Articles récents \ France \ Société Annie Guilberteau : « il est nécessaire que l’État sécurise notre Fédération pour que nous puissions continuer à remplir notre mission auprès des CIDFF dans l’intérêt du public accueilli. »
Annie Guilberteau est directrice générale de la Fédération des Centre Nationaux d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (ex-CNIDFF), qui représente 106 CIDFF dotées d’une mission d’intérêt général. Depuis sa création en 1972, la Fédération a su se faire reconnaître comme un partenaire incontournable des politiques publiques d’égalité femmes/hommes et de lutte contre les violences faites aux femmes, notamment en informant sur les droits des victimes, en accompagnant celles-ci auprès des autorités policières, judiciaires, médicales, sociales et favorisant leur réinsertion professionnelle.
Vous avez récemment décidé de devenir une fédération, qu’est-ce que cela signifie ?
La transformation de la notion de réseau national en fédération était souhaitée par les élu-e-s du CA dans l’objectif de renforcer la lisibilité et l’appartenance des 106 CIDFF à un même corpus de valeurs et à une éthique commune. La notion de réseau était devenue un peu désuète, elle n’a plus le même sens qu’il y a 40 ans.
Par ailleurs, n’oublions pas que les personnels d’État passent d’un département à un autre, il était donc important que les CIDFF des différentes régions puissent être identifiés comme appartenant à une même entité. Pour nous cela signifie un affichage plus lisible, plus visible, une transversalité en termes de valeurs, de fonctionnement et en termes statutaires. Cela nous a obligés à revoir tous les textes fondateurs afin d’y apporter plus de précisions et d’affirmer notre éthique.
Nous n’avons pas changé nos valeurs mais simplement précisé nos textes. Notre objectif, c’est de trouver les moyens pour que ce qui nous semble nécessaire et important pour les femmes le soit aussi dans une perspective d’égalité entre les femmes et les hommes.
Notre mission consiste également à faire remonter aux pouvoirs publics les problèmes exprimés par les femmes auprès de notre fédération, il est en effet, nécessaire que les institutions puissent être informées des difficultés que les femmes nous exposent de manière à adapter le mieux possible les dispositifs et législations en faveur des droits des femmes.
Être en fédération permet une représentation plus cohérente de l’action des CIDFF auprès des institutions ministérielles et des assemblées parlementaires. Même si, les ministères de l’Intérieur et des Droits des femmes nous considéraient déjà comme une fédération.
Vous avez participé à la promotion du rapport « Où est l’argent pour les droits des femmes ? Une sonnette d’alarme » que pouvez-nous dire sur votre propre financement ?
En 2016, nous avons recensé 960 000 demandes individuelles. Nous sommes donc une très grosse organisation avec des moyens que nous souhaitons voir augmenter pour satisfaire aux objectifs qui nous sont assignés. Comme nombre d’associations, nous sommes bien sûr préoccupé-e-s au regard de cette difficulté à augmenter notre niveau de financement, voire à le maintenir à moyens constants. Nous dénonçons une perte d’énergie et d’efficacité considérable, rares sont les administrations qui s’engagent à pérenniser les expérimentations passées même si elles ont fait preuve de leur pertinence pour le public visé. Nous dénonçons une déperdition d’expertise qu’on ne peut pas toujours prolonger sur les fonds de fonctionnement qui sont déjà affectés à nos missions principales.
En ce qui concerne la Fédération nationale des CIDFF (ex-CNIDFF) nous cumulons sur trois années consécutives une baisse des crédits qui nous sont affectés par l’administration centrale des droits des femmes et de l’égalité, soit 120 000 €. Et pourtant nous sommes de plus en plus sollicité-e-s par cette même administration. Par contre, les financements droits des femmes des CIDFF ont été maintenus, mais ces derniers font face à une demande croissante du public.
À terme, il est nécessaire que l’État sécurise notre Fédération pour que nous puissions continuer à remplir notre mission auprès des CIDFF dans l’intérêt du public accueilli.
Un grand nombre de Conseils régionaux ont changé de majorité politique, avez-vous vu des changements de ce fait ?
Aujourd’hui, nous sommes face à des réductions drastiques des financements des conseils régionaux qui en perdant la clause d’intérêt général ne ressentent plus l’obligation de financer des actions autour de l’égalité et certains CIDFF ont perdu beaucoup de financement.
Concernant les violences faites aux femmes, les CIDFF interviennent au plan de l’information sur les droits des victimes, de l’accompagnement aux plans des autorités policières, judiciaires, médicales, sociales et au plan de la réinsertion professionnelle. Plus tôt les victimes font appel aux CIDFF, plus nous leur offrons les moyens d’agir, de se protéger, de se reconstruire sur le long terme avant d’en arriver à des situations extrêmes telles que celles vécues par Jacqueline Sauvage et tant d’autres femmes.
La Fédération des CIDFF est-il investi dans le monde de l’entreprise ?
La Fédération poursuit sa politique de développement notamment vers le monde de l’entreprise qui est encore un secteur qui nous connaît insuffisamment. En tant qu’acteur associatif, nous sommes convaincu-e-s qu’il nous faut créer une passerelle entre les milieux entrepreneuriale et associatif pour optimiser l’accès à l’égalité au travail et à la prévention des violences faites aux femmes. Signalons par ailleurs, que nous travaillons avec les CHSCT y compris avec la médecine du travail et les syndicats.
Notons que les entreprises ne sont pas exemptes d’équipes dans lesquelles nous comptons des femmes victimes de violences. Notre collaboration avec les CHSCT peut contribuer à repérer des femmes dont la perte d’efficience au travail, le retard et l’absentéisme récurrents peuvent être synonymes de violences subies et doivent être traités comme telles.
En effet, la volonté des auteurs des violences consiste à disqualifier les victimes dans tous les domaines de leurs existences, à les dénigrer, à dénigrer leur travail, l’intérêt de leur autonomie financière dans le but de les contrôler totalement.
Concernant les violences faites aux femmes au travail, nous donnons un premier niveau d’information, mais en règle générale, nous orientons les femmes victimes vers l’Association contre les Violences faites aux Femmes au Travail spécialisée dans ce domaine (AVFT)
L’accès au monde de l’entreprise est pour nous, Fédération nationale des CIDFF à renforcer, dans l’objectif de permettre aux femmes d’accéder à l’emploi, d’élargir leurs choix professionnels, d’occuper des postes à responsabilités et plus largement de contribuer avec les entreprises au développement de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes.
Quelles sont vos fiertés, votre travail le plus important accompli au cours des dernières années ?
La plus emblématique est que notre Fédération a su se faire reconnaître comme un partenaire incontournable dans les politiques publiques d’égalité, de mixité et de lutte contre les violences faites aux femmes.
Reste encore à conquérir une place sur le plan de notre reconnaissance relative à l’accompagnement des femmes vers l’emploi. Je pense qu’il y a encore du chemin à faire mais le challenge sur lequel nous avons réussi à avancer est cette reconnaissance comme partenaire incontournable qui offre plus de crédits aux CIDFF en termes de reconnaissance locale et qui de ce fait offre une sécurité pour les femmes qui ont besoin de nos services, un gage de professionnalisme et de qualité proposé par des équipes féministes et professionnelles, ce qui est sécurisant pour les femmes.
Avec la politique de communication qui a été développée ces dernières années, nous avons accentué la reconnaissance de notre Fédération. Il nous reste à communiquer sur le principe de l’intersectionnalité sur lequel interviennent les CIDFF, principe se traduisant par la notion de globalité. En effet, nos services sont interdépendants les uns des autres, services accès aux droits, lutte contre les violences, emploi-formation, soutien à la parentalité, accès à la citoyenneté. Ouvrir une de nos portes, c’est permettre un accès aux femmes à l’ensemble de notre plateforme de services. À titre d’exemple, solliciter nos services juridiques pour une information sur le divorce peut donner lieu à un repérage par nos professionnel-le-s de causes ou de conséquences du divorce pouvant être abordé par l’un ou l’autre de nos services. Nous permettons ainsi aux femmes d’avoir une réponse globale et transversale à leurs problématiques. Cette approche transversale est une de nos caractéristiques, elle contribue à mettre à disposition des femmes, une structure dans laquelle elles trouveront les moyens de renforcer leur autonomie et leur pleine citoyenneté. Toutefois cette caractéristique n’isole pas les CIDFF sur leur territoire, bien au contraire, elles les obligent à collaborer avec l’ensemble des structures associatives et professionnelles.
La Fédération des CIDFF a été partie prenante de la campagne « Sexisme pas notre genre », comment avez-vous vécu ce moment fort ?
Nous sommes enchanté-e-s d’avoir été associé-e-s à la campagne de Laurence Rossignol « sexisme pas notre genre » puisque nous nous sommes retrouvé-e-s un certain nombre de parrains et marraines de cette campagne provenant d’horizons assez divers : associatif, entreprises …
Il est indispensable qu’un décloisonnement s’opère entre ces milieux, si nous nous connaissions, pour autant nous n’avions jamais eu l’occasion de travailler ensemble, et sur le long terme, sur cette problématique. Cette campagne a favorisé un rapprochement et confirmé la nécessité d’avancer ensemble vers un objectif commun, lutter contre le sexisme. La Fédération nationale des CIDFF est motivée et, d’ores et déjà, mobilisée pour poursuivre la dynamique initiée afin de lutter efficacement contre le sexisme et renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes, et particulièrement au sein des entreprises.
Propos recueillis par Caroline Flepp 50-50 magazine