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Dans Ligne d’eau, superbe film de Tomasz Wasilewski sorti en 2013 et L’effet aquatique qui vient de sortir en salle (le dernier film de Solweig Anspach, décédée prématurément il y a un an), il est question d’eau, de natation, d’amour – qu’il soit homo ou hétérosexuel – d’humour et de liberté… Ingrédients qui manquent cruellement au monde actuel !
Le XIXe siècle ayant découvert les bienfaits hygiénistes de la natation et thérapeutiques des bains de mer, le XXe siècle a multiplié la construction de piscines et d’établissements thermaux dont la fréquentation peut nous paraître aujourd’hui anodine et banale. S’ils n’ont au départ concerné qu’une petite minorité aisée et cosmopolite qui se faisait construire de magnifiques villas sur les côtes ensoleillées de par le monde, l’obtention et le développement des congés payés en France en 1936 en ont démocratisé l’accès. Tout le monde (ou presque) pouvait jouir des bienfaits et des plaisirs marins. Le camping s’est alors développé pour les plus modestes, ouvrant la voie à des modes de vies estivaux plus sportifs et plus près de la nature et bousculant les normes sociales liées aux corps et à l’organisation de la ségrégation des sexes – normes encore dictées par une morale chrétienne ou bourgeoise plutôt stricte et conservatrice en matière de mixité et de liberté sexuelles – surtout pour les femmes. Ces nouveaux loisirs vont voir apparaître de nouveaux outils pour le camping et pour la natation (outils dont la diversité fait aujourd’hui la fortune des grandes enseignes spécialisées). La ruée estivale vers les plages qui s’est amorcée après la seconde guerre mondiale s’est doublée de la construction de piscines municipales où il semblait important d’emmener les enfants pour leur apprendre à nager, tant pour les vertus physiques de la natation pour la santé, que pour éviter les trop nombreuses noyades des baigneuses et baigneurs en vacances. Et bien sûr le monde de la compétition s’est largement développé depuis un siècle, d’abord pour les hommes qui ont connu peu de résistance à l’exposition publique de leur corps de moins en moins vêtu. Les femmes y ont conquis leur place depuis, en même temps que – pour les plus émancipées de la domination masculine – la reconnaissance du droit à disposer de leur corps et de ses apparences – vêtu ou dévêtu. Je ne ferai pas ici l’histoire du maillot de bain qui ne manque pourtant pas d’intérêt sociologique tant ils nous raconte l’évolution des mœurs mondiales et celle du marché qui ne cesse d’utiliser le corps féminin peu vêtu pour créer des pulsions consuméristes.
Des histoires d’amour aquatiques
Si Tomasz Wasilewski et Solweig Anspach créent deux esthétiques un peu différentes dans cet univers aquatique, ils y mettent en scène deux histoires d’amour à mille lieux des romances hollywoodiennes.
L’amour, celui qui bouleverse les corps et les vies, celui que rien semble arrêter et qui fait appel à nos ressources les plus enfouies pour éclore et nous donner la force de changer nos vies pour le voir grandir. Encore faut-il que l’autre y soit réceptif et que la société en accueille les manifestations – sinon avec enthousiasme au moins avec tolérance.
Ces deux films campent des personnages à la vie ordinaire, voire difficile. Dans Ligne d’eau, Tomasz Wasilewski met en scène un jeune homme sportif qui s’entraîne à la compétition dans une piscine polonaise à l’esthétique presque carcérale, et dans L’effet aquatique, Solweig Anspach nous fait partager le quotidien d’une jeune maîtresse nageuse à la piscine de Montreuil en Seine-Saint-Denis.
Ligne d’eau
L’esthétique de Wasilewski reste épurée d’un bout à l’autre du film dans ses cadrages et dans son éclairage – la lumière froide et verdâtre des parkings faisant écho à celles de la piscine comme lieu d’entraînement et de compétition, il y a peu d’espaces lumineux chaleureux et ils sont le plus souvent parasités par l’expression de sentiments conflictuels ou malheureux.
Kuba, un jeune polonais « ordinaire » est tiraillé entre son amie avec laquelle il vit chez sa mère inquisitrice et Michal dont l’amour le poussera à assumer son homosexualité qu’il n’avait jusqu’alors éprouvée furtivement et honteusement que dans les vestiaires de la piscine. Entre culpabilité et liberté de vivre ses pulsions amoureuses,le film nous brosse le portrait d’une jeunesse polonaise que l’alcool et la drogue aident à affronter les normes sociales et à dépasser ses inhibitions pour faire triompher le sentiment amoureux qui transcendent les deux protagonistes masculins.
Si le film nous montre quelques beaux moments d’une complicité ludique pleine d’innocence entre Kuba et Michal, il nous confronte aussi à de dramatiques scènes d’homophobie « ordinaire » encore très souvent tolérées sinon encouragées un peu partout dans le monde par une forme de virilisme agressif qui, borné par une vision sommaire et manichéenne de la sexualité, ne supporte pas la liberté sexuelle de l’autre, et surtout pas sa différence.
L’effet aquatique
Anspach joue, quand à elle, à la fois sur différents registres lumineux et colorés mais également sur une poétique visuelle de l’eau souvent étonnante et joyeuse dans une piscine où l’on vient nager en liberté et pour le plaisir des sensations aquatiques.
Entre Agathe la nageuse et Samir le grutier à la douce innocence lunaire, la fable amoureuse se construit avec beaucoup de délicatesse autour de ce si fragile moment qu’est l’éclosion d’un sentiment amoureux, de sa reconnaissance et de son acceptation sans réserve par les deux parties dans un lâcher-prise ludique et joyeux… Pour approcher Agathe (Florence Loiret-Caille), Samir (Samir Guesmi) va prendre des cours de natation avec elle, mais un mensonge de sa part semble tout compromettre. Pour se faire pardonner, Samir s’envole pour l’Islande et s’invite au congrès des maîtres-nageurs auquel Agathe participe. Les situations les plus déjantées vont s’y enchaîner – du projet israélo-palestinien « Together » à l’amnésie accidentelle de Samir – pour qu’Agathe prenne la mesure de l’amour de Samir pour elle … et du sien à l’égard de Samir ! Avec un humour décalé, Anspach nous raconte une relation joyeuse et libre dans un petit pays rude que les femmes et les hommes construisent ensemble. En sortant du cinéma on partirait bien découvrir l’Islande !
Regardez ces films qui détonnent au milieu de l’océan de bêtise, de violence et d’hypocrisie qui a submergé notre été.
Marie-Hélène Le Ny 50-50 magazine