Articles récents \ Chroniques \ Île de France Un monde oublié : la maison des heroïnes

Bénévole à la Maison des Femmes de Saint Denis, j’ai pu découvrir, comprendre et observer le quotidien de battantes qui, malgré les difficultés auxquelles elles font face, continuent d’avancer.    

Dès mon premier jour j’ai compris que j’étais ici dans un lieu propice à l’écoute, à la liberté de parole et à l’entraide. Les femmes arrivant à la Maison des Femmes ont parfois vécu des expériences très dures, certaines ont dormi dans la rue pendant plusieurs mois avec leurs enfants, d’autres sont obligées de se prostituer et pourtant toutes les femmes que j’ai rencontrées ne veulent pas abandonner leur combat de s’en sortir en France. Une mère de 3 enfants avec qui j’ai pu faire connaissance, a fui la Cote d’Ivoire pour éviter que ses filles se fassent exciser. En arrivant en France, une de ses amies qui devaient l’accueillir l’a laissée seule et ne l’a pas aidée. Après 3 mois dans la rue, cette femme a pu trouver du travail, a scolarisé ses filles et m’a parlé de leur avenir d’infirmière et d’hôtesse de l’air qui s’ouvraient à elle.

Elles repartent apaisées

A peine la Maison ouvre ses portes que déjà les femmes remplissent la salle d’attente, pour certaines accompagnées de leurs enfants, pour d’autres de leur mari, d’une amie, d’une sœur ou d’une mère. Le regard inquiet qu’elles ont en franchissant la porte change radicalement lorsqu’elles repartent. Rassurées, apaisées, tout le personnel est à l’écoute des femmes et les aide à trouver des solutions pour aller de l’avant et résoudre ne serait-­‐ce qu’un de leurs nombreux problèmes.

Les rencontres marquantes avec les femmes m’ont appris à prendre du recul pour ne pas me laisser submerger par mes émotions. J’ai pu découvrir des femmes qui malgré leurs problèmes ont une force incroyable. Une mère de trois enfants expliquant qu’elle avait déjà porté plainte deux fois contre son mari, qu’elle voudrait divorcer mais qu’il lui manquait son attestation de naissance délivrée par le Mali. « Il ne sait pas à qui il a affaire, une fois divorcé, il ne me verra plus jamais ! », tels sont les mots prononcés par cette femme qui m’impressionne par son courage mais aussi par sa lucidité sur la situation. Car malheureusement certaines ne se rendent pas bien compte qu’elles sont des victimes, perdent totalement confiance en elles et c’est en venant pour une simple consultation au planning familiale dans la Maison, que la réalité s’ouvre à elles. La confiance perdue est due aux épreuves qu’elles ont pu traverser mais aussi aux difficultés rencontrées en France. De nombreuses femmes se plaigne de l’accueil qu’elles reçoivent dans les commissariats lorsqu’elles viennent porter plainte par exemple. Souvent, les demandes ne sont pas prises aux sérieux et les preuves sont parfois manquantes. Une femme me racontait par exemple, qu’elle était allée à l’hôpital suite à des coups de la part de son conjoint et celui-­‐ci en avait profité pour appeler la police expliquant que sa femme était alcoolique et s’était blessée en étant ivre. En arrivant au poste de police, les policiers n’ont donc pas pris la plainte de cette jeune femme. Dans ces situations, les femmes sont alors désarçonnées puisqu’elles n’arrivent pas à trouver l’aide de ceux qui pourtant devraient leur porter secours.

Une parole libérée

La parole qui est libérée lorsque les femmes arrivent, est quelque chose que j’ai trouvé formidable dans le processus de la prise en charge des femmes. Pouvoir parler sans jugement et être écoutées permet aux femmes de retrouver pour certaines, la dignité qu’elles avaient perdue. Les nombreux groupes de paroles permettant ces échanges montrent aux femmes que, non, elles ne sont pas seules dans ses situations. Lors du groupe de parole « violences conjugales » les femmes, qui pourtant vivent des situations inimaginables, se conseillent, se soutiennent, et prennent parfois même la place des intervenants animant le groupe de parole. Le groupe de parole sur l’excision, quant à lui, permet d’échanger sur leurs souvenirs lors de l’excision, la réparation, et les mesures que chacune peut mettre en place à son échelle pour lutter contre cette tradition. « Ils disent que c’est pour qu’on soit pur mais nous, on sait très bien que c’est pour que l’on n’ait pas de plaisir et qu’on n’ait pas envie d’un homme ». Ces femmes sont conscientes du poids des traditions mais ont du mal à voir comment elles pourraient y remédier. Certaines expliquent comment elles ont sauvé leurs sœurs ou leurs cousines d’une excision et pour toutes il est clair que leurs filles ne subiront jamais ce qu’elles ont vécu.

La Maison des Héroïnes, tel est le surnom que je donne à ce lieu tant pour le personnel qui y travaille, que pour les femmes qui y viennent. Des femmes qui veulent s’en sortir, qui se battent chaque jour pour donner un meilleur avenir à leurs enfants, qui veulent retrouver leur dignité et qui aime la France malgré tous les problèmes auxquels elles sont confrontées.

Sarah G. Bénévole à la Maison des Femmes de Saint Denis

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