Articles récents \ Monde L'accès à l'avortement se dégrade en Italie
Le jour s’est à peine levé sur la capitale italienne mais déjà une dizaine de femmes sont réunies dans le silence devant le service gynécologie de l’hôpital San Camillo à quelques mètres de la gare de Rome-Trastevere. A 6h30, elles sont déjà plus d’une trentaine alors que les portes du centre n’ouvrent qu’à 8h du matin. Ces femmes ont toutes un point commun : elles souhaitent avorter. Mais à Rome, comme dans tous le pays, l’accès à l’avortement s’est considérablement dégradé et pour cause, près de 70% des médecins se déclarent « objecteurs de conscience ».
L’objection de conscience, c’est le fait de refuser de pratiquer des avortements en raison de sa religion ou de sa morale. La loi italienne 194 permet aux médecins d’utiliser leur clause de conscience sauf en cas de danger pour la vie de la mère mais leur nombre est en constante augmentation. Ils étaient 50% il y a dix ans. À Rome, l’hôpital San Camillo est l’un des rares lieux où il est possible d’avorter mais l’établissement ne peut pas répondre à toutes les demandes. Alors, tous les matins, une cinquantaine de femmes font la queue en espérant faire partie des dix qui obtiendront un rendez-vous. Un membre du personnel de l’hôpital note les horaires d’arrivée de chacune pour éviter les histoires.
À l’ouverture des portes vers 8h, tout le monde se jette dans le centre bien que le nombre de places soit limité. Certaines des femmes présentent devront retenter leur chance à plusieurs reprises dans la semaine.
Un phénomène qui touche l’ensemble du personnel médical
En Italie, il n’y a pas que les gynécologues qui font jouer leur clause de conscience face à des femmes en demande d’avortement mais aussi le personnel soignant concerné par cet acte. Martha* habite dans la banlieue de Rome. Elle a découvert sa grossesse non désirée tardivement en août 2017. Elle ne peut faire qu’un avortement chirurgical à ce stade de la grossesse. Elle parvient à obtenir un rendez-vous avec l’anesthésiste après avoir fait la queue devant l’hôpital San Camillo. « Je sortais de chez moi pour me rendre au rendez-vous quand l’hôpital m’appelle pour m’informer qu’il n’y a qu’un seul anesthésiste sur place pour s’occuper des IVG et qu’il n’est finalement pas disponible. Etant donné que la date du rendez vous avec l’anesthésiste a été décalé celle de l’intervention aussi« , explique Martha. Le problème pour la jeune femme est qu’elle se rapproche de la date limite pour avorter (dix semaines). La fois suivante, on lui indique une fois de plus que le médecin n’est pas disponible.
« Je suis allée voir la responsable du département qui m’a dit que je savais que je faisais quelque chose que je ne devrais pas faire et que donc je ne devrai pas être étonnée qu’il n’y ait pas de médecins pour s’occuper de moi« , raconte Martha. Pour elle c’est un choc. La date de l’intervention tombera finalement le jour de la date limite. Un stress pour la jeune femme. Elle assure que le personnel de l’hôpital la traitait « comme une bête » que la salle d’opération était à la limite du « tiers-monde« . « Il y avait un petit lit gynécologique avec une lumière au dessus et un sceau en dessous qui n’avait pas été changé depuis le précédent avortement« , raconte en larmes la jeune femme. Ce moment restera pour elle un véritable cauchemar. Plusieurs mois après, elle semble encore marquée alors qu’elle assure ne jamais avoir regretté son choix d’avorter.
Faire culpabiliser les femmes
Pour la gynécologue romaine Elisabetta Canitano, ce qu’à vécu Martha est loin d’être étonnant. « Les médecins objecteurs ne demandent pas seulement de pouvoir refuser de faire un avortement, ils pensent avoir le droit d’empêcher des femmes d’avorter« , assure la femme médecin. À Rome, 80% d’entres eux se déclarent objecteur de conscience. C’est pour cela qu’Elisabetta Canitano a créé son association, Vita di Donna, qui renseigne et aide les femmes notamment en demande d’avortement. La gynécologue répond à des dizaines d’appels chaque jour.
En plus de se sentir seule parmi ses collègues, elle se sent aussi délaissée par l’État. « Si l’État travaille pour le soutien des médecins qui font l’avortement et qui appliquent donc la loi de l’État, alors il n’y a pas de problème. Il est étrange que l’État accepte autant d’objecteur de conscience.Il arrive qu’il y ait des hôpitaux où à l’intérieur il n’y a pas de médecins non-objecteur« , affirme la gynécologue avant d’ajouter « C’est ce qui est arrivé pour Valentina Milluzzo. Il n’y avait personne qui pouvait lui dire à elle ou à ses parents : il faut faire un avortement« .
L’affaire Valentina Milluzzo
Très peu médiatisée en France, l’affaire Valentina Milluzzo a fait beaucoup parler en Italie. Cette jeune femme de 32 ans, enceinte de 4 mois, est décédée des suites d’une septicémie en septembre 2016, à l’hôpital public de Catane, en Sicile. Jusqu’ici tout pourrait faire penser à un drame inévitable. Mais la famille de Valentina Milluzzo accuse les 13 médecins du service d’être responsables de sa mort car ils ont tous refusé de pratiquer un avortement qui aurait toujours, selon sa famille, sauvé la vie de la jeune femme.
Son père, Salvatore Milluzzo raconte qu’au bout de deux semaines d’hospitalisation l’état de santé de sa fille s’est dégradé. « Valentina a dit au médecin ‘je n’en peux plus sédatez moi, je n’ai plus d’espoir’. Elle m’a dit ‘pourquoi ils ne me comprennent pas ?’ Ils ont répondu : ‘nous comprenons mais nous ne pouvons pas sédater toutes nos patientes’. Ce a quoi un médecin lui répond : ‘comment voulez vous qu’on fasse? que l’on tue l’enfant pour que vous ne souffriez pas ?’ », raconte Salvatore Milluzzo les larmes aux yeux. Dans cette affaire, les 13 médecins de la maternité ont été mis en examen pour homicide involontaire. Le père de Valentina assure que les médecins lui ont indiqué attendre qu’elle perde les fœtus (elle était enceinte de jumeaux) naturellement et qu’ils étaient conscients que Valentina Milluzzo souffrait. « Nous ne pouvons pas intervenir car nous entendons toujours les battements de cœur« , explique les médecins à Salvatore Milluzzo. « Ma fille était mourante et il pensait encore à l’avortement, à un fœtus encore dans le ventre. Il l’a fait se sentir coupable« , raconte ce père de famille qui assure qu’au moins un des fœtus était déjà mort. Dans cette affaire la vie de la mère est passée après celle des fœtus contre l’avis de la famille.
Un droit qui ne fait pas l’unanimité
En Italie, « l’objection de conscience » est inscrite dans la loi 194 de 1978, la même qui légalise l’avortement. Cependant au Planning Familial Européen, on compare ce droit accordé aux médecins à un « refus ». « Pour nous, ce n’est pas une question d’objection de conscience, mais une question de refus de recevoir une patiente, refus de respecter sa conscience à elle. Un refus de ne pas mettre en premier plan ses nécessités, ses besoins et sa vie« , affirme Irene Donadio, responsable au Planning Familial Européen. Pour elle, ce droit n’est en faveur que d’une partie de la population alors que dans la relation patient.e-médecin, il y a « une hiérarchie de pouvoir« .
« On parle toujours du droit d’une partie et on oublie qu’il y a une autre partie qui est celle qui est la plus fragilisée. C’est elle qui est dans le besoin, car le médecin n’a pas besoin de ces femmes. Eux, ils peuvent continuer leur vie sans problème. La femme, elle, est dans une situation complexe qui a pris une décision pour sa vie et son futur et qui est désespérément dépendante de l’action de l’autre« , ajoute-t-elle.
Du côté du gouvernement Italien, et en particulier du ministère de la Santé, on ne trouve pas la situation alarmante. La ministre de la Santé, Beatrice Lorenzin, a désapprouvé l’appel à la candidature de médecins non-objecteurs de conscience de l’hôpital San Camillo, en 2017. Cette dernière n’a jamais caché sa relation avec la religion catholique mais ne s’est jamais dite ouvertement anti-avortement. Pour Elisabetta Canitano, Beatrice Lorenzin se « déguise« . « Nous avons eu un congrès du Planning Familial ouvert par l’Eglise, avec la ministre Beatrice Lorenzin« , s’emporte la gynécologue. Elle assure que la ministre fait partie du mouvement anti-avortement « Un de nous ». L’association, domiciliée en Belgique, réfute mais en mars 2016,elle avait invité la ministre à leur forum européen.
Chloé Buron 50-50 magazine
*Les prénoms ont été modifiés