Articles récents \ France \ Politique Le Haut Conseil à l'Egalité présente son projet de Constitution égalitaire
Le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron a annoncé son intention de réviser la Constitution. Si de très nombreuses questions sont au cœur de ce projet, l’égalité femmes/hommes, pourtant déclarée grande cause du quinquennat, reste absente des volontés de reforme. C’est cette omerta qui a conduit le Haut Conseil a l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE) à s’auto-saisir de cette question, et à rédiger un projet de Constitution garante de l’égalité femmes/hommes qu’il a présenté le 18 avril 2018.
La présentation de ce projet de Constitution a été, pour Danielle Bousquet, présidente du HCE, l’occasion de rappeler que si la Constitution ne fait pas obstacle à l’égalité, « elle n’en est pas pour autant la garante absolue ni la pierre fondatrice, loin s’en faut ». Or, parce que la Constitution est la « loi des lois », la charte qui énonce les valeurs fondamentales, d’un Etat, il est primordial que l’égalité femmes/hommes y soit inscrite, mais plus encore, il est important que la Constitution garantisse aux femmes une place dans la vie politique équivalente à celle qu’y tiennent les hommes. Pour parvenir à cet objectif, le projet du HCE établit une série de recommandations, articulées autour de trois axes : garantir le partage du pouvoir à égalité, garantir de nouveaux droits fondamentaux et enfin inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de la Constitution.
Garantir le partage du pouvoir à égalité pour lutter contre l’absence des femmes en politique
Comme l’explique Réjane Sénac, Présidente de la Commission parité du HCE f/h, la Constitution est le texte qui des décide des actrices/acteurs de la vie politique, longtemps restés exclusivement masculins. L’histoire politique des femmes est, à de nombreux égards, une histoire d’exclusion et d’invisibilisation. D’exclusion, d’abord, puisque malgré l’implication des femmes dans les mouvements révolutionnaires français, de 1789 à 1870, celles-ci se sont longtemps vues refuser l’accès aux droits politiques : le suffrage féminin n’est établit que près d’un siècle après le suffrage masculin, datant de 1848. D’invisibilisation ensuite puisque cette implications des femmes dans les grands changements politiques a peu à peu été occultée aux profits de la valorisation des acteurs masculins. Plus tard, même lorsque la Constitution a laissé une place aux femmes et a garanti le principe d’égalité, il ne s’en est pas ensuivi une égalité de fait, et la présence des femmes dans la politique est longtemps restée sporadique, tel qu’à l’Assemblée Nationale, ou, jusqu’en 1997, les femmes ne représentaient même pas 10% des député.e.s.
Ce rejet des femmes n’est pas un oubli maladroit, rappelle Danielle Bousquet, mais bien le fruit d’une volonté délibérée, et la Constitution doit reconnaître cette longue exclusion, « qui est aussi l’histoire de la France », afin de porter dans le futur la marque d’une égalité réelle et effective. Pour atteindre cette égalité, le HCE mise sur la parité, qu’Alice Gayraud rapporteuse du HCE définit comme« le partage à égalité entre les femmes et les hommes du pouvoir, qu’il soit de décision ou de représentation, et ce dans toutes les sphères de la vie citoyenne, c’est-à-dire politique, professionnelle et sociale. », comme « un outil autant qu’une fin », et le moyen concret de parvenir à une juste répartition du pouvoir. Elle insiste donc sur la nécessité pour la Constitution de « garantir », et non de « favoriser », comme elle le fait actuellement, un « égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives », mais plus encore, de s’assurer de la juste répartition des postes clés dans le cadre de ces mandats. Alice Gayraud ajoute : « l’objectif de parité … doit viser bien plus l’exercice du pouvoir à égalité entre les femmes et les hommes », et la Constitution doit donc participer à cet exercice effectif en incluant dans son texte l’attribution paritaire des fonctions qu’elle réglemente.
Garantir de nouveaux droits fondamentaux en réponse à des menaces concrètes
Le HCE insiste sur la nécessité de prendre en compte de nouveaux droits, et parmi eux, le principe de la reconnaissance d’une budgétisation sensible au genre, c’est-à-dire sur la nécessité d’une garantie que les fonds accordés ne soient pas répartis de manière à créer des stéréotypes ou à pérenniser des inégalités. A ce titre, Claire Guiraud, secrétaire générale du HCE et rapporteuse de ce projet renvoie à une étude récemment publiée concernant l’attribution des fonds dans le domaine de la culture. (Lire notre article).
Le HCE a par ailleurs particulièrement insisté sur la nécessité de garantir le droit à la contraception et à l’avortement, ainsi que le droit à une vie sans violences sexistes et sexuelles. L’importance d’une garantie plus forte du droit à la contraception et à l’avortement se justifie, au sens du HCE, par l’absence de consensus qui existe encore aujourd’hui en France autour du droit à l’avortement, illustrée par les remises en causes systématiques des lois étendant ces droits. De la même manière, le HCE rappelle que si le droit à une vie sans violences sexistes et sexuelles est protégé par la loi, il est aujourd’hui encore remis en cause dans les faits, comme l’ont récemment démontré les polémiques autour du harcèlement sexuel, dénoncées par les mouvements #MeToo et #BalanceTonPorc.
Inscrire ces droits comme des droits constitutionnels serait alors une réponse aux menaces actuelles qui pèsent sur eux, et une reconnaissance de leur importance particulière. En effet, la Constitution est pour un Etat la déclaration de ses valeurs les plus importantes, et en France les droits des femmes ne sont pas à l’heure actuelle réellement représentés parmi ces valeurs. Consciente du décalage entre les textes constitutionnels et l’évolution des valeurs, la France a déjà inscrits de nouveaux principes parmi ses textes fondamentaux, en reconnaissant une valeur constitutionnelle à une série de principes dits particulièrement nécessaires à notre temps, parmi lesquels la garantie pour les femmes, dans tous les domaines, de droits égaux à ceux de l’homme, ouvrant ainsi la voie à une réelle garantie constitutionnelle de l’égalité femmes/hommes.
Inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de la Constitution, une manière de réfléchir à nos symboles
La prise en compte de l’égalité femmes/hommes doit, pour Réjane Sénac, passer non seulement par des mesures de protection de leurs droits, mais aussi par la prise en compte des femmes dans le texte même de la Constitution. Le rapport au langage n’est pas accessoire, car celui-ci est un outil, qui peut servir tant la discrimination que l’égalité. Le HCE propose ainsi une série de mesures visant à pallier l’aspect inégalitaire de certaines expressions contenues dans les textes constitutionnels, comme le remplacement de l’expression « droits de l’Homme » par celle « droits humains », plus inclusive, ou l’inclusion dans le texte de la Constitution de formules rédigées selon une écriture égalitaire.
Pour autant, faut-il étendre cette réflexion à des textes symboliques, telles que la devise française, ou la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789? Pour Réjane Sénac, il n’est pas nécessaire de modifier tous les textes emblématiques de notre Constitution, parmi lesquels la Déclaration, car ils constituent des témoignages d’une époque. Cette absence de modification doit néanmoins être compensée par la création de nouveaux textes, de « contre récits », plus conformes à nos valeurs actuelles. La présentation du projet constitutionnel était cependant pour le HCE une opportunité d’ouvrir une réflexion autour de la devise française, le terme de « fraternité » portant clairement la marque d’une association masculine. La modification de la devise, important symbole français, nous invite alors à réfléchir à l’importance de nos symboles et à ce que nous souhaitons les voire représenter.
Pauline Larrochette 50-50 magazine