Articles récents \ DÉBATS \ Tribunes L’histoire inavouable de la loi sur la résidence alternée
Ce jeudi 30 sera discutée à l’Assemblée nationale une proposition de loi sur la résidence alternée. Toute innocente qu’elle paraisse à la première lecture, elle résulte d’un processus dangereux qu’il est utile de mettre en lumière.
Cette histoire vient de loin. Depuis trente ans, des mouvements d’hommes se sont organisés dans différents pays occidentaux pour contrer les avancées des femmes vers l’égalité. Parfois autoproclamés « masculinistes » ou « homistes », ils ont l’ambition de construire le pendant et exact inverse du mouvement féministe qu’ils considèrent comme un « fémi-fascisme ». S’inspirant des théories les plus réactionnaires, essentialistes, ils se sont souvent illustrés par des méthodes violentes et des propos homophobes.
Ayant moi-même, comme je l’ai raconté ici, infiltré ces mouvements au Québec pour les besoins d’un film, « La domination masculine« , j’ai pu enregistrer à la source toute leur stratégie dont le produit législatif est actuellement discuté à l’Assemblée nationale française. A l’époque, entre 2006 et 2007, à la suite des britanniques et très violents « Fathers for justice », ces mouvements nord-américains organisaient leur mutation. Ils avaient compris que la lutte « pour les droits des hommes » n’était plus tolérable dans une société qui prenait en compte les violences faites aux femmes. Ils m’ont donc littéralement expliqué comment ils construisaient une vitrine plus sympathique et plus vendable dans les médias: « les droits des pères » dont il fallait mettre « la souffrance » en scène.
« Les droits des pères » dont il fallait mettre « la souffrance » en scène.
Il s’agissait de populariser l’idée que si les hommes n’étaient pas bafoués en tant que tels, ils l’étaient en tant que pères. En effet, les changements culturels et législatifs permettant aux femmes de demander facilement le divorce, les « chefs de famille » traditionnellement masculins se voyaient privés d’un pouvoir totalitaire sur leur conjointe. Celle-ci pouvait tout à coup partir et même, comble de l’inacceptable, porter plainte contre son mari, en cas de violence. Enfin, l’idée de verser une pension alimentaire après le divorce était absolument insupportable à ces hommes qui cherchaient une revanche. Il s’agissait donc de faire croire que les hommes étaient « maltraités » et qu’ils se suicidaient en masse (en réalité, les femmes commettent plus de tentatives mais rarement avec des armes à feu).
Leur stratégie était organisée quand j’ai moi-même enquêté: d’abord nier l’existence de la violence conjugale (ou la réduire à quelques cas exceptionnels) puis démontrer que les pères sont brutalement écartés de leurs enfants par une « justice féministe ». Au début de cette période, les actions consistaient à grimper sur des ponts et monuments à Londres et Montréal, déguisés en super-héros avec des banderoles « papa t’aime » déployées devant les caméras. Les hommes qui s’y sont adonnés étaient souvent condamnés et multirécidivistes pour violences conjugales, enlèvements, mais la presse n’y vit que du feu.
La seconde étape, une fois l’attention attirée, consistait à convaincre des députés de déposer des projets de lois pour freiner les possibilités pour les femmes de s’en tirer un peu moins mal après divorce.
Cette semaine, comme presque chaque année, un député se laisse convaincre de déposer un projet de loi sous la dictée de ces mouvements masculinistes.
En France, la même histoire s’est répétée avec un décalage de plusieurs années et le même écho favorable dans la presse. Pourtant, « SOS Papa » était à peine créée quand certains de ses membres et « représentant charismatique » organisèrent l’enlèvement d’une mère en vue de l’assassiner (phase violente). Ils se rapprochèrent de « La manif pour tous » pour contrer les droits des homosexuels (idéologie ultra-conservatrice et homophobe) et mutèrent vers le lobbying politique après un spectacle médiatique donné par un membre en haut d’une grue de Nantes (il a ensuite été emprisonné pour enlèvement d’enfant en récidive).
Cette semaine, comme presque chaque année, un député se laisse convaincre de déposer un projet de loi sous la dictée de ces mouvements masculinistes. Se fondant sur sa propre rancœur issue d’une séparation qui s’est mal déroulée (de son propre aveu), le député (MoDem, de Vendée) Latombe a déposé une proposition qui sera discutée à l’Assemblée le 30 novembre. La dernière fois, c’était le très douteux député Denis Baupin qui était à la manœuvre…
La signature des organisations masculinistes de cette proposition de loi apparaît par la maladresse (il ne manque que les fautes d’orthographe) et le mensonge à propos des statistiques. Le titre concerne « la garde alternée » (au lieu de « résidence »), expression qui a disparu du droit français depuis trente ans mais continue de faire florès dans la littérature masculiniste.
Plus de 75% des pères ne veulent pas de la résidence alternée, qui entraîne les tâches domestiques et parentales afférentes.
En ce qui concerne les chiffres présentés dans l’exposé des motifs, ils représentent un copier-coller des tracts d’associations masculinistes. Pourtant, en France, les analyses des décisions rendues par les juges aux affaires familiales publiées par la chancellerie sont transparentes:
- 80% des parents séparés se mettent d’accord spontanément sur la garde des enfants, 10% sont en désaccord (et près de 10%, le plus souvent le père, ne se présentent pas devant le ou la juge…)
- plus de 75% des pères ne veulent pas de la résidence alternée (qui entraîne les tâches domestiques et parentales afférentes)
- et au total, 93,4% des demandes des pères et 95,9% de celles des mères sont satisfaites par le juge.
Lorsque l’on sait avec quelle fréquence et quel sexe commet les violences conjugales, on ne peut que s’étonner de cette proximité des résultats pour les pères et mères.
Ces réalités statistiques sont inlassablement rappelées par toutes sortes d’institutions (comme le Haut Conseil à l’Égalité femmes hommes), d’associations (la Fédération nationale solidarité femmes, responsable du numéro 3919) de syndicats (le Syndicat de la Magistrature, par ex) et de chercheur.re.s.
On peut s’étonner de voir la secrétaire d’Etat aux Droits des femmes et les député.e.s LREM soutenir une démarche dont on ne peut plus taire la perversion.
Néanmoins, les porte-parole des associations masculinistes et leurs lobbyistes ne cessent de répéter comme un mantra que les pères sont maltraités par la justice.
Plus grave encore, comme l’a révélé le collectif Abandon de famille, la double domiciliation imposée par la loi en discussion impliquera que les allocations familiales (et abattement fiscaux) seront partagés à 50-50 entre les deux parents, même si l’un (presque toujours le père) ne désire voir ses enfants que deux fois par an. Cela entraînera aussi la baisse des APL d’un certain nombre de mères isolées.
Un beau cadeau pour ceux qui militent depuis trente ans pour la fin des pensions alimentaires, sachant que les mères qui ont le plus souvent la charge des enfants ont, en moyenne, des salaires très inférieurs à ceux des pères. Et l’on vous parlera de « l’égalité femmes hommes, grande cause du quinquennat. »
Il ne restait au député Latombe qu’à conclure que les pères se suicident très souvent (l’argument faux, mais phare des masculinistes) et que les violences faites aux femmes « sont des tartes à la crème », pour bien nous rappeler l’histoire de sa proposition de loi et l’idéologie qui la sous-tend.
On peut, en revanche, s’étonner de voir la secrétaire d’état aux Droits des femmes et les député.e.s La République En Marche soutenir une démarche dont on ne peut plus taire la perversion.
Espérons qu’ils et elles prendront conscience à temps de la réalité des faits.
Patric Jean, auteur, réalisateur
Les hommes veulent-ils l’égalité?
Dessin de Une : Pierre Colin-Thibert 50-50 magazine