Articles récents \ France \ Économie Gaëlle Differ – Solidaires : « Sans mesures concrètes et coercitives, il ne sert à rien de s’exprimer en faveur d’un programme sur l’égalité femmes/hommes »
Depuis 20 ans, à l’initiative de l’intersyndicale Femmes qui regroupe des militantes de la CGT, de la FSU et de Solidaires, des centaines de personnes venues du monde syndical, associatif, politique et de la recherche se réunissent au mois de mars. Ces temps d’échanges et de confrontations permettent d’approfondir les revendications sur les lieux de travail et de poser la question de la place des femmes dans les syndicats. Ces journées contribuent à la prise de conscience féministe de nouvelles générations de femmes syndicalistes. Gaëlle Differ, militante Solidaires membre de la commission femmes de l’Union syndicale Solidaires, répond à nos questions.
Comment concevez-vous la lutte contre l’austérité qui touche en premier lieu les femmes ?
Je pense que la question de l’austérité n’est pas seulement nationale mais aussi internationale et qu’elle doit être pensée au niveau européen. Nous avons beaucoup réfléchi à la question des services publics et notamment des services à la petite enfance, pour permettre aux femmes de travailler avec des coûts de garde liés aux revenus et donc abordables. Il y a également la question de l’individualisation des prestations sociales. Notre modèle familial aujourd’hui est fondé sur le patriarcat. Lorsqu’une femme séparée ayant des enfants se remet en couple, il y a des aides sociales qu’elle ne touche plus, ce qui peut être extrêmement pénalisant puisque que son conjoint n’a aucune obligation de subvenir aux besoins de ses enfants. Nous demandons également une individualisation de l’impôt au sein des couples mariés ou pacsés.
En matière d’égalité salariale, il y a tout à repenser puisque c’est une problématique qui stagne depuis plusieurs années. Enfin, il faut aborder la question de la reclassification des métiers. En effet, beaucoup de métiers occupés majoritairement par les femmes sont peu valorisés parce que les compétences qu’ils requièrent sont considérées comme « innées » chez les femmes, comme l’attention, le conseil, le soin à la personne… Il y a donc un travail important à faire pour revaloriser les salaires et les compétences.
Qu’attendez-vous des candidat-e-s à l’élection présidentielle ?
Pour la première fois, le Comité national pour les droits des femmes a décidé de ne pas interpeller les candidat-e-s pour la bonne et simple raison que quand cela a été fait par le passé, cela ne s’est jamais concrétisé par des mesures. Par exemple, au tout début du mandat de François Hollande, il y avait un ministère des Droits des femmes qui n’existait plus depuis des années, et qui s’est finalement retrouvé entre les Familles et l’Enfance… Nous sommes davantage dans une dynamique d’appeler à la mobilisation et à la grève des femmes comme nous l’avons fait le 8 mars.
Il y a en revanche des reculs qui sont affichés dans certains programmes et Marine Le Pen est pour nous une candidate extrêmement dangereuse. Sous couvert de féminisme et de défense des femmes – blanches, entendons-nous – c’est le programme le plus régressif, notamment sur la question du salaire parental qui aurait pour effet de renvoyer des femmes à la maison et donc les sortir du marché de travail, ce qui n’est absolument pas un gage d’indépendance financière, voire d’indépendance tout court. Dans son entourage, il existe également une remise en question par un certain nombre de ses lieutenants et lieutenantes, et notamment sa nièce, des subventions au Planning familial, d’un retour en arrière sur la question de l’avortement et de la contraception, ce qui représente pour nous un vrai danger d’autant plus qu’il y a énormément de femmes qui se laissent berner et qui sont prêtes à voter pour elles. Nous regrettons par ailleurs le côté très libéral du programme de Macron et avec un gouvernement qui se désengagerait de ses responsabilités, notamment envers les plus faibles, dont les femmes. Ce sont également elles qui seront les plus touchées par les conséquences des suppressions de postes de fonctionnaires.
De manière générale, la pauvreté des programmes sur les questions des droits des femmes est notamment liée au fait que l’on a l’impression qu’en France le problème est plus ou moins réglé, puisqu’il existe des lois censées favoriser l’égalité. Sous prétexte que les femmes peuvent travailler, avoir leur propre compte en banque et en disposer comme elles veulent, avorter légalement, avoir accès à la contraception etc., il y a donc cette impression que chez nous, il n’y a plus tellement besoin d’avoir des mesures spécifiques. Mais quand on creuse un peu, on se rend compte qu’en France on est loin d’être exemplaires, qu’il y a encore un grand nombre de choses à faire et qu’il ne suffit pas de dire « je suis pour l’égalité salariale ». Sans mesures concrètes et coercitives, il ne sert à rien de s’exprimer en faveur d’un programme sur l’égalité femmes/hommes…
Au sein de Solidaires, à quoi travaille la commission femmes ?
L’objet de notre action est de regrouper des militant-e-s des fédérations syndicales ou des Solidaires locaux pour réfléchir aux actions à mener en faveur des femmes.
Lors de notre dernier congrès qui s’est tenu à Dunkerque en 2014, nous avons rédigé une résolution complète d’une trentaine de pages sur la place des femmes dans la société mais également au sein les structures syndicales. En effet, nous souhaitons responsabiliser nos équipes et avoir un débat à part entière sur cette question-là, qui ne soit pas noyé dans une autre résolution plus globale. Nous voulons avoir une discussion spécifique sur les revendications que nous portons nous-mêmes en tant que militantes syndicales et féministes, que ce soit sur ce qui touche au travail, mais également sur un plan plus sociétal sur les questions des violences et de la prostitution, notamment sur notre position abolitionniste.
Enfin, nous souhaitons nous remettre en question nous-mêmes, en tant que syndicat féministe, car même si un-e adhérent-e sur deux est une femme, cette parité n’est pas toujours respectée dans les postes à responsabilité, et dans l’animation des structures et des formations. Nous sommes en train de réfléchir à une série de mesures incitatives, voire coercitives, pour encourager les syndicats et les associations à réfléchir à la question. Nous avons par exemple mis en place des quotas de femmes au sein de notre bureau fédéral, dont les places réservées ne sont pas comblées si elles restent vacantes. Nous entendons ainsi inciter à rechercher les militantes qui pourraient les occuper. Enfin, nous réfléchissons actuellement à trouver des solutions aux freins posés par la double voire triple journée de nos militantes.
Propos recueillis par Brigitte Marti et Caroline Flepp 50-50 magazine