Articles récents \ Île de France Les violences faites aux femmes, «une barbarie» qui touche toutes les femmes 2/2
Les femmes sont des citoyennes, des actrices à part entière de la vie sociale et politique de notre pays. Il faut le rappeler et l’encourager, c’est ce que les Archives Nationales ont décidé de faire en appelant Aux Archives Citoyennes ! La table ronde « Lutter contre les violences faites aux femmes » a conclu cette série de réflexions sur les discriminations. Laurence Fischer, triple championne du monde de karaté et fondatrice de #fightfordignity, Ghada Hatem, gynécologue et fondatrice de la Maisons des femmes de St Denis, et Mimouna Hadjam, fondatrice et présidente d’Africa 93 ont partagé leurs réflexions et leurs actions.
L’isolement des femmes victimes de violences
Mimouna Hadjam constate que les violences sont une barbarie mondiale qui touche toutes les femmes quelle que soit leur culture, leur nationalité, leur religion et leur niveau social. Néanmoins, pour les femmes issues de l’immigration, les violences subies sont souvent une double peine en raison des lois d’immigration qui ignorent la condition des femmes migrantes.
À la Courneuve, Drancy, St Ouen ou St Denis, des femmes sont notamment victimes de la polygamie: «lorsqu’on arrive à discuter avec elles et gagner leur confiance, elles nous disent majoritairement qu’elles n’ont pas choisi cette situation et qu’elles le vivent comme une véritable violence», explique Mimouna Hadjam. Tant pour la première épouse qui voit arriver une seconde femme qu’elle doit intégrer à la famille, que pour la seconde épouse, qui se retrouve sans papiers pendant 10 à 15 ans avant de pouvoir régulariser sa situation, et pendant ce temps tout va bien pour monsieur. «Nous avons essayé de nous battre pour soutenir ces femmes, pour pouvoir les écouter. Nous soutenons les femmes, pas la polygamie qui est une forme de violence »
L’excision subie par les femmes principalement originaires d’Afrique est une violence extrême, Africa 93 et la Maison des Femmes de Saint Denis sont en première ligne pour aider ces femmes a sortir de l’isolement et les aider à trouver solutions et confiance. «Elle touche plus fortement les femmes originaires d’Afrique», précise Mimouna Hadjam.
Les femmes victimes de violence en milieu rural sont également particulièrement vulnérables aux situations d’isolement par essence. Les élus locaux de Seine et Marne qui ne pouvaient répondre aux appels à l’aide des femmes en situation de violence, ont créé une structure pour l’accueil et l’hébergement des femmes et leurs enfants en difficultés à Vert Saint Denis dans la région de Melun en 1985.
Cette structure sera transformée en association autonome en 2000, pour devenir Solidarité Femmes-le relais 77. En 2006, la demande deviendra évidente pour les femmes des milieux ruraux du sud du département et la maison des femmes-relais de Montereau verra le jour à la demande conjointe des autorités territoriales et de la délégation au droits des femmes du département.
Les femmes de l’association constatèrent une situation d’extrême précarité des femmes victimes de violences, complètement isolées dans cette vaste section de l’Ile de France qui s’étend de Provins à Nemours. L’association rappelle que, contrairement aux préjugés, ces situations de violence ne sont en aucun cas l’apanage des communautés étrangères. Les femmes étrangères font simplement face à un isolement social supplémentaire, ayant moins accès aux ressources sociales.
Les femmes rurales se retrouvent enfermées entre culpabilité et manque de reconnaissance en raison du sexisme ordinaire, leur compagnon étant souvent perçu comme l’homme sympathique du village, qu’il soit un membre actif du club de foot ou d’autres associations. Le Relais 77 multiplie les initiatives pour toucher ces femmes isolées et pouvoir les aider.
L’hébergement des victimes est primordial
Dans les quartiers de Seine Saint Denis, le tabou de la violence est beaucoup plus fort. La situation économique des femmes victimes de violence fait qu’elles ont peur de se retrouver à la rue, de ne pas avoir d’hébergement où elles pourraient être mises en sécurité.
Mimouna Hadjam rappelle que beaucoup de femmes dirigées vers le 115 (numéro d’urgence d’hébergement) se sont retrouvées dans une insécurité énorme et ont parfois préféré rentrer chez elles. Elles sont aussi parfois logées dans des chambres d’hôtel ou des logements qui sont très loin de la scolarité de leurs enfants.
Le constat est simple, il y a un manque de logement d’urgence et une pénurie de logements pour vraiment assister les femmes victimes de violence.
Il est le même pour le Relais 77 qui a vu une grosse augmentation de demande d’hébergement de mise en sécurité depuis 2011 et doit gérer les problèmes de transport qui désavantagent les femmes du relais de Montereau.
Un statut autonome pour les femmes immigrées
Depuis des années, les femmes immigrées sont victimes d’une triple discrimination; sociale, patriarcale, et venant de l’inégalité que vivent ces femmes à l’intérieur de leur communauté.
A la fin des années 70, la revendication du statut autonome pour les femmes immigrées avait été évoquée par Mouvement de Libération des Femmes, mais laissée sans suite. Au cours de l’année 2015, Africa 93 et l’association Femmes Solidaires de Seine St Denis ont décidé de reprendre cette revendication à leur compte.
L’inégalité entre femmes et hommes à l’accès aux structures sociales touchent particulièrement les femmes immigrées victimes de violence. Les femmes concernées sont celles en situation de polygamie, les exilées politiques, et aussi des immigrées primo-arrivantes, des très jeunes femmes qui viennent dans le cadre du regroupement familial.
Les mariages sont très souvent arrangés par les deux familles. Depuis plusieurs années, les profils de ces filles ont changé : elles ont été scolarisées, ont le bac et ont parfois fait des études universitaires. Elle viennent se marier en France sous la pression des parents et parce qu’on leur a fait miroiter une vie matérielle un peu meilleure.
Elle sont souvent victimes de violences perpétuées par le mari et aussi par la famille de celui-ci.
Mimouna Hadjam se rappelle qu’une belle-mère est venue une fois leur faire des menaces, en leur interdisant d’apprendre le français à sa belle-fille, qu’ils n’avaient pas ramenée en France pour qu’elle se réalise mais pour se marier et faire des enfants.
Beaucoup de femmes décident alors de partir, surtout celles originaires du Maghreb, et vont chez des proches. Elles ont alors beaucoup de mal à obtenir l’ordonnance de protection malgré des violences attestées par des rapports médicaux. La raison est simple: au moment où elles font leur demande, elles ne sont plus en danger car elles ont quitté le domicile du mari. C’est pourquoi la majorité d’entre elles ne l’obtiennent pas.
Une mauvaise surprise attend les femmes victimes de violences au moment du renouvellement de leur titre de séjour. Un certificat de vie commune effective a été signé lors de leur venue, mais pour le renouvellement du titre de séjour, il doit être également signé par l’époux, même si celui-ci a commis des violences contre sa femme; bien souvent il refuse de signer.
C’est pourquoi, Mimouna Hadjam insiste sur l’importance du statut autonome pour ces femmes, condition indispensable pour conserver leurs droits, indépendamment de leur statut familial et marital.
La situation des femmes du Maghreb est encore plus complexe, en raison des conventions bilatérales que les pays du Maghreb ont signé avec la France au lendemain de leur accession à l’indépendance. Dans ces conventions, il y a une clause sur la vie maritale: en cas de divorce la première juridiction saisie aura le droit sur l’autre. Cette clause incite leur mari à divorcer selon la loi de leur pays qui leur est plus favorable. Il faut donc prouver que le domicile habituel est bien la France, qu’ils sont français et n’ont pas à aller divorcer dans leur pays d’origine.
Le projet de loi sur le statut autonome des femmes immigrées a été déposé en 2016 par l’élue de Seine Saint Denis, Marie George Buffet. Comme le regrette Mimouna Hadjam, bien qu’elle ait réuni une forte délégation de femmes pour assister aux débats à l’Assemblée Nationale, il n’y avait qu’une trentaine de député.e.s dans l’hémicycle. Elle se souvient que les femmes étaient déçues car les députés faisaient preuve d’ignorance, n’hésitant pas à utiliser le sempiternel « cela va se retourner contre les hommes ». La loi a été discutée au moment où le débat sur la déchéance de nationalité faisait rage et l’amalgame a été vite fait sans se soucier du statut des femmes immigrées victimes de violences. La loi a été partiellement votée avec 2 articles sur 7. Le projet de loi a été redéposé lors de la session 2017.
Où est l’argent contre les violences ?
Toutes ces interventions pour venir en aide aux femmes victimes de violence, ainsi que la prévention, demandent donc des moyens. La question récurrente Où est l’argent pour les droits des femmes? se pose aux associations comme Africa 93 et Le Relais 77, qui répondent aux appels d’urgence . La maison des femmes de Saint Denis a un statut différent, puisque affiliée à l’hôpital par son personnel et fonctionnant avec des fonds venant de fondations; toutefois, rappelle Ghada Hatem, il faudra une implication plus importante de l’Etat, tout ne peut reposer sur le bénévolat.
Néanmoins, alors que la lutte contre la violence faite aux femmes avait été reconnue une priorité régionale pendant la campagne des régionales en Ile de France, sitôt élue, la présidente de région n’a pas renouvelé les fonds de soutien à ces associations comme Le Relais 77 et Africa 93.
Mimouna Hadjam rappelle que leur financement a été supprimé du jour au lendemain et jusqu’à ce jour, sans aucun courrier explicatif. Elle insiste sur les difficultés de plus en plus importantes rencontrées par les associations présentes dans les quartiers pour continuer à fonctionner, elle ajoute que «les demandes ne diminuent pas et pour continuer, nous avons fait appel à des bénévoles, mais cela n’aura qu’un temps». La question des violences contre les femmes doit être prioritaire ce qui demande que des moyens soient alloués pour soutenir les associations toujours en première ligne.
Brigitte Marti 50-50 magazine, modératrice de l’atelier et Anne Christine Frèrejacque 50-50 magazine
50-50 magazine est partenaire d’Aux Archives Citoyennes