Articles récents \ Santé \ Europe Elisabeth Ruffinengo – WECF: « les intérêts économiques ont primé »
Elisabeth Ruffinengo est responsable plaidoyer pour Women engaged for a Common Futur France (WECF), membre de la EDC-Free Europe coalition. Elle travaille sur les questions de santé et d’environnement, notamment sur l’impact des pollutions chimiques sur la santé des femmes. Fondé en 1994 dans la dynamique du premier Sommet de la Terre de Rio, présent en France depuis 2008, WECF est un réseau de 150 organisations féministes et environnementales qui agit pour construire avec les femmes un monde juste, sain et durable. Le 4 juillet 2017, la Commission européenne et les Etats membres de l’UE ont adopté une définition des perturbateurs endocriniens, applicable aux pesticides. Cette définition ne satisfait pas un grand nombre d’ONG, dont WECF France.
Les États Membres de l’UE viennent d’adopter les critères proposés par la Commission européenne applicable aux pesticides. Pourquoi cela a-t-il été si long ?
Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. La première stratégie européenne sur les perturbateurs endocriniens au niveau européen date de 1999 avec des listes de substances identifiées. Cette stratégie ne sera pas mise en œuvre, car les perturbateurs endocriniens ont des particularités : elles agissent à très faible doses. Il faut prendre en compte l’effet des mélanges et elles ont un impact différent sur les organismes selon leur maturité (plus d’impact sur un enfant à naître par exemple), puisque c’est la période d’exposition qui compte. C’est un champ scientifique très large où il y a beaucoup de données qui ont énormément progressé ces 15 dernières années.
En 2002, l’OMS donne une première définition des substances. Ensuite, on a eu énormément de recherches et des études sur des substances connues comme le bisphénol A présent dans des biberons, des phtalates (plastifiants) et de nombreuses autres substances perturbateurs endocriniens. La quantité de données scientifiques est énorme.
Il y a un très fort lobbying de la part d’industriels puisque les substances qui agissent pour perturber le système hormonal sont très présentes dans de nombreux produits de la vie courante. Cela demande aux industriels de changer les modes de fabrication ou de ne plus mettre sur le marché certains produits. Il y a des intérêts économiques importants en jeu. En général, les industriels font de très gros investissements pour développer une molécule chimique, et pour que cela soit rentable, ils ont besoin de la mettre sur le marché.
Légalement, les critères de définition des perturbateurs endocriniens auraient du être adoptés en 2013, comme le prévoyaient les règlements pesticides et biocides. La Commission européenne n’a pas rempli son obligation légale. La Suède a saisi la Cour de justice de l’Union européenne pour un recours en carence et la Commission a été condamnée.
Qu’en est-il de l’exemption qui permet à certains pesticides de ne pas être considérés comme des perturbateurs endocriniens ?
Des sociétés d’endocrinologie, des pédiatres, des médecins ont interpellé la Commission sur la nécessité d’avoir des critères protecteurs de la santé. En réalité les intérêts économiques ont primé. Comme pour les substances cancérigènes, on aurait pu classer les perturbateurs endocriniens en trois catégories : les avérés, les présumés et les suspectés. Depuis la première proposition de la Commission en juin 2016, il y a eu des améliorations : les perturbateurs endocriniens présumés sont maintenant pris en considération. Au départ, seuls les perturbateurs endocriniens avérés étaient considérés. La 3ème catégorie, les perturbateurs endocriniens suspectés n’entre pas dans les critères adoptés.
Ensuite, le texte prévoit une dérogation pour les pesticides fabriqués spécifiquement pour agir sur le système endocrinien. Ils agissent comme pesticides en impactant le système endocrinien.
Nous considérons que le texte est à côté de la définition. Cette dérogation affaiblit la définition.
Il y avait une demande des chercheur-e-s, des scientifiques, notamment une d’entre elles/eux Barbara Demeneix, une spécialiste mondiale des perturbateurs endocriniens travaillant au Museum d’histoire naturelle. Cette dernière a prouvé que certaines substances ont un effet sur la thyroïde, sur le développement cérébral, et causent par exemple des pertes de points de QI. A l’échelle d’une société, cela a un impact et affaiblit la capacité de toute une population.
Pouvez-vous expliquer le changement de position du nouveau gouvernement français et le compromis avec l’Allemagne pour arriver à un accord a minima ?
La ministre précédente avait demandé que les 3 catégories de perturbateurs endocriniens soient prises en compte et refusé la dérogation. Jusqu’au 4 juillet, la France a donc rejeté le texte de la Commission. Il fallait une majorité qui vote le texte. Or la position de la France était charnière car au vu du nombre de voix qu’elle détient, elle était en mesure de débloquer le vote. Le fait que la France change d’avis a permis l’adoption en faisant basculer le nombre de voix en faveur du texte.
Le nouveau gouvernement veut envoyer des signaux positifs et constructifs à l’UE. Le nouveau ministre de l’écologie, Nicolas Hulot avait pris une position ferme dans les médias en disant que la France ne céderait pas, quelques jours avant le vote. Il a déclaré qu’il fallait que l’UE arrive à une position commune. En échange, il a obtenu que la Commission ait une vraie stratégie sur les perturbateurs endocriniens, qu’elle définisse clairement la manière dont les critères seront mis en œuvre, mais ces guidance documents étaient en réalité déjà prévus. Le ministre a annoncé, en même temps que le changement de position de la France, une accélération des mesures sur les perturbateurs endocriniens au niveau national. Cela signifie qu’on a accepté la définition mais que la France est consciente qu’elle ne suffira pas et veut pallier des manques éventuels. On a l’impression que le gouvernement est mal l’aise avec sa décision. Par exemple, concernant la dérogation prévue par le texte européen, la France a annoncé qu’elle publiera avant le 14 juillet, une liste de pesticides identifiés comme contenant des perturbateurs endocriniens.
Propos recueillis par Mailys 50-50 magazine
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