Articles récents \ Culture \ Cinéma « Personal affairs » un film palestinien plein d’humour sur la vie, le couple, la famille
« Personal affairs » de la Palestinienne Maha Haj a ouvert le festival Femmes en cinéma en présence de la réalisatrice dont c’est le premier long métrage. Son passeport israélien lui a certes permis d’obtenir des financements de son gouvernement pour faire ce film, mais cette « nationalité » israélienne attribuée au film lui interdit toute distribution dans les pays arabes !
Présenté à Cannes en 2016 dans la sélection Un certain regard, Personal affairs semble avoir dérouté certains critiques. En effet, ses images lumineuses, aux cadrages impeccables et aux mouvements de caméra délicats en font un objet cinématographique assez classique dans sa forme.
Spécialiste de littérature arabe et anglaise, cette « autodidacte » s’est formée sur le tas en commençant à travailler en 2009 sur des films d’Elia Suleiman. Elle a commencé à écrire en 2011 et travaillé pendant 4 ans sur la préparation de Personal affairs. L’écriture lui a pris deux ans, puis la recherche de financement, la préparation et le tournage deux autres années. Mais, il lui a fallu faire son film en 24 jours avec un tout petit budget. Même si elle aurait bien aimé disposer de plus de temps pour travailler avec les actrices/acteurs et expérimenter d’autres choses, surtout avec celles/ceux qui n’étaient pas des professionnel-le-s (le vieux couple, la grand-mère…), elle ne pouvait le financer. Elle a donc dû travailler davantage sur les recherches et la préparation avant le tournage. Maha Haj a fait son film avec environ 250 000 dollars, soit 237 000, alors qu’en 2012 les réalisatrices françaises ont disposé en moyenne de 3,45 millions d’euros et les réalisateurs de 5,66 millions d’euros pour faire leur film…
En 2016, seulement 3% des budgets de plus de 15 millions d’euros ont été attribués à des réalisatrices en France. On voit à quel point, il est difficile pour elles d’accéder à « la cour des grands » et à des conditions de travail plus confortables et donc d’avoir les moyens et la liberté de créer leurs images avec le plus haut niveau d’exigences tant artistiques que techniques.
Mais portée par le désir de son film et par une très belle équipe de comédien-ne-s, le résultat est très largement à la hauteur de réalisations beaucoup mieux financées.
L’étiquette « comédie » qui a été attribuée au film ne me semble pas très pertinente, même si on rit beaucoup lors de sa projection. Il s’agit plutôt d’une chronique familiale, la réalisatrice s’est d’ailleurs inspirée d’éléments personnels (le chalet en Suède appartient à son frère et c’est d’y avoir séjourné en hiver qui a déclenché l’écriture du scénario) mais surtout de questionnements universels sur la vie, le couple, l’amour, la famille…
Les actrices/acteurs sont tous très justes et aucun-e ne semble avoir voulu éclipser les autres ou imposer sa performance d’actrice/acteur. Si ce film ne milite pas ouvertement pour la cause palestinienne, ce n’est pas le propos de la réalisatrice et il n’aurait alors pas obtenu les financements et autorisations de tournage qui l’ont rendu possible, il y a deux scènes, l’une poétique l’autre plutôt érotique, qui nous en disent autant sur la réalité de l’occupation Israëlienne que des situations plus ouvertement critiques ou belliqueuses. Quand George découvre la mer ou que Tarek danse le tango sous les yeux de policiers médusés derrière leur vitre sans tain, le film nous offre de beaux moments de grâce.
A la fois dans son époque (le père est toujours à pianoter sur son clavier d’ordinateur) et intemporel, le vieux couple dont la vie irrigue le film (qui est un couple dans la vie aussi), ne sait plus communiquer qu’au travers de ses enfants. Ils s’enferment dans la rancœur par petites touches de mauvaise foi. Ils font naufrage en silence et sans que jamais l’un ne fasse le premier pas pour le rompre, jusqu’à ce séjour en Suède longtemps refusé par la femme.
Leur quotidien à Nazareth est rythmé par leurs échanges avec leurs trois enfants, surtout par le biais du père, buveur de café insomniaque, qui les appelle à tout moment afin qu’ils « parlent » à leur mère pour qu’elle sorte de son mutisme et accepte d’aller en Suède. Elle tricote, silencieuse, devant la télé ou enfermée dans son ressentiment, sauf quand il s’agit de nourrir les siens (à profusion)… Leur fille Samar, est sur le point d’accoucher mais elle doit surveiller une grand-mère gourmande et diabétique qui perd la tête. Leur fils Tarek pour sa part vit seul à Ramallah. Ils voudraient bien le voir marié, mais Tarek préfère la liberté à l’aliénation mutique que lui propose le couple parental. Il attend de rencontrer une femme dont la fantaisie lui ouvrirait des horizons plus grands ! Leur second fils Hischam s’est pour sa part exilé en Suède, où ses parents finiront par aller le voir et passer quelques jours au bord de ce lac désert où ils reproduiront tranquillement leurs petits rituels…
Personal affairs est sorti ce mercredi et vous ne verrez pas des affiches ou des spots de pub partout, mais allez le voir, vous passerez un beau moment de cinéma et s’il vous plaît, faîtes passer ! La « carrière » d’un film se décide pendant sa première semaine de diffusion.
Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine