DOSSIERS \ Mai 68 : sous les pavés les femmes… Malka Marcovich : L’autre héritage de 68, la face cachée de la révolution sexuelle
Historienne et féministe, Malka Marcovich appartient à la génération qui, encore enfant en mai 68, mais adolescente et jeune adulte dans les années 70 et 80, grandit et se construit à cette époque d’émancipation sexuelle. Cette révolution des mœurs, toute juste acquise, à peine digérée, apporte un souffle de liberté sur une France encore très conservatrice et donne lieu à tous les possibles, parfois vertigineux de la libération sexuelle. Cinquante se sont écoulés, et, sans remettre en question la nécessité de cette transformation de la société, et les avancées considérables qu’elle a apportées, l’historienne se propose, dans L’autre héritage de 68, la face cachée de la révolution sexuelle, d’assumer cet héritage mais aussi de l’interroger en recueillant les témoignages de celles et ceux qui l’ont vécue, pour le meilleur et parfois pour le pire.
Il est interdit d’interdire
Douce France fredonne Trenet en 1947. Nous sommes alors dans la France de l’après-guerre, où l’on chante la douceur de vivre et les petites femmes de Paris pour oublier que tout est à reconstruire. Quelques années plus tard, ce sera l’arrivée du Général De Gaulle au pouvoir. Les Français.e.s sont optimistes, une grande politique familiale et nataliste est lancée. Si les femmes obtiennent le droit de vote, une seule accède au poste de ministre, et dans l’article 16 de la Déclaration universelle, où l’on détaille les droits des femmes, on insiste sur le mariage et la famille comme élément central de la société. Que dans ce contexte, où les rôles sont clairement déterminés, et où les femmes sont le plus souvent assignées aux tâches domestiques, tandis que l’homme assure le rôle de père de famille, Mai 68 ait apporté un vent de liberté indispensable, Malka Marcovich ne le remet nullement en question.
La dépénalisation de l’homosexualité, de l’IVG, le droit à la contraception, l’importance du plaisir féminin sont autant de combat que Mai 68 a rendu possible. Mais accepter un héritage auquel on tient, c’est aussi être capable de l’interroger parfois avec un regard critique. S’il est interdit d’interdire, comme le clamait la jeunesse de 68, alors il doit être possible de parler de tout, et d’utiliser cette liberté d’expression si ardemment défendue en 68 pour tout dire, même le pire, et accepter les limites et les excès de cette révolution dont nous sommes aujourd’hui les héritiers.
Mai 68, les années-bascule
Parmi les tournants apportés par Mai 68, Malka Marcovich s’intéresse plus particulièrement à la révolution sexuelle et au climat de liberté qui suivit cette révolution printanière. All you need is love chantent alors les Beatles, les premiers camps d’été naturistes apparaissent, on prône l’amour libre, les cheveux aux vent…Le Wet Dream festival, premier festival du film pornographique apparaît en 70. On parle de sexualité, on fait l’amour pour le plaisir, pour le principe, comme une geste de rébellion et un pied de nez lancé à tant de décennies d’interdits. Après avoir grandi dans des univers étriqués, avoir été parfois éduquée dans des pensionnats de religieuses, la jeunesse découvre que l’on peut « vivre sans temps morts et jouir sans entraves ». Le nu autrefois encadré voire caché recouvre les affiches de publicité et envahit les magazines. Mais cette liberté si chèrement acquise trouve aussi ses limites et ses abus. En allant à la rencontre de celles/ceux qui, adultes ou adolescent.e.s ont vécu ces événements, Malka Marcovich s’intéresse également aux dérives que parfois grisés par ce renouveau ou par crainte du retour au conservatisme, nous n’avons pas toujours su voir.
Les dérives
Que dit finalement l’autrice ? Qu’il aurait peut-être fallu davantage penser cette liberté. Que l’on a été parfois plus prompt à prôner la libération sexuelle qu’à s’assurer qu’elle s’exerçait dans des conditions où chacune et chacun avaient les mêmes droits. Comment en effet jouir sans entrave dans une société toujours régie par des rapports de force et de domination, plus ou moins explicites ? L’historienne se penche ainsi, à travers de nombreux témoignages sur la place des femmes et des enfants dans les années 70 et 80. Plus vulnérables, et donc plus sujets aux abus, elle montre comment, sous couvert de liberté, la question du consentement a trop souvent été mise de côté. Refuser, se refuser, c’était être renvoyé.e au statut de petit.e bourgeois.e conformiste à l’heure où il était de bon ton de paraître transgressive/transgressif. Oubliant que la sexualité se vit à deux, certain.e.s ont profité de ce climat de liberté pour imposer leur désir au lieu d’entendre celui de l’autre. Comment accepter que Daniel Cohn-Bendit puisse ouvertement parler à la télévision de sa sexualité avec des enfants ? Fermer les yeux sur des viols ? Des relations incestueuses ? Présenter l’esclavage sexuel comme une émancipation dans des films comme Portier de nuit ou Histoire d’O ?
Cinquante ans plus tard, Malka Marcovich nous place en face des contradictions et des limites de cette révolution sexuelle. Mais surtout, elle donne enfin la parole aux victimes, trop longtemps oubliées.
Marion Tilly 50-50 magazine