Articles récents \ Culture \ France \ Société Cybersexisme : la web-série « Le Meufisme » contre-attaque
Que se passe-t-il lorsqu’une fiction est réalisée par des femmes ? Et bien ça fait rire, ça brise les tabous, ça parle de tout et ça en énerve certain-e-s. Dans les coulisses de la web-série « Le Meufisme », la réalité est moins drôle que dans leurs vidéos. Exposer des femmes qui en ont ras-les-ovaires, et qui savent le dire avec talent, réveille la fange misogyne de la planète internet. Selon le Centre Hubertine Auclert, le cybersexisme « désigne les violences qui se déploient à travers le cyberespace dans le but d’insulter, harceler, humilier, répandre des rumeurs… ». Rien de mieux qu’une rencontre avec la réalisatrice Camille Ghanassia pour parler féminisme, humour, et des contours de ce phénomène qui pollue la toile.
« Le Meufisme », traité pour un féminisme jeune et connecté
Sophie Garric et Camille Ghanassia sont deux jeunes cinéastes, deux amies qui ont décidé de se lancer dans une nouvelle aventure de réalisation en janvier 2014. Victimes de leur succès, elles terminent la 3ème saison de leur web-série et ne comptent pas en rester là. Tout commence par cette première vidéo « le FMI d’la Meuf », qui sera vue 10 000 fois dès la première semaine. Grande surprise pour les deux réalisatrices qui n’avaient même pas encore peaufiné la démarche de ce qui deviendra un rendez-vous YouTube incontournable.
» On s’est emparé des sujets qui nous étaient chers, on ne se disait pas féministes, c’est parti d’un sentiment profond de vouloir déplacer le curseur pour montrer des choses sous le prisme de femmes » nous explique Camille Ghanassia. Pour elle, le terme « féminisme » renvoyait au départ à quelque chose de « poussiéreux », à quelque chose qui appartenait à nos mères « et encore… », plutôt aux mouvements qui se sont battus pour l’égalité des droits. Elle a été élevée dans une famille féministe mais qui était « féministe par le passé, et pour laquelle le féminisme aujourd’hui ne faisait plus sens » . Les deux cinéastes cherchaient, aux prémices de cette web-série, à trouver un mot plus proche de la réalité de leur génération.
« Le Meufisme » est lancé et répond à un besoin de réappropriation de certaines thématiques féministes, comme l’atteste la moyenne d’âge des spectatrices/spectateurs de 15 à 35 ans. Succès pas des moindres, leurs vidéos sont appréciées par les jeunes hommes de ces tranches d’âge. » Nous sommes pour l’égalité de tous les êtres humains, c’est de l’humanisme et le féminisme est un humanisme « , rajoute Camille Ghanassia.
« Nous sommes devenues féministes en créant cette série »
Il y a donc d’abord eu « le FMI d’la Meuf », Jolene et « Doudou » , un jeune couple qui se dispute au sujet de qui doit payer l’addition du restaurant. Mal comprise ou mal accueillie par certain-e-s, Camille Ghanassia se souvient des critiques suscitées par cette première vidéo : « on nous est tombé dessus en nous disant que c’était scandaleux de dire que l’homme devait payer l’addition, que ça desservait les femmes, alors que nous on voulait dénoncer la Taxe Tampon« . Mais le succès a continué, et les thématiques abordées se multiplient pour notre plus grand bonheur : les relations de couple, le harcèlement de rue, la masturbation féminine, et bien d’autres.
Cybersexisme : quand les youtubeuses contre-attaquent
Depuis ses débuts, la web-série « Le Meufisme » est confrontée à du harcèlement sexiste. Cela a notamment commencé quand leur première vidéo, ci-dessus, a été relayée sur la plate-forme d’information de jeux vidéos : jeuxvidéo.com. Des attaques touchant l’intégrité des deux jeunes femmes, comme se rappelle Camille Ghanassia : « ils disaient que si on se faisait violer c’était de notre faute, on avait qu’à pas s’habiller comme ça, on était des grosses putes, etc. » A chaque nouvelle publication de vidéos, les commentaires haineux et même des menaces de viol défilent systématiquement de leur page YouTube jusque dans leur boîte mail personnelle. « C’était surtout pour Sophie que c’était le plus difficile car, en tant qu’actrice principale, elle est la catharsis de toutes les insultes. »
« Ils ont l’impression d’être tout seuls, c’est sans doute pour ça qu’ils oublient que c’est l’espace public et que tout le monde peut voir et peut répondre » : partant de cette conclusion, Camille Ghanassia et Sophie Garric, administratrices de leur page Youtube, se font un plaisir de leur répondre et d’instaurer un dialogue lorsque cela est possible. En répondant aux insultes par des cœurs, ou en essayant d’expliquer leur démarche ou ce qui a pu être mal compris, elles font jouer « l’humour de leur gentillesse pour désamorcer les conflits« .
» Ces attaques n’ont jamais ralenti notre production et ne seront jamais déterminantes. Rien ne nous arrêtera dans l’envie de faire des choses. »
Loin d’être les seules femmes d’internet à être insultées, harcelées et menacées, elles ont été invitées par la ministre Laurence Rossignol, en novembre dernier, pour faire le point sur le cyberharcèlement. Accompagnées entre autres de la youtubeuse Marion Seclin et des youtubeuses de la page « Les internettes », elles ont toutes partagé leur ras-le-bol et leur colère de recevoir des insultes et des menaces en toute impunité. Et elles ont décidé d’agir parce que » le cybersexisme, c’est du harcèlement, et à partir de là il y a des lois qui existent » . La conclusion de Camille Ghanassia c’est de passer à l’action : « il faut en poursuivre certains au pénal et faire cas d’école, parce là ils sont tranquilles, dans leur canapé ou dans des cybercafés, et bien on va les confronter à la réalité ! »
En attendant qu’une de leurs vidéos traite du cyberharcèlement, on peut se délecter de « Meuf By Night », parce que dans la rue comme sur internet, les femmes ne sont jamais tranquilles.
Charlotte Mongibeaux 50/50 Magazine
Etude sociologique du Centre Hubertine Auclert sur le cybersexisme chez les adolescent-e-s