une méconnaissance quasi générale de ce que sont les violences. Nous nous sommes dit que pour que la justice se saisissent des dossiers, pour que les femmes soient accueillies correctement dans les commissariats, pour que lorsqu’une femme va faire une demande de logement on puisse identifier que derrière il y a une situation de violence conjugale, pareil dans l’emploi. Nous nous sommes dit qu’il fallait une culture commune contre les violences conjugales bien plus importante qu’elle l’est aujourd’hui et donc nous avons proposé de la formation à tous les professionnels de tous secteurs.
Quelles sont les difficultés spécifiques que rencontrent les femmes victimes de violence en milieu rural ?
C’est le paradoxe que je mets en avant. Dans un village, tout le monde se connait.
Entreprendre des démarches en toute discrétion est beaucoup plus compliqué. Et puis l’homme peut être une personne considérée comme étant très avenante, très sympathique. Souvent, nous avons eu des femmes qui nous ont dit, « si vous connaissiez mon mari vous ne me croiriez pas. »
C’est beaucoup plus compliqué pour les femmes dans les secteurs ruraux de faire appel à nous pour des questions pratiques et de mobilité. Pour venir nous rencontrer du fin fond de la Seine et Marne, il faut qu’elles viennent à Montereau, cela veut dire qu’il faut avoir un moyen de transport, il faut avoir le temps de faire ce déplacement. Les femmes victimes de violences conjugales sont souvent contrôlées dans leur déplacement, s’il y a 45 minutes aller et 45 minutes retour, plus le temps de l’entretien cela prend la demi journée, et c’est compliqué.
Nous assurons des permanences à Provins, Nemours, Fontainebleau de façon à aller au plus près.
C’est pour ces femmes une difficulté supplémentaire. Elles sont beaucoup plus isolées si elles veulent entreprendre une démarche, par exemple si la permanence est à la mairie le mardi matin si des gens les voit entrer, elles seront repérées. Parfois, elles préfèrent ne rien faire car elles sont trop repérables dans le village où elles habitent.
Cela nous oblige à adapter notre mode de fonctionnement. Par exemple si nous avons une femme de Nemours, nous ne pouvons pas l’héberger sur notre centre de Nemours, elle peut être trop facilement reconnue, et la nouvelle rapportée au mari violent, même de façon innocente.
Ainsi nous avons un secteur d’hébergement très grand pour justement essayer de garantir leur sécurité dans les lieux où elles vont être hébergées. Pour l’équipe ,les temps de déplacement sont très importants, quand il faut aller à Provins ou Nemours, les distances sont grandes.
L’équipe est de 41 salariées et nous pourrions être 45. Nous l’avons été en 2016.
Un récent rapport demande « ou est l’argent pour les droits des femmes ? » qu’en est-il du financement du Relais 77 ?
La région nous avait bien soutenues de 2012 à 2014. Nous avons été financés dans le cadre d’une convention triennale avec 50 000 € par an pendant 3 ans et puis cette convention est arrivée à échéance et elle n’a pas été renouvelé par la nouvelle présidente de région? Valérie Pécresse.
Nous avons répondu à des appels à projet en 2015 et avons reçu un petit montant, mais en 2016 plus rien, zéro €, l’année même où les violences conjugales étaient la grande cause régionale.
J’ai alerté Madame Pécresse d’autant qu’elle était venue nous rencontrer à l’union régionale Solidarité Femmes au moment de la campagne électorale nous disant que ce n’était pas une bonne chose d’être financé par appel à projet car cela rendait les financements trop incertains et qu’il fallait que nos associations soient financées de façon pérenne.
J’ai donc fait un courrier a madame Pécresse en 2017, puisqu’en 2016 à la suite à la suppression de financements et une demande croissante, nous avions atteint un déficit de 250 000 €.
Nous avons aussi des charges qui augmentent, les charges d’hébergement avec augmentation des loyers, des couts de l’énergie, etc.
Nous avons aussi perdu les fonds sociaux européens. Dans la précédente programmation, il y avait un axe sur la réinsertion professionnelle des femmes victimes de violences conjugales qui n’a pas été repris dans la nouvelle programmation. Ce qui a entraîné un licenciement économique de la chargée d’insertion professionnelle. Pour la première fois dans l’histoire de notre association nous avons licencié pour un tel motif une salariée qui a 55 ans et qui un an après le licenciement est aujourd’hui sur le carreau.
Sachant que l’insertion professionnelle est une des conditions pour sortir durablement des violences conjugales sans emploi; les femmes sans emploi n’ont pas d’indépendance financière. L’absence d’emploi stable est une des raisons pour rester sous la domination du conjoint violent.
En 2017 nous avons retrouvé quelques fonds régionaux et pour 2018 nous avons une subvention de 34000 € de la région pour la formation des professionnelles. Nous ne sommes pas revenues à la hauteur de ce que nous avions.
En 2017 nos financements droits des femmes de la Délégation Régionale aux Droits des Femmes ont diminué.
J’ai pour habitude de dire qu’à partir du 15 novembre je commence à me détendre parce que c’est à cette date que j’ai des réponses à mes demandes de financements.
Propos recueillis par Brigitte Marti 50-50 magazine