Articles récents Fanny Metrat, paysanne : "il est où le patron ?"
L’évolution de la paysannerie ne peut se faire sans l’égalité entre femmes et hommes, Fanny Metrat en est persuadée et travaille pour faire changer le statut de la femme paysanne. Elle fait vivre avec son compagnon un troupeau de brebis en Ardèche depuis 2009. Elle est paysanne, militante à la Confédération Paysanne. Son parcours illustre les enjeux pour la réalisation d’une véritable égalité dans le monde paysan.
Fanny Metrat a grandi dans le Pilat à 1000 mètres d’altitude. Son père est instituteur, sa mère infirmière libérale. Son père avait été berger en Haute Loire avant de devenir instituteur. Le milieu des bergers transhumants à la Jean Giono a nourri son talent de conteur exceptionnel. Toutes ses histoires ont bercé l’enfance de Fanny et certainement contribué à former son imaginaire.
Le choix de la filière agricole
Au moment des choix de l’adolescence entre histoire de l’art et un BTS agricole, elle se dirigera vers le BTS tout naturellement avec le soutien de ses parents.
Elle se dit chanceuse d’avoir fait son BTS en Sud Ardèche où les jeunes avaient une certaine idée de l’agriculture, pour la plupart d’entre eux c’était un choix de vie. Il y avait aussi les fils d’agriculteurs traditionnels. En marge de l’enseignement qu’elle qualifie « d’horriblement » agro industriel, le BTS offrait quelques ouvertures sur l’agriculture bio ou les plantes aromatiques médicinales. Fanny y a aussi rencontré des enseignantes qui soutenaient les filles dans la filière agricole. C’était l’époque de la prise de conscience de la malbouffe, des luttes de José Bové, l’époque des mouvements paysans. Pour elle, les visites de fermes chez ce qu’elle nomme des « néo-ruraux » passionné.e.s, ont aussi permis l’ouverture. Pas beaucoup de filles, mais comme elle dit, « nous les filles, nous prenions de la place. »
Prendre de la place et se faire entendre c’est ce que les femmes doivent faire dans ce milieu pour se faire respecter. Fanny vient d’une famille où les femmes s’imposent, rien de simple néanmoins, “ on est très genré.e.s dans la famille » affirme-t-elle. Elle a appris à débattre et à confronter dans ce milieu.
D’un séjour dans une communauté paysanne au Burkina Fasso à la paysannerie française
Avant de mettre en œuvre des stratégies pour se faire entendre, Fanny s’embarque avec son compagnon Manu vers son rêve d’Afrique vers le Burkina Faso. « Ce n’était pas simple, la terre appartient aux hommes et ce sont les femmes qui bossent » dit elle « et maintenant quand je vois les Blancs… » Elle passera un an dans une ferme, elle apprendra l’art de l’observation, laissant les préjugés à la frontière. Fanny et Manu gagneront une famille en Afrique.
Elle se souvient de ses débuts en tant que salariée dans la Confédération Paysanne de la Drôme en 2003. Elle se trouve face aux vieux paysans.
En parallèle, son compagnon devient berger, c’est un apprentissage sur le tas du métier pour tous les deux. Après quatre ans d’alpage dans le Queyras, ils décident de s’installer. Ils trouvent une ferme en Ardèche et font revivre un pan de montagne avec un troupeau de brebis, des pommes de terre et des châtaignes. « Je suis choquée par le sexisme ordinaire dans le monde paysan en France. Il a fallu du temps avant que certaines personnes me considérent. »
Bien que Fanny et Manu partagent toutes les responsabilités de la ferme, quand elle a une visite, on lui demande communément « il est où le patron ? » ou on parle à Manu sans la regarder, il faut toujours qu’elle rappelle que l’on peut parler avec elle car c’est sa ferme aussi. Elle commente « c’est juste dingue, c’est tout le temps. » Son compagnon bien que venant d’un milieu paysan et connaissant les codes l’a toujours soutenue. Quand on est femme dans le milieu paysan, il faut toujours s’imposer, faire ses preuves.
Fanny remarque aussi que s’est en s’ouvrant au féminisme politique qu’elle s’est rendue compte de la folie dans laquelle les femmes rurales évoluent, « il y a des copines féministes qui hurleraient à tout bout de champs si elles vivaient ma vie. »
Il est toujours nécessaire de faire entendre sa voix complètement étouffée par les normes du monde rural, « je me suis imposée par la voix » et il le fallait pour confronter les chasseurs dont les chiens attaquaient les brebis. Par ailleurs, Manu plus discret s’en était remis à Fanny pour élever la voix.. Elle reconnaît qu’elle a développé cette stratégie inconsciemment sans s’en rendre vraiment compte, aujourd’hui cela la dérange.
Le monde syndical paysan est détenu à 80 ou 85 % par les hommes, les femmes sont assez absentes, mais d’après Fanny, c’est en train de changer.
En 2008 lorsque Fanny commence à militer à la Confédération Paysanne d’Ardèche sur les 15 membres, 3 sont des femmes, maintenant c’est 50/50 femmes hommes. Il en est de même pour l’âge ? 50% des membres ont moins de 40 ans. Mais ce sont les Cévennes, comme elle l’aime à le rappeler.
Souvenirs de sexisme ordinaire
« J’ai été pendant longtemps porte-parole de la Confédération Paysanne d’Ardèche face au préfet ,face à l’administration, il fallait que je m’impose tout le temps. Ils m’ont vu arriver avec mes boucles d’oreilles et mes tissus de toutes les couleurs, c’est fou comme avec l’image, le sexe et l’âge on n’est pas respectables. Alors, j’ai été obligée de parler de plus en plus fort et d’être agressive et ça me gêne ! »
En particulier, elle se souvient d’un rendez-vous en tant que porte-parole de la Confédération Paysanne avec le préfet d’Ardèche dans une chèvrerie. Elle était avec son binôme masculin, David, un arboriculteur. Tous deux se complétaient très bien. Elle commence à parler avec le préfet, étant la spécialiste des questions d’élevage. Elle constate tout de suite que le préfet ne regarde que son collègue quand elle parle. A la fin, le préfet demande des compléments d’information à David. « Il a fallu que je sois dans la confrontation plus musclée, que je rentre dans le combat de coq, pour qu’il se rende compte qu’il était face à une égale. »
La stratégie, comme elle l’appelle, a été efficace, elle a fait partie de délégations qui ont rencontrées, entre autres, le ministre de l’Agriculture d’alors, Stéphane Le Foll. Celui-ci a aussi montré que les élites portaient haut le flambeau du sexisme. Fanny se rappelle du jour où à la fin d’une réunion, le ministre et porte-parole de l’ancien gouvernement, monsieur Le Foll demande à son interlocuteur « tu me donneras son 06. »
On se revoit trois semaines plus tard dans un colloque en Ariège, il me repère et devant plus de 100 personnes il dit au micro : « mais t’es là, on a bien travaillé la dernière fois, mais je ne sais plus ton prénom. Je ne vais pas t’appeler machine je vais t’appeler Ardèchine. » Elle se demande si elle vient de rêver le moment.
Elle précise que finalement elle en veut moins aux hommes du milieu paysan qui ont été endoctrinés et ont grandi dans ce milieu, mais en revanche qu’un responsable politique qui a eu accès à la culture, qui a fait des études et qui représente un gouvernement se conduise ainsi, c’est pour elle inadmissible.
Le sexisme que l’on connaît dans le monde paysan se retrouve dans le monde syndical
Le travail de paysanne syndicaliste est double, il faut défendre les droits des paysan.ne.s et s’affirmer au sein de l’organisation syndicale. Fanny reconnaît qu’elle a bataillé un peu virilement pour avancer dans l’organisation, elle reconnaît aussi qu’il y a des militantes plus discrètes et tout aussi compétentes qui ne seront jamais à ce niveau dans l’organisation. Le sexisme est aussi un moyen d’élimination de compétences.
Les valeurs féministes d’égalité ne sont pas encore acquises. Lors de la rédaction d’une motion de désaccord avec la direction de la Confédération Paysanne, Fanny insista dans un débat avec les gens de sa tendance pour que la Confédération devienne officiellement féministe et que ce mot soit clairement écrit. Finalement cela n’a pas été possible de faire entrer le terme féministe dans la motion, « c’était un gros mot ». En fait, la via campesina nous pousse à bouger. La via campesina est un mouvement paysan international. Il constitue une forme de mondialisation du mouvement paysan dans laquelle s’inscrit la Confédération Paysanne. Les femmes y sont très représentées et l’organisation prône un féminisme populaire et paysan.
A la Confédération Paysanne, il y avait une commission femmes qui vivotait jusqu’à ce que Fanny, Vero et les autres s’en emparent. Récemment, un groupe de femmes a créé une pièce de théâtre à partir de nombreux témoignages de bergères et de paysannes. « Le spectacle nous fait passer du rire aux larmes », dit Fanny « et puis je me disais en regardant la pièce de théâtre, moi je l’ai vécu ! »
Brigitte Marti 50-50 magazine